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Sur les pas de Donald Kaberuka
Publié dans Les ECO le 09 - 05 - 2010

C'est la première vue qu'offre le Japon, au terme de 12 heures de vol depuis Paris, alors que l'avion d'Air France entame sa descente à l'approche de l'aéroport international Osaka/Kansai : celle d'une lutte incessante, depuis toujours, pour élargir l'espace vital en gagnant de nouvelles terres sur la mer, image symbolique d'un peuple de 127 millions d'âmes réparties sur un archipel de 6.852 îles d'une superficie totale de 377.835 km2. «Un Etat fait toujours la politique de sa géographie». Cette maxime de Napoléon prend ici tout son sens : troisième ville du pays en nombre d'habitants (2,7 millions), Osaka en est la capitale industrielle et commerciale, un pôle régional (Osaka- Kansai) qui concentre dans un espace restreint toutes les grandes marques d'industrie, les centres de recherche et de développement, les activités de haute technologie, les plate-formes de distribution, etc.
Un passage obligé
Un passage obligé pour comprendre l'histoire d'un pays dépourvu de toute ressource naturelle et dont l'utilisation de la matière grise fut le principal levier d'une (r) évolution qui, de 1945 aux années soixante, lui a permis de devenir la deuxième puissance économique mondiale. Au prix parfois d'un dilemme existentiel, fondé sur la crainte que l'occidentalisation et la modernisation du pays, ne lui fassent perdre son âme et ses traditions. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, malgré un héritage politique lourd et douloureux, les dirigeants politiques ont su, néanmoins, se tourner résolument vers l'avenir, en opérant des choix stratégiques majeurs autour du développement économique, de l'éducation, et de la santé. Ce n'est donc pas sans raison que Donald Kaberuka, président de la Banque africaine de développement (BAD) avait précisément choisi Osaka comme point d'entrée de son voyage officiel au Japon. Une visite aux enjeux majeurs pour le représentant économique d'un continent à ce point différent du Japon, riche d'espaces immenses, de matières premières et de potentialités humaines, mais dont l'histoire, tout au long de la seconde moitié du XXe siècle, constitue autant de rendez-vous différés – et c'est un euphémisme – avec le développement. Des enjeux qui supposaient un voyage minutieusement préparé : les différents départements de la banque ont travaillé les dossiers, préparé les fiches, les argumentaires, organisé la logistique. Une équipe de dix personnes, (parmi lesquelles Modibo Touré et Zate Zoukpo, deux hommes clés du cabinet du président, en plus de Moktar Gaouad, en charge de la communication) est déjà à l'œuvre, deux jours avant l'arrivée du président, sur le terrain, dans les ministères, préparant les réunions et réglant les derniers détails.
Rythme soutenu
Une visite dont le programme doit se dérouler à un rythme soutenu, dont chaque rendez-vous doit être un moment fort et fécond, destiné certes à offrir une image positive de l'Afrique, mais surtout, concrètement, à favoriser la construction d'une véritable relation économique entre le continent noir et le pays du Soleil Levant. C'est dans cet esprit que Donald Kaberuka a souhaité consulter, dès son arrivée, ses principaux collaborateurs – en plus de sa jeune assistante zimbabwéenne, Andreata Muforo qui fait partie d'une quarantaine de «young professionals» de la BAD ; des stagiaires venus des cinq continents, issus des meilleures universités ou grandes écoles – avec lesquels un premier point est fait immédiatement sur les principaux rendez-vous de la journée. Ici, dans cette ville industrieuse et travailleuse, les grands groupes japonais, mondialement connus à travers leurs marques – Toyota, Nissan, Honda, Mitsubishi, Canon, Panasonic, Sony, Akai, Sharp, Nintendo, etc. – qui ont fait d'Osaka le premier centre économique et industriel du Japon. Industrie automobile (première place), électronique (deuxième place), construction navale, économie de services sont le fer de lance de l'économie d'un pays qui ne cesse de se lancer des défis dans des secteurs de pointe. Avec l'appui de l'influente Kansai Association of Corporate Executives, un séminaire a été organisé pour séduire cette cible. Quelque 110 chefs