Sacrée révélation ! «Les entreprises qui ont une forte représentation féminine dans leurs fonctions de direction seraient plus performantes». C'est la conclusion à laquelle aboutit une étude récente du cabinet McKinsey. L'enquête constate aussi que les entreprises qui ont le mieux géré la crise sont celles dont les comités de direction sont mixtes. Mais si ces révélations sont pleines de sens, il n'en reste pas moins que la réalité s'avère plus déplorable. En Europe, alors qu'elles représentent 55% des diplômés de l'enseignement supérieur, le taux d'emploi des femmes est inférieur de 21% à celui des hommes. Elles sont 33% à occuper un emploi à temps partiel contre 7% seulement pour les hommes. Parmi les sociétés cotées d'Europe, seules 11% comptent des femmes dans leurs instances dirigeantes. En plus de cela, des disparités fortes subsistent dans le type de postes occupés et dans la rémunération, notent également les enquêteurs de McKinsey. A compétences égales, la différence de salaire entre les sexes est estimée à 15% en moyenne dans l'espace européen. Au Maroc, cette réalité se confirme davantage. Les femmes sont 52% dans l'enseignement supérieur mais leur taux d'activité est trois fois inférieur à celui des hommes (25,8% contre 75,3%), selon le Haut commissariat au plan. Comment explique-t-on aujourd'hui ces paradoxes au sein de l'environnement socioéconomique ? Comment envisage-t-on l'entreprise de demain lorsque les femmes prendront les commandes ? En quoi la mixité est-elle un levier de la performance organisationnelle ? Problème de société et problème de femmes La pertinence des analyses actuelles sur la sous-représentation des femmes dans l'univers économique est qu'elles ne se bornent plus à l'examen des entraves liées aux systèmes, elles dévoilent également les limites que se fixent les femmes elles-mêmes en matière de carrière et d'évolution sociale. Les systèmes organisationnels sont sans doute encore calqués sur une logique de masculinité et le schéma de carrière proposé par les entreprises est axé sur la disponibilité et la mobilité. Mais dans le contexte actuel, le principal frein à l'évolution des femmes serait lié, toujours selon l'enquête, à leur manque d'ambition. Seules 15% des femmes hautement diplômées se fixent la conquête du pouvoir comme objectif, contre 27% en moyenne chez les hommes. Ceci est dû au fait que d'une part elles accordent peu ou pas d'importance à la logique de la compétition pour gravir les échelons, qui restent le modèle prédominant dans les organisations. Ainsi, alors que les hommes valorisent de façon affirmée leurs compétences, elles ont tendance à minimiser les leurs. A cela s'ajoute ce que les enquêteurs appellent, « le syndrome du double fardeau» ou la difficulté qu'ont les femmes à concilier vie privée et vie professionnelle. Ceci, explique-t-on, est le résultat de deux situations combinées. Il s'agit d'une part du fait de la prédominance du modèle masculin dans les codes d'ascension professionnelle (agressivité, mobilité, disponibilité) auxquels les femmes ont du mal à s'adapter et, d'autre part, de la considération importante qu'elles ont de leur implication dans la gestion familiale (besoin de consacrer plus de temps à leurs enfants). A ce propos, Salwa Karkri Belkeziz, parlementaire et chef d'entreprise, témoigne : «J'ai vu de jeunes filles qui au début de leur carrière étaient d'excellents cadres, mais il a suffi qu'elles se marient pour qu'elles se démotivent complètement. Et contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce ne sont pas toujours les maris qui freinent leur carrière». Ce qui fait que les suspensions volontaires de travail concernent beaucoup plus les femmes (37% contre 24% chez les hommes), et 74% d'entre elles qui à un moment ont arrêté leur carrière ne parviennent plus à la reprendre. Alternatives Mais la mixité, indique l'enquête de McKinsey, est un atout stratégique pour l'entreprise, et ceci pour plusieurs raisons. Pour s'adapter aux évolutions sociales, les entreprises ont besoin d'intégrer les femmes dans leurs organes de décision. Ces dernières pèsent fortement dans les décisions d'achat. En Europe, elles représentent 51% de la population globale, mais seraient à l'origine de 70% des achats familiaux, expliquent les enquêteurs. La mixité aurait également un impact positif sur l'image de l'entreprise mais aussi sur la motivation des collaborateurs, la satisfaction clients et les performances financières. Outre ces aspects, la carrière féminine dans ce contexte de rareté de compétences est une option intéressante pour prémunir l'entreprise contre le manque de talents. Que faut-il faire alors pour encourager l'évolution professionnelle des femmes ? Plusieurs solutions sont aujourd'hui envisagées. En France par exemple, une loi visant à fixer un quota de 40% de femmes dans les conseils d'administration des entreprises est actuellement en gestation. Mais pour beaucoup d'analystes, imposer des quotas n'est pas tout à fait une solution idoine. Pour changer la donne, estiment-ils, les modèles organisationnels doivent être réadaptés en prenant en compte les contraintes de l'élément féminin et de la nécessité pour lui d'avoir un équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Mais il incombe également aux femmes de faire preuve d'initiative, de se faire valoir et de s'impliquer dans le tissu socioéconomique, via les réseaux, les associations, les organisations sociales ou politiques diverses. Car, ainsi que le souligne Salwa Karkri Belkeziz, les hommes ne ferment jamais les portes à clé... il suffit de les pousser pour qu'elles s'ouvrent. Salwa Karkri Belkeziz : Parlementaire et chef d'entreprise Sur 31 millions d'habitants au Maroc, 50,7% sont des femmes. Dans l'enseignement supérieur, celles-ci représentent 52% et, en matière d'emploi, 27% des chômeurs. Lorsqu'on observe les chiffres, l'on se rend compte donc que plus on avance dans la réalité économique, plus les femmes disparaissent des statistiques. Combien y a-t-il de femmes directrices d'office, de grand groupe au Maroc ou d'institution ? Très peu. Des exemples concrets matérialisent ce constat. L'APEBI (Association des professionnels des technologies de l'information), par exemple, compte 120 membres dont 4 femmes seulement, le Conseil de la concurrence 21 membres tous masculins... Un autre exemple plausible, lors des assises de l'industrie (événement clé de l'économie) qui ont eu lieu il y a quelques jours, il y a eu 36 intervenants mais aucune femme n'y figurait. On ne peut espérer un développement national si des initiatives ne sont pas prises pour changer cette réalité. Celles-ci doivent provenir d'abord des femmes, qui doivent travailler sur elles-mêmes pour transformer leurs conditions, en s'engageant dans des réseaux et en s'impliquant plus dans la vie économique et politique. Aussi, la corrélation entre égalité de sexe et développement humain étant une évidence, cette considération doit être prise compte dans l'initiative nationale pour le développement humain mise en place par le Royaume. Hervé Streichenberger : Directeur Général l'Oréal Maroc L'Oréal compte 70.000 collaborateurs dont les 2/3 sont des femmes. Parmi les managers, 53% sont de sexe féminin. En matière de recherche (R&D), l'Oréal compte 3.000 chercheurs dont les 60% sont des femmes. Les types de produits les plus fous créés dans la filière du maquillage sont des créations féminines. Mais chez l'Oréal, le management homme-femme n'est pas un débat. Ce sont les qualités de l'un ou de l'autre sexe qui le font promouvoir. Parmi ces qualités, on peut citer la sensibilité au métier (aimer la beauté et avoir du goût), l'imagination, la force du caractère, l'ouverture, le pragmatisme et le leadership. En somme, à travers ces qualités, nous demandons à nos équipes d'être à la fois poètes et paysans, c'est-à-dire d'être des rêveurs pratiques. Notre constat est que les qualités recherchées par notre groupe, nous les retrouvons plus chez les femmes. Par exemple, elles n'ont pas besoin de hausser le ton pour se faire comprendre. Elles ont une empathie et une sensibilité naturelles qui leur permettent de comprendre les autres et de se faire comprendre. Ces compétences sont difficiles à acquérir par un homme. Aussi, une entreprise mixte est agréable dans la mesure où les éclats de rire des femmes égayent l'ambiance, et dans notre métier, nous avons besoin de la bonne humeur et de l'humour pour être créatifs.