L'industrie marocaine tient ses premières assises ce jour à Casablanca. Au département du Commerce et de l'industrie, l'heure est au bilan et à la mobilisation. Professionnels et institutionnels vont aujourd'hui marquer le pas, le temps d'une journée et d'une dizaine d'ateliers. Evaluation, tel est le maître mot de l'événement. Ahmed Réda Chami, ministre du Commerce, de l'industrie et des nouvelles technologies, sera la star de ces assises, qui interviennent une année après le lancement de son Pacte national pour l'émergence industrielle (2009-2013), dit Emergence II (en référence à son aîné, lancé en 2004, par Salaheddine Mezouar, ministre de l'Industrie à l'époque). Ce 13 février 2009, date de la signature du Pacte, Chami avait réussi à aligner neuf ministres (Justice, Intérieur, Finances, Agriculture, Education nationale, Industrie, Commerce extérieur, Affaires économiques et générales) pour l'accompagner dans la réussite d'un programme qui comptait pas moins de 111 mesures. À l'époque, le Maroc nourrissait l'ambition de renforcer son positionnement industriel : ne plus jouer la carte de la proximité géographique et la main d'œuvre moins chère, mais celle, plus avantageuse, d'une offre basée sur la logistique et la compétitivité. Globalement, le budget du programme est évalué à 12,4 milliards de dirhams. L'Etat s'est engagé à allouer 5,5 milliards. Quatre autres devaient être injectés par les banques. Mais le reste ? Un flou persiste toujours sur les sources de financement. Cependant, l'annonce de la signature de conventions aujourd'hui entre le gouvernement et le Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM) annonce l'injection de nouveaux fonds pour le Pacte. Revoir les ambitions Emergence, dans sa deuxième version, table sur six métiers mondiaux (l'offshoring, l'automobile, les industries aéronautique et spatiale, le textile et cuir, l'électronique et l'agroalimentaire). Dès l'annonce du Pacte par Chami, les observateurs avaient relevé que «si la première mouture d'Emergence était très ambitieuse dans ses annonces, la nouvelle mouture gagne en sobriété». En effet, les chiffres sont plus apurés, avec des objectifs revus à la baisse. Ainsi, à l'horizon 2015, on parlera plutôt d'un gain additionnel de 50 milliards de dirhams du PIB au lieu des 100 milliards affichés dans la version 2005, et d'une création de 220.000 emplois au lieu des 500.000 annoncés dans la première version. Au niveau sectoriel, la tutