Un destin pas toujours tendre, passé entre les allées sinueuses de la casbah d'Alger aux maisons de redressement en France, aurait pu finir d'achever l'agneau encore tendre, dans la primeur de la jeunesse en loup sanglant… Fruit des amours d'une mère gitane et d'un père kabyle, le cinéaste Tony Gatllif, né en Algérie, qu'il a fuie à l'âge de quatorze ans pour échapper à un mariage arrangé, défend depuis les années 80 la cause des Tziganes, leur culture, leur musique à travers son regard sans complaisance, à l'état brut, dans la spirale d'un mouvement incessant et libre. De son vrai nom, Michel Dahmani, gitan algérien devenu auteur-cinéaste, a débuté l'écriture de ses premiers scénarios, sur une petite machine à écrire. Des scénarios embryonnaires qui présageaient la force de patte d'un grand derrière une envie de cinéma jamais démentie, doublée de la volonté de vérité : en signant «Liberté», il démontre une nouvelle fois, qu'il n'a pas renié ses convictions premières. Cet opus, sans doute le plus militant et le plus bouleversant résulte d'un cheminement, mûri, abouti, à l'issue de vingt ans de réflexion et d'enquêtes. Tony Gatlif lève le voile sur le sort des Gitans durant l'occupation allemande en France. Et porte ainsi la reconnaissance de ce peuple au vu et au su de tous. Déjà en 1983, il réalisait, «Les Princes», long-métrage où il s'attachait à montrer son peuple sédentarisé en banlieue parisienne. L'œuvre avait séduit la critique et marqué un tournant dans sa vie de cinéaste, il mettait ensuite en image «Gadjo Dilo», «Vengo» ou encore «Swing», couverts d'une pluie de prix : Cannes, Berlin… Le temps des origines arrive enfin en 2004, avec «Exils». Un jeune couple Zano (Romain Duris) et Naïma (Lubna Zabal) décide de traverser la France et l'Espagne afin de connaître la terre qu'ont dû fuir leurs parents. «Je voulais me pencher sur mes propres cicatrices. Il m'a fallu quarante-trois ans pour retourner sur la terre de mon enfance, l'Algérie : 7.000 kilomètres en avion, en train, en voiture, en bateau, à pied et 55.000 kilomètres de pellicules». Salué par le public et la profession, «Exils», est récompensé par le Prix de la mise en scène 2004 à Cannes. L'homme alors âgé de 56 ans lâche sans ambages : «Lorsque j'ai été récompensé, je me suis dit que ce prix était celui de tous les métèques de France, notamment ceux du cinéma qui essaient de réaliser leurs films !» Et de poursuivre, qu'il n'a pas été facile de remettre le pied sur le sol natal, car «le pays vous oublie. Quand un émigré est de retour, il n'est plus le frère mais l'étranger, c'est douloureux». Ce démiurge du septième art continue de croire aux vertus de l'art, des êtres, de la musique. Si les manuels scolaires français n'évoqueront jamais l'histoire des Gitans au cours de la Seconde guerre mondiale, les séquences de «Liberté» ont indéniablement un goût d'enfance, un goût d'actualité, dans la France du XXIe siècle qui pourchasse les sans-papiers et leurs enfants. Comment ne pas penser à ces gamins, qui redoutent d'aller à l'école, par crainte de se faire expulser ? Comme les Tsiganes traqués par la police de Vichy et de la Gestapo dans la France de la Seconde guerre mondiale… Il y a des éclats de vérité dans le cinéma de Tony Gatlif. Et une mauvaise histoire qui n'en finit pas de se répéter…