Saviez-vous que le Centre des jeunes dirigeants (CJD) siégeait au Conseil d'administration de l'Agence nationale pour la promotion de la petite et moyenne entreprise (ANPME), en tant que partenaire associatif ? Saviez-vous qu'il siégeait, également, au sein des commissions de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) ? Vraisemblablement pas, tout comme la grande majorité des personnes que nous avons sondées à propos de ce mouvement associatif des jeunes entrepreneurs. Ce mouvement est présent aujourd'hui sur la scène en tant notamment que partenaire de différents ministères et en tant qu'organisateur de plusieurs rencontres. Cela fait dix ans qu'il existe, mais sait-on vraiment tout de ses ambitions, de ses orientations initiales, de ses prouesses ou de ses échecs ? Il y a une décennie, en effet, le Centre des jeunes dirigeants ouvrait sa première antenne au Maroc, avec un torrent d'ambitions. Conformément à la philosophie de son réseau mère (le CJD France, fondé en 1938), la section marocaine envisageait de révolutionner le champ entrepreneurial national. Il faut dire que sur ce créneau, le mouvement a fait bien du chemin au regard de son positionnement dans les centres de décisions d'un certain nombre d'entités. Cependant, comme l'a expliqué l'un des membres fondateurs du CJD, la création du mouvement au Maroc visait comme objectif ultime de créer une rupture avec la conception ancienne de l'entreprise et à œuvrer à changer les mentalités pour que la jeunesse marocaine puisse entreprendre autrement. Entreprendre autrement, dans l'optique du mouvement, c'est promouvoir une économie au service de l'Homme, constituée d'entreprises transparentes et dont la performance est tridimensionnelle (économique, sociale et sociétale) et qui profite à tous ses acteurs (les dirigeants, les salariés, la collectivité...). La vocation du CJD était donc d'apporter de nouvelles réflexions, d'être innovateur dans le champ des idées et du débat économique et social et d'influencer les individus et les institutions pour créer le changement. Au nom de la Responsabilité sociale Ce que le mouvement a plus ou moins réussi. De l'avis d'une large frange de l'opinion publique, y compris pour ses sympathisants, le réseau CJD est aujourd'hui plus connu pour ses innombrables conférences et débats sur les problématiques économiques et entrepreneuriales. Au delà de cet aspect, le réseau compte pourtant à son actif des réalisations avant-gardistes pour l'économie marocaine. Dès 2001, c'est le CJD qui introduisait au Maroc le concept de Responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) et qui élaborait un manifeste pour la croissance et l'emploi prônant une quinzaine de mesures courageuses. Certaines d'entre elles, comme la réduction du capital minimum requis, pour favoriser la création d'entreprise ont été adoptées par le gouvernement, mais une grande partie des quinze mesures (l'indemnité pour perte d'emploi, le droit à la formation continue pour les salariés, l'emploi des handicapés....) sont restées lettres mortes. Selon les membres du mouvement, la plupart des réformes actuellement dans le pipe du champ économique avaient déjà été proposées par le CJD dans les années 2000. Le témoignage de Jamal Belahrach, co-fondateur du CJD et aujourd'hui président de la Commission emploi de la CGEM, confirme cette assertion. En élaborant le Pacte pour l'emploi en janvier dernier, Belahrach affirme avoir pioché dans les propositions faites par le Centre des jeunes dirigeants dans le manifeste de la croissance. «Il s'agissait de belles propositions, mais qui n'ont pas eu d'écho. En les reproposant par le biais la CGEM, j'étais certain qu'elles seraient prises en compte», nous confie Belahrach. Et il a vu juste, car l'influence de la CGEM et le contexte aidant, le Pacte national pour l'emploi est pris très au sérieux par le gouvernement. En 2006 aussi, le CJD mettait en place le forum des métiers, une action importante, visant à accompagner les élèves des collèges et des lycées dans le choix de leur voie, en leur présentant diverses professions. Le mouvement a ensuite enchaîné en militant en faveur de l'introduction de la formation à l'entrepreneuriat au niveau des universités. Ces initiatives sont certes aujourd'hui reprises par l'Etat et le ministère de l'Education a fini par les institutionnaliser, mais il aura fallu attendre cinq années pour que cela puisse se faire. Il y a quelque temps encore, le CJD initiait le projet «Bidaya» pour promouvoir l'auto-entrepreneuriat et à présent, un texte de loi pour concrétiser ce projet est en cours de préparation. Cependant, selon des confidences