L'affaire de la Marocaine Najwa Malha, 16 ans, a rouvert le débat sur le port du voile en Espagne. Cette jeune Espagnole de confession musulmane comme la définissent les médias espagnols a porté le voile dans son lycée madrilène, contrairement au règlement interne de cet établissement public qui interdit tout port de signe religieux. Son acte a levé le voile sur l'épineux sujet des libertés individuelles face au respect des normes établies par les institutions publiques. L'affaire s'est déclenchée quand cette adolescente a décidé, de son plein gré, comme elle n'a pas cessé de le répéter devant les caméras, de porter le voile islamique dans l'enceinte de son établissement scolaire. D'ailleurs son père, président d'une association musulmane, l'avait dissuadée de le faire, du moins jusqu'à ce qu'elle intègre l'université. Le conseil du lycée Camilo José Cela à Pozuelo de Alarcon où la jeune fille suivait sa scolarisation, a décidé, en toute conformité avec son règlement interne, ne cesse t-il de le réitérer, de la suspendre des cours. Najwa a été séparée de ses camardes de classe. Elle a été en revanche admise dans une salle de visites du lycée où ses camarades lui fournissent les cours à la sortie des classes. Mais face à la sur-médiatisation de l'affaire, Najwa a boycotté son lycée et s'est vue contrainte de rester recluse chez elle en attendant qu'on statue sur son sort. Le conseil de l'établissement lors d'une réunion de ses membres a campé sur sa position, arguant que le règlement intérieur interdit de se couvrir la tête ou de s'habiller d'une manière provocatrice. D'ailleurs, le directeur du lycée a fait savoir que les règles de l'établissement sont claires et connues des parents d'élèves, indiquant au passage que l'institut est laïc et public. Les parents des élèves de cet établissement, assaillis par les média, compatissent avec l'adolescente. Néanmoins, la quasi-majorité a souligné que si le port du crucifix est interdit, le port du voile devrait être banni aussi. L'affaire est du pain bénit pour les partis d'extrême droite pour crier au «loup islamique». C'est de la sorte que des autocollants comportant des messages de «Stop islamisation» et «non aux mosquées» ont fait leur apparition sur le portail du lycée de Najwa. Le fait divers s'est converti en controverse politique. La famille a intenté une série de démarches dont un recours présenté par le père de la jeune fille auprès du conseil de l'éducation de Madrid, mais sans succès. Normal, la droite espagnole gouvernant la communauté de Madrid ne rate aucune occasion pour affirmer ses positions contre toute «déferlante islamique». Le gouvernement régional de Madrid a applaudi l'interdiction et a défendu l'autonomie des centres éducatifs à dicter leurs propres lois. Dans cette marée de déclarations et de ripostes, plusieurs associations marocaines et musulmanes sont venues à la rescousse de la lycéenne et de sa famille. En guise de solidarité, des Marocaines camarades de Najwa ont porté le voile jusqu'aux portes du collège. Pour sortir de ce dilemme, les autorités ont proposé à la famille de transférer Najwa à un lycée dans la même localité et dont les règles internes ne prohibent pas la manifestation des signes religieux. Proposition écartée par les parents. Mais au-delà de cet affrontement entre cette famille marocaine et le conseil du lycée, l'affaire a remis sur les devants de la scène politique, l'intégration des communautés musulmanes au sein de la société espagnole. Les lois sur l'intégration et la cohabitation font défaut à ce pays qui jusqu'à un passé très proche était émetteur d'émigrés. D'ailleurs, au sein des deux tendances politiques, la droite et les socialistes, la confusion règne et les avis sont partagés. La ministre de l'Egalité (socialiste) a indiqué «qu'elle n'aimait aucun voile mais optait pour la tolérance». Des voix se sont élevées pour faire prévaloir le droit de la jeune fille à l'éducation et atteindre une solution loin de la surenchère politique. C'est le cas des ministres de l'Education et de celui de la Justice, qui ont appelé à une solution qui préserve le droit de la jeune fille à la scolarisation. L'Eglise catholique a pris part à ce débat en déclarant que le voile n'était