Le port d'Algésiras n'est pas au bout de ses peines. L'annonce du géant danois Maersk Line de réduire de 25% son activité conteneurs de APM Terminals, dans le port d'Algésiras, a eu l'effet d'une bombe dans les milieux économiques espagnols. La Autoridad portuaria de la Bahía de Algeciras (APBA) perdra, de fait, l'équivalent d'un demi-million de conteneurs par an, lesquels changeront de destination au profit du port national, plus compétitif que son compère. Un dur échec pour le port espagnol qui voit la menace marocaine prendre forme, de l'aveu des dirigeants de cet établissement portuaire. Mais Maersk n'a pris personne de court, puisqu'il n'a fait que mettre à exécution sa menace formulée en 2009. À cette date, le transporteur danois avait clairement annoncé qu'il réduirait sa présence à APBA si le port ne procède pas à des baisses de ses taxes portuaires. Maersk avait exhorté les responsables d'APBA à réviser à la baisse les taxes, condition pour continuer à opérer dans le terminal. Le directeur de la plateforme Maersk avait appelé le gouvernement à adopter des lois susceptibles de rendre l'activité plus compétitive, dans une conjoncture où le secteur maritime connaît un fléchissement du trafic (une chute de 13% en 2009). Aujourd'hui, le danois met sa menace à exécution. La compagnie justifie sa décision par la différence des coûts du personnel et des taxes portuaires entre les deux ports riverains. Le port de Tanger Med permettra au danois de réduire de 20% le prix final du conteneur. Les prix pratiqués par Tanger Med s'avèrent plus compétitifs, à plusieurs égards. À titre d'exemple, un docker au Maroc touche une moyenne de 300 euros, alors que son homologue espagnol, lui, perçoit 3.000 euros. À cela s'ajoute le coût moyen d'un transbordement, de l'ordre de 70 euros à Algésiras, contre 50 euros au Maroc. Panique dans le port Ainsi, la fuite d'un demi-million de conteneurs générera une perte de 35 millions d'euros pour le port espagnol. Mais Tanger Med n'est pas seulement un port qui brade les prix. «La productivité horaire y est supérieure de 10% par rapport à Algésiras et les accidents de travail y sont moins fréquents», avait confié le directeur général de Maersk Tanger au quotidien El Pais. La construction de Tanger-Med bis intensifiera la concurrence avec le port d'Algesiras, qui se voit perdre sa position de monopole. En 2006, 3,25 millions de conteneurs ont transbordé sur ses quais. Il est classé premier port en Méditerranée, 6e en Europe et 25e sur le plan mondial. Or, une fois que le nouveau seigneur de la Méditerranée tournera à plein régime, «sa capacité de 8,5 millions de conteneurs par an dépassera celle de tous les ports espagnols», comme les médias espagnols ont déjà précisé. Les autorités portuaires d'Algésiras ont commencé à ressentir la menace bien avant la décision du Maroc de construire le 2e hub et l'attribution d'un terminal à Maersk. Une université andalouse a même mis en place un master spécialisé portant sur les «répercussions socioéconomiques et territoriales du port de Tanger-Med», dispensé par un docteur en géographie. Quant au président du port, Manuel Morón, il a multiplié les réunions avec institutions locales et syndicats pour faire face «au défi du port marocain et continuer à occuper le leadership dans la Méditerranée». Sous la menace du «monstre marocain», comme l'a qualifié le président de la commission de l'infrastructure à la Chambre des députés, les responsables du secteur ont mis les bouchées doubles pour accélérer la réforme portuaire, qui traîne le pas à défaut de consensus. Mais la médaille n'a pas qu'un revers sombre. La sortie de Maersk sera compensée par l'arrivée du coréen Hanjim ,qui commencera à opérer une fois les œuvres des quais de la Isla Verde Exterior seront achevées, initialement prévus pour mars, mais finalement reportés jusqu'à juillet. La compagnie de navigation chinoise Cosco a annoncé une restructuration de ses activités maritimes en Extrême-Orient et en Europe et envisage d'utiliser le port d'Algésiras comme lieu de transbordement. Mais malgré ces annonces apaisantes, les syndicats ont demandé aux différentes administrations de méditer sur la situation. Nouvelle loi, nouveau cap Aujourd'hui, les espoirs sont placés sur la prochaine loi sur les ports qui devrait entrer en vigueur sous peu. Ladite loi octroie une grande marge de manœuvre et une indépendance aux établissements portuaires dits d'intérêt général. Le texte permettra aux ports d'adapter l'offre à la demande existante, en matière des taxes particulièrement, afin de pouvoir rivaliser avec Tanger-Med par exemple, dans le cas d'Algésiras. Cette autonomie concédera à chaque entité portuaire un statut souple et flexible pour davantage de compétitivité. Le projet prévoit une autonomie dans diverses activités, comme la libéralisation du marché des sociétés de déchargement et de chargement des navires et le changement du statut des dockers, mesure qui déplaît aux travailleurs. Le personnel des dockers (1.600 travailleurs dont 400 temporaires) pourrait être affecté par la nouvelle législation. Des syndicats ont appelé à la grève afin d'apporter des amendements au texte. La loi est attendue pour fin avril, la seule d'ailleurs où le parti au pouvoir, le PSOE de Zapatero et le parti de l'opposition, le Parti Populaire ont enterré la hache de guerre pour permettre au projet de voir le jour, après 400 amendements. Car le temps presse et la facture risque d'être salée en cas de retard. La dernière grève observée par les dockers fin mars a engendré la perte de 700.000 conteneurs au profit des ports rivaux comme celui du Maroc, a souligné le président des ports espagnols. «Il est impossible de rivaliser avec les coûts proposés par le Maroc. Mais la valeur ajoutée, il faut la chercher dans la technologie, la spécialité et la qualité du service», a-t-il déclaré. Isla Verde Exterior, la riposte espagnole Le 27 avril, le premier porte-conteneurs Hanjin Casablanca, en provenance du port chinois de Nasha, jettera l'ancre au nouveau quai de Isla Verde Exterior, faisant ainsi l'étrenne de ce nouveau terminal, conçu pour faire pièce à Tanger Med II. Mais le terminal du futur, comme se plaisent à le surnommer les voisins espagnols, ne devrait être officiellement inauguré qu'en juillet prochain. Le futur du port d'Algésiras est entre les mains de cette nouvelle extension. Car aux yeux des responsables du port, la rude concurrence entre les deux ports est due à l'étroitesse de l'espace à Algesiras lequel se voit contraint à chaque fois à des réaménagements. À présent, Algesiras affûte ses armes. Ce réajustement de taille coûtera 400 millions d'euros au port espagnol. D'une superficie de 121 hectares, le nouveau terminal de porte-conteneurs comprend 3 phases. Les plus avancées sont A (35 hectares) d'une capacité de 1,8million de conteneurs et B (73 hectares), avec 2 millions de conteneurs. Une ultime extension est prévue en 2012 pour doubler la capacité actuelle du port. Le terminal compte aussi un terminal d'hydrocarbures. Les responsables du projet sont convaincus du succès du projet, vu l'appartenance d'Algésiras au vieux continent. Leur argument : les connexions ferroviaires sont primordiales pour couper l'herbe sous le pied de Tanger Med. Et dans le cas d'Algésiras, le réseau ferroviaire permet au port d'être connecté avec le reste de l'Espagne et les correspondances hebdomadaires avec des métropoles comme Madrid et y sont fréquentes. D'ailleurs le ministre du Transport présentera durant ce mois-ci un plan spécial pour renforcer les infrastructures ferroviaires existantes et en créer d'autres, à travers un financement croisé public/privé, dans l'objectif d'insuffler une nouvelle vie à Algésiras.