Pourquoi nos politiques sont-elles aujourd'hui réduites à la croissance économique, au PIB, au pouvoir d'achat...? La mondialisation n'a-t-elle pas inhibé l'épanouissement, au détriment d'un individualisme cloisonnant les hommes dans un monde devenu pourtant comme un grand village ? Doit-on alors régénérer ces mêmes politiques, pour que nos sociétés réapprennent à espérer ? Edgar Morin, philosophe, sociologue émérite et un des plus illustres penseurs contemporains, a décidé humblement de répondre à ces quelques questions fondamentales, lors d'une conférence-débat, organisée mardi dernier à Casablanca, par le centre de recherche Links. Plus qu'une simple conférence, l'évènement était en vérité une séance d'hygiène intellectuelle, de retrouvailles avec un esprit vif, avec un visionnaire au regard perçant sur les sociétés contemporaines. La trinité humaine Dès les premières phrases, devant une assistance venue en masse, Edgar Morin place très haut la barre, avec toutefois une simplicité linguistique accessible. Cet exercice n'est pourtant pas évident lorsqu'on est, entre autres, l'auteur de «Introduction à la pensée complexe», un ouvrage philosophique destiné aux ... philosophes. Premier postulat sur lequel s'accorde l'assistance : le monde vit actuellement une crise planétaire multiforme. Une crise culturelle de la pensée et de la connaissance. «Les idéaux du XIXe siècle ne suffisent plus à décortiquer la crise, car le devenir s'est accéléré et les interférences se sont multipliées», explique Edgar Morin. C'est alors qu'une régénération de la politique devient plus q'une nécessité pour sortir de cette crise mondiale. Comment ? L'équation paraît difficile à résoudre, du moment que l'on est devant une situation où interfèrent la morale de l'individu, celle de la société et celle de l'espèce humaine. «Il faut trouver une politique fondamentalement différente, qui repose sur la trinité humaine et qui définit l'être comme un individu, un aspect de la société et une partie de l'espèce humaine», répond Morin. Le philosophe étaye encore plus ses dires. Pour lui, cette approche remettrait au devant de la scène l'Homo sapiens qui a été relégué au second plan par l'Homo economicus. La politique y a son mot à dire, puisqu'elle devrait promouvoir la liberté en développant un sentiment communautaire. Ce dernier, à ne pas confondre avec l'altruisme, qui peut verser dans la vénération de l'autre, impliquerait alors deux fondamentaux pour construite une éthique de la politique : la solidarité et la responsabilité. Les méfaits du tout économique Tous les peuples et tous les Etats y aspirent et Morin ne le nie pas : «Depuis le début des années 90, le développement des sociétés occidentales a presque définitivement enterré les solidarités traditionnelles». L'Occident, exemple de la modernité, aurait donc confondu progrès économique et bonheur des peuples. Pour Edgar Morin, un développement économique induirait un sous-développement humain. Sauf, évidemment s'il s'imprègne de valeurs morales universelles. Toujours sur la même lancée, ce tout économique a également déteint sur la démocratie. Résultat : des phénomènes sociaux étendus, tels l'égocentrisme, l'isolement, l'immoralité... La mondialisation et la généralisation du capitalisme, telles que nous les vivons, sont plus basées sur la quantité et non sur la qualité, comme le précise Morin. Elles entraînent alors un effet d'uniformisation qui menace la diversité des idées et la divergence des opinions. Que faut-il alors faire pour sortir de ce guêpier ? «Il faut repenser ce processus qui concerne notre destin à tous qu'est la mondialisation et stopper la standardisation, qui menace les cultures, leurs vertus et leurs spécificités», répond Edgar Morin. L'humanité est donc sommée de devenir solidaire pour faire face à ses propres défis, comme le réchauffement planétaire, la prolifération nucléaire et la dégénérescence économique. Il faut promouvoir l'agriculture vivrière et biologique, développer l'artisanat régional ou encore l'économie solidaire, tout en encourageant sur le plan mondial la solidarité ou encore les échanges culturels. Sur une note optimiste, Morin rappelle que l'humanité regorge de forces de vie pour enclencher et développer un mouvement de régénération pour maintenir l'espérance. Car il n'a jamais existé meilleur jalon dans l'histoire de l'homme, que le combat pour la survie.