Née en 1950 à Tlemcen, Latifa Ben Mansour s'est illustrée en romancière de la mémoire à partir du «Chant du lys et du basilic», publié en 1990 aux éditions Jean-Claude Lattès, puis réédité en 1997 à La Différence. «Le chant du lys et du basilic», c'est le roman de l'enfance tlemcenienne, revécue avec une sorte d'exaltation frémissante. Livre de célébration, mais aussi incantation tremblante, parce que le temps de la guerre croise le temps de l'enfance. L'Andalousie perdue se retrouve à Tlemcen, dans un hommage où le souvenir de Sidi Boumedienne, le mystique musulman qui protège la ville n'exclut pas Ephraïm Aïn Kaoua, le savant juif. Tlimsaïn, autrement dit : la ville des sources. Latifa Ben Mansour s'applique à restituer l'atmosphère familiale. Elle dit les secrets qui s'échangent entre femmes et révèle les audaces comme les douleurs. La petite Meriem devient orpheline de père et voici qu'elle constate que, dans sa ville, «un garçon valait six femmes. Ainsi l'avait décrété Le Livre Saint, ainsi l'avait dit la loi des musulmans, ainsi en avaient profité les vers de terre et les salauds» écrit carrément Latifa Ben Mansour. La conteuse alterne les confidences douces et des emportements de pamphlétaire féministe. Le ton est didactique, quand il n'est pas élégiaque, mais la sincérité du propos sauve l'ouvrage qui témoigne ardemment de la dignité des plus pauvres, les plus menacés dans leur vie, les plus abandonnés au hasard des expéditions punitives et dont les enfants prirent le maquis. Alors qu'en ce début du XXIe siècle, la notion de respect entre les individus semble parfois appartenir à quelque antiquité tardive, le récit de Latifa Ben Mansour déploie avec conviction une banderole en faveur de la considération due à autrui. Un jour, Mériem, à l'école, la petite élève musulmane a une camarade juive, Céline : «- Qu'est-ce que c'est juif, Fatma? - Juif, c'est comme Zhari qui vous a mis au monde, tes sœurs et toi. C'est comme le docteur Ayache qui vous soigne, c'est comme Mme El Bar, la couturière de ta mère, c'est appartenir à la religion israélite. Leur prophète est Sidna Moussa qui est aussi notre prophète. D'ailleurs, les musulmans et les juifs sont cousins». Latifa Ben Mansour dépeint Tlemcen comme bastion de la tradition. Elle trouve les mots, et les chiffres, pour dire la durée des offenses subies du fait de la colonisation. Au moment où l'indépendance va être proclamée, l'enfant compte : «Ils étaient privés (du droit de dire «Vive l'Algérie») depuis quarante cinq mille deux cent douze jours». Revendiquant l'égalité entre les hommes et les femmes, Latifa Ben Mansour écrit : «Ceux qui ont osé déclarer que le témoignage d'un homme vaut celui de deux femmes ont la mémoire courte. Lorsque ces femmes étaient entre les mains des paras, elles ne comptaient pas pour moitié d'homme. Mais pour des êtres à part entière». Toutes les désillusions qui surviennent du fait des luttes de pouvoir, du clanisme ou du népotisme sont avouées et avérées. Le récit se place sous la protection d'Etiemble : «Le premier cahier de chansons, ce fut la mémoire d'une femme ; et ainsi du premier recueil de contes… La femme se donna le souci et le plaisir de faire vivre ce que les hommes condamnaient à l'oubli». Latifa Ben Mansour cite également Sidi Abou Madyane : «C'est la corruption du peuple qui engendre le tyran et c'est à la corruption des grands qu'est due l'apparition des fauteurs de troubles». En somme, l'auteure du «Chant du lys et du basilic» est persuadée qu'un écrivain doit prendre en charge le pourquoi et le comment. En posant sur l'énigme sociale et politique le regard d'un enfant précoce, Latifa Ben Mansour allie la fraîcheur, la lucidité et l'émotion, l'accident de circulation dont est victime Mériem valant comme métaphore des transitions tumultueuses.