d'entreprises, managers et cadres sont attendus. Donald Kaberuka a choisi de leur tenir un langage direct : «Je ne suis pas venu ici pour demander de l'aide, mais pour vous décrire les atouts d'un continent d'avenir, dont plus de 60 % de la population ont moins de 25 ans, et où il y a de réelles opportunités pour les entreprises japonaises d'investir». Suivent deux films : un historique de la BAD ainsi qu'une présentation des opérations de partenariat déjà en cours avec le Japon ; puis les exposés des membres de la délégation, notamment de Tim Turner directeur du département secteur privé et de Tetsuya Utamura, représentant du Japon au Conseil d'administration de la Banque. Mais les échanges qui se déroulent ensuite avec la salle donnent la mesure de la prudence et d'une certaine frilosité qui restent de mise. À quelques exceptions près, l'Afrique est un continent assez étranger à l'univers entrepreneurial nippon qui n'aime guère évoluer dans le clair-obscur. Les entreprises japonaises ont besoin d'être rassurées par un parcours balisé, avec des repères clairement identifiés. La rigueur, l'obsession du détail, une certaine rigidité même, cantonnent souvent l'homme d'affaires japonais dans certains domaines et sont autant de barrières qui ont besoin d'être franchies pour lui faire entrevoir de nouveaux horizons. L'ascension de la Chine, son omniprésence et son entrisme sur le continent africain sont toutefois en train de pousser les Japonais à sortir de leur insularité et à mettre en place une stratégie nouvelle envers l'Afrique. Non seulement pour ses matières premières mais également pour son potentiel en tant que marché pour les produits nippons. Deuxième étape, Tokyo. Week-end oblige, ce moment a été consacré, pour quelques-uns, à la visite de l'Osaka historique ou de certains monuments. Une manière d'appréhender d'autres facettes de la réalité du pays. Le président Donald Kaberuka et sa délégation rejoignent, séparément, la capitale japonaise. À cet égard, voyager à bord du Shinkansen ou Bullet train, le TGV japonais qui parcourt en 2 h 40 un trajet de 556 km, est une expérience qui mérite le détour. C'est l'occasion de découvrir la densité d'un réseau ferroviaire qui permet de décloisonner l'ensemble du territoire nippon. Le président de la BAD rêve, un jour, de transposer cet exemple à l'Afrique pour la sortir de son enclavement actuel. Pour lui, «c'est une nécessité afin de lutter contre l'atomisation et le morcellement du continent». Arrivée à Tokyo, la délégation enchaîne rencontres et réunions. Tout d'abord avec Kuniki Nakamori, directeur général résident du bureau japonais de l'Asian Development Bank. L'expérience de cette institution, comparable à celle de la BAD, est toujours utile à mieux connaître et à cerner. Donald Kaberuka reste à l'affût de toutes les idées susceptibles d'être appliquées à l'Afrique. Puis avec Naoto Kan, vice-Premier ministre et ministre des Finances. Pour des raisons protocolaires strictes, seuls le président et ses collaborateurs directs (MM. Touré et Zoukpo) assistent à la rencontre. Le Japon cultive un surprenant paradoxe : malgré une présence humaine réduite à la portion congrue sur le sol africain, il se situe dans le peloton de tête en matière d'aide au développement. Cette générosité procède de son histoire. Détruit en grande partie par les ravages de la Seconde Guerre mondiale, le pays – démilitarisé – n'a pu se reconstruire que grâce au génie de son peuple et à l'aide de la Banque mondiale, notamment. L'implication du Japon en tant qu'actionnaire important de la BAD est un signe supplémentaire de ce volontarisme. C'est ainsi qu'il participe au Fonds d'aide au développement (FAD) depuis 1973, et à la BAD depuis 1982. Plusieurs institutions structurent et encadrent la politique de l'archipel dans ce domaine. D'où la (nécessaire) rencontre avec Hiroshi Watanabe, président- directeur général de la Banque japonaise de coopération internationale (JBIC) ou celle de Mme Sadako Ogata, présidente de JICA, l'Agence pour la coopération internationale dont l'objectif est d'expliquer l'argumentaire de la BAD pour conforter sa demande d'augmentation en capital afin de faire face aux besoins des pays africains. Cette idée est, en quelque sorte, le fil rouge de ce séjour de travail.