de membres du réseau, si les choses sont allées si vite sur ce dossier, c'est surtout grâce au soutien de quelques alliés au niveau du RNI. Les actions novatrices de ce type, le CJD en compte un bon paquet dans ses annales. On peut notamment citer la journée nationale de l'entreprise, le Global entrepreneurship week, le Forum politique, la Course de l'entrepreneur... Mauvais lobbyistes ? Constat : en dépit de leur caractère novateur et utile au progrès des entreprises et de l'économie nationale, les actions du CJD ne retentissent que lorsqu'elle sont portées par une autre voix que le CJD lui-même, en l'occurrence le gouvernement ou le patronat. Ce qui pose donc la problématique de la capacité du mouvement à influencer alors même que le lobbying fait partie de ses vocations. Même au sein de ses membres, certains estiment que le fait que le CJD soit toujours contraint de se mettre sous la coupe des autres acteurs pour faire avancer ses idées et ses positions est une preuve qu'en dix ans d'existence, il n'a pas réussi à être efficace en matière de lobbying. Ils expliquent qu'étant donnée la pertinence de ses initiatives, le CJD devrait être un complément de la CGEM, car il est capable d'oser dire et faire des actions que le patronat, du fait de son statut de syndicat ne pourrait pas entreprendre. Les dirigeants actuels du réseau affirment, quant à eux, que le mouvement étant une association indépendante, il n'impose pas de copyright sur ses actions et n'en revendique pas la paternité. Selon leurs explications, les actions du CJD seraient donc des «open sources» que chacun peut reprendre à son compte, en associant ou pas le réseau. Néanmoins, il y a une autre raison avancée pour expliquer l'influence limitée du mouvement. Le CJD, explique-t-on, dont les membres devraient être uniquement des entrepreneurs et des cadres dirigeants compte aujourd'hui beaucoup de cadres moyens parmi ses adhérents. «N'étant ni dirigeants ni entrepreneurs, ils viennent vers le réseau juste parce qu'il offre des espaces de débats qu'ils ne trouvent pas ailleurs. Le réseau gagne en masse lors de ses activités, mais perd en force frappe», souligne-t-on également. Interpellé à ce propos, Zakaria Fahim, président du CJD international, explique que «Le CJD ne coopte que des gens qui à partir de ce qu'ils ont appris au sein du réseau, sont capables d'impulser des changements dans leur organisation». Et d'ajouter, «Il y a eu certes parfois des exceptions, on a accepté des n-2 (cadres moyens), mais c'est surtout parce qu'ils ont le potentiel requis pour être dans le réseau. Ces n-2 qui généralement évoluent dans des grands groupes auraient été ailleurs n-1 (cadres supérieurs)». En définitive, si l'ensemble des membres du reseau interrogés reconnaissent que durant ses dix ans d'existence, le mouvement a gagné en réputation et initié des actions novatrices, la plupart d'entre eux estiment que l'effet CJD tarde à venir. Touche pas à mes comptes ! Outre la question de l'influence du mouvement qui ne fait pas l'unanimité, le CJD a aussi ses petits paradoxes, liés notamment à sa gestion. Le mouvement a un mode électif exemplaire (une présidence de deux ans non renouvelable) qui favorise l'alternance et la démocratie en interne. En matière de cotisation, les membres paient 5.000 DH s'ils cotisent au nom de leur entreprise, et 3.000 à titre personnel. Au-delà de ces aspects presque rien d'autre n'est connu sur le financement et la gestion du mouvement. Interrogé à ce propos, Driss Belkhayat, président sortant, a éludé la question, expliquant tout simplement que le volet financier est un aspect délicat, car les ressources sont généralement insuffisantes pour le fonctionnement du réseau et qu'ils envisagent de solliciter le soutien de l'Etat. Zakaria Fahim a quant à lui expliqué que le mouvement produit annuellement son bilan et que ses comptes sont audités par des cabinets reconnus, comme KPMG. Pourtant ces comptes sont inaccessibles et nous n'avons trouvé aucune trace de leur communication au public. Un paradoxe pour un réseau qui prône la transparence et la bonne gouvernance au sein de l'environnement économique, et qui bénéficie d'appuis financiers de divers partenaires. «Le CJD a failli quelque part dans ses ambitions»Jamal Belahrach : Co-fondateur et ex-Président du CJD Les Echos quotidien : Les ambitions initiales du CJD, à sa création, se sont-elles réalisées aujourd'hui ? Jamal Belahrach : Pas très exactement, mais le CJD est aujourd'hui reconnu par la plupart des institutions nationales. Le mouvement réalise des actions régulières en collaboration avec les ministères (comme celui de l'Industrie) et