pas interdit et que la décision du lycée était anticonstitutionnelle, en se basant sur l'article 16 de la Constitution lequel garantit ce droit. Sur cette même ligne, la loi sur les libertés religieuses de 1980 stipule que le fait de pratiquer une religion inclut le droit de manifester ou de se vêtir en concordance avec cette religion à condition que cela n'altère pas le droit des autres ni l'ordre public. Plusieurs éditorialistes ont soutenu la démarche de Najwa, en présentant l'exemple des moniales qui se couvrent la tête dans les espaces publics, sans que cela ne provoque de commentaire. Or, cet avis n'est pas partagé par l'Espagnol lambda. Ce signe religieux est interprété par les Espagnols comme une soumission des femmes, contraintes à le porter sous une impulsion masculine, quelle soit celle du père, du frère ou du mari. Il faut dire que la société espagnole pêche par sa grande ignorance des pratiques musulmanes. Selon le commun des mortels, les femmes dans le monde musulman sont toutes soumises. Et les Espagnols pensent que sur leur terre, cette soumission devrait être abolie, car elle met une barrière à l'intégration dans la société d'accueil. Face à ces incidents sur les libertés religieuses qui ne cessent de se répéter, le gouvernement étudie, depuis un moment, une loi pour réguler ce champ. Mais selon la presse espagnole, la loi n'est pas pour demain. D'ailleurs, le gouvernement a déclaré ouvertement qu'il n'adoptera aucune mesure d'interdiction ou de permission. Aux dernières nouvelles, Najwa devait intégrer hier mardi l'institut Geraldo Diego, un établissement proposé par le département de l'Education, dont le règlement tolère le port du voile. Ce choix intervient après que le premier lycée proposé ait procédé, dans la foulée, à une modification de son règlement intérieur pour interdire la couverture de la tête et ce dans l'objectif d'empêcher que Najwa y poursuive sa formation. Mais le cas est loin d'être classé. Sa famille compte aller jusqu'au tribunal constitutionnel pour invalider la décision du département de l'Education qui a confirmé la décision de l'expulsion de Najwa, a t-elle indiqué par le biais de son avocat. En attendant un verdict, d'autres Najwa risqueront de surgir. La loi de l'ignorance L'Espagne n'en est pas à son premier conflit avec le voile islamique. Cette polémique a surgi en 2002 avec le cas de Fatima El Idriss à Madrid, suivis de plusieurs cas dans les présides occupés de Sebta et Melilia occupés et dans d'autres régions de la péninsule ibérique. Dans certains cas, l'étudiante et sa famille, de leur propre chef, optent pour un changement d'établissement pour éviter toute polémique. Mais l'administration a aussi lâché du lest. Cela s'est produit en 2007, dans la région catalane, quand une fillette de 8 ans a assisté aux cours avec le voile, acte non tolérée par l'administration de l'école, qui a vu dans cette démarche une discrimination. La famille marocaine a pensé revenir au Maroc quand le gouvernement catalan a ordonné de réadmettre l'élève pour sauver sa scolarité, car le droit à l'éducation l'emporte sur les normes du centre, a-t-il précisé. Il faut signaler que tous les protagonistes des affaires du voile sont des Marocaines. Le cas le plus éloquent est celui de l'avocate marocaine Zoubida Barik, expulsée de la Cour par un juge de l'Audience Nationale pour avoir porté le voile dans l'enceinte de la salle d'audience. Zoubida avait beau dire au juge qu'il n'existait aucune loi interdisant de se couvrir la tête, son jugement a été sans appel : «Ici, c'est moi qui commande !» Me Zoubida a déposé une plainte auprès du conseil général du pouvoir judiciaire. L'instance judicaire a donné raison au juge, car selon son verdict, le seul couvre-chef admis est la toque du juge. Dans une rencontre organisée par le quotidien El Mundo au profit de ses lecteurs et où Me Zoubida est intervenue pour expliquer les circonstances de son expulsion, une poignée de lecteurs n'a pas cessé de lui demander pourquoi les Occidentales devaient se couvrir la tête pour se présenter devant un juge dans un pays musulman et que les femmes musulmanes ne respectaient pas les normes des pays d'accueil ! L'affaire est à présent devant la Cour Suprême.