La presse, loin d'être oubliée
La presse est loin d'être oubliée dans ce programme : ce déjeuner, co-organisé avec le Foreign Correspondents' Club of Japan, permet à Donald Kaberuka de préciser, à la trentaine de journalistes et correspondants accrédités, les enjeux de cette visite et lui donner la résonance voulue. Le président de la BAD n'élude aucun sujet – y compris celui de son pays, le Rwanda, dont il a été pendant de nombreuses années le ministre des Finances de l'actuel président, Paul Kagamé. Plus tard, dîner sur invitation de M. Nakao, directeur général du ministère des Finances. La dernière étape du voyage démarre par un petit-déjeuner de travail avec les ambassadeurs africains en mission à Tokyo (African Diplomatic Corps Japan, ADC) et membres du Comité TICAD IV. Quarante quatre diplomates sont présents, cornaqués par Stuart H. Comberbach, ambassadeur du Zimbabwe – en charge de l'organisation de cette réunion – et Gabriel Alexandre Sar, ambassadeur du Sénégal et doyen du corps diplomatique. Moment fort, car tout a été dit, ou presque, lors de cette réunion, sur les relations Afrique-Japon. Il a même été suggéré au président de la BAD d'ouvrir un bureau régional dans la capitale nipponne : une proposition qui risquerait de faire des jaloux ou d'inciter d'autres pays non régionaux – les pays non africains – à faire des requêtes en ce sens. Un exemple, en tout cas, de l'efficacité de l'Afrique à imposer ses vues lorsqu'elle parvient à harmoniser ses positions et à parler d'une seule voix. Un peu plus tard, le président de la BAD poursuivra ses audiences avec d'autres responsables politiques au ministère des Affaires étrangères, puis au ministère de l'économie, du commerce et de l'industrie. À chacun de ses interlocuteurs, il expliquera les mille et une raisons d'investir en Afrique et affirmera que la BAD mettra ses compétences et son expertise et ses moyens au service de cette coopération afin d'inciter les acteurs nippons, notamment dans le secteur privé, à s'impliquer sur le continent. En fin de programme de ces multiples rendez-vous : rencontre, dans un des nombreux immeubles du groupe Mitsubishi, avec Kazuo Korenaga, responsable de la stratégie d'investissements du groupe en Afrique. Au Japon, les grandes entreprises sont au cœur d'une économie qui a fait de la recherche et du développement l'axe majeur pour se développer et conquérir des marchés dans le monde entier. Le groupe développe une véritable stratégie d'implantation sur le continent africain. Ses 14 bureaux pourraient permettre de réaliser des articulations entre Mitsubishi et la BAD pour le développement d'un véritable partenariat dans le secteur privé. Le Japon, en crise d'identité ces dernières années, est taraudé aussi par des interrogations existentielles dues à l'émergence de la Chine, de la Corée et à celle d'autres pays asiatiques. Dans ce contexte, les dirigeants politiques tentent, malgré les angoisses et les craintes, d'anticiper les changements de rapports de forces économiques en cherchant des alliances ou de mener une politique «plus agressive» dans de nouvelles aires géographiques où la Chine, suivie de l'Inde et du Brésil, se font de plus en plus présents sur le terrain. Pour autant, l'expérience japonaise est-elle un modèle d'inspiration pour l'Afrique ? Le président de la BAD le pense volontiers. Modèle d'inspiration, certes, mais situations de départ fortement contrastées, aussi, comme on a pu le constater sur place : tout distingue, a priori, un petit pays insulaire dépourvu de ressources naturelles d'un immense continent regorgeant de matières premières. Raison supplémentaire de croire aux perspectives offertes par la synergie qui pourrait naître de la mise en commun de leurs potentiels. De ce point de vue, l'Asie, à travers son mode d'évolution et ses expériences différenciées, est le pôle de puissance qui compte et comptera à l'avenir. Positionner l'Afrique et l'insérer dans cette dynamique, c'est tout le sens de la visite du président Donald Kaberuka, avec cette idée-force : vanter aux Japonais les mérites du continent, «avec la BAD comme institution de référence».
(Article paru sur le numéro de mai-juin 2010, avec accord de African Manager)


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