avec d'autres instances gouvernementales et patronales. Cependant, au regard du contexte actuel, le fait que le CJD n'ait pas eu de siège au sein du CES signifie, dans une certaine mesure, qu'il a quelque part échoué dans ses ambitions. Le CES est, par excellence, l'espace de concertation où le CJD pourrait exprimer son point de vue et faire des propositions innovantes et pragmatiques.N'oublions pas que les membres du mouvement sont des jeunes entrepreneurs ayant pour la plupart moins de 40 ans et que le réseau milite depuis sa création en faveur d'une performance tridimensionnelle : économique, sociale et sociétale. Y a-t-il lieu de parler d'un «effet CJD»? Je ne suis pas très présent dans les activités et dans le fonctionnement du mouvement mais j'ai le sentiment que l'effet CJD tarde à venir. Ceci parce que les membres eux-mêmes ne sont pas tous impliqués au même degré et que, comme dans toutes les associations, il n'y a souvent que quelques personnes qui travaillent réellement. Dans les années à venir, le mouvement devra sans doute songer à repositionner son orientation idéologique et à davantage affûter ses capacités en matière de lobbying. «C'est la minorité engagée qui fait changer les choses»Zakaria Fahim : Président du CJD International Les Echos quotidien : Dix ans après sa création, quel bilan établissez-vous pour le CJD ? Zakaria Fahim : Je pense qu'aujourd'hui, il n'est pas une action qui touche à l'entreprise, à la PME, et à sa dimension sociale et sociétale, pour laquelle le CJD n'a été ni interpelé ni invité à apporter sa contribution. Nous sommes aujourd'hui un acteur majeur, reconnu dans le domaine associatif et économique, qui apporte des propositions souvent prises en compte. Nous aurions pu être plus nombreux dans le mouvement mais nous restons conformes à notre devise : «c'est la minorité engagée qui fait changer les choses». Et pourtant, certains estiment que l'influence du CJD est très limitée et en donnent pour preuve sa non implication dans le CES.... Le fait que le CJD n'ait pas sa place au Conseil économique et social, est plutôt une preuve qu'on est dans un pays qui marche sur la tête. Les actions du CES sont au cœur des engagements du CJD. Nous avons posé la question de savoir pourquoi nous n'avons pas de siège au CES sans avoir de réponse objective. On nous a répondu par le fait que nous sommes une association et non pas un ordre professionnel. Cet argument ne tient pas la route. En ce sens qu'à titre d'exemple, nous sommes membres du Conseil d'administration de l'ANPME. Nous devions siéger au Conseil d'administration de l'ANAPEC, mais cela n'a pas réussi. Cependant, nous collaborons étroitement avec toutes les entités qui nous sollicitent. «La gestion financière Driss Belkhayat : est un volet pénible»Président sortant du CJD Les Echos quotidien : Votre successeur à la tête du mouvement est déjà choisi, quel bilan faites-vous de vos deux années d'exercice ? Driss Belkhayat : Mon mandat a été très difficile, puisqu'il a coïncidé avec deux événements phares. D'abord, la crise économique dont les effets se sont fait beaucoup sentir au niveau de nos entreprises et ensuite les bouleversements sociaux qui se déroulent en ce moment. Au départ, j'avais pour ambition de me concentrer sur l'amélioration du fonctionnement interne de l'association, mais sous la pression de la conjoncture, nous nous sommes plus occupés des problématiques économiques nationales et internationales. Cependant, ces conjonctures ont également permis au CJD de s'exprimer plus et de s'engager aux côtés des autres acteurs dans la recherche de solutions. Plusieurs se demandent souvent ce que fait le CJD en dehors d'organiser des conférences... Dans la charte de «bien entreprendre» que le mouvement avait initiée entre 2001 et 2003, nous soutenions qu'un entrepreneur modèle est celui qui consacre 10% de son temps à des activités associatives. Aujourd'hui, les membres du bureau et moi-même y consacrons plus de la moitié. Nous faisons énormément de choses en dehors des conférences. Comment le CJD finance-t-il ses activités ? Comme pour toutes les associations, la gestion financière est, pour nous aussi, un volet pénible. Les ressources financières du CJD proviennent des cotisations des membres et quelques fois des appuis de nos partenaires. Etant donné le fait qu'il y a des jeunes dirigeants qui y consacrent leur temps, qui se déplacent pour réaliser des activités, il faut bien évidemment qu'ils soient pris en charge par le mouvement. Ce qui n'est pas toujours possible et c'est pour cela que nous demandons que l'Etat et les entreprises contribuent au financement du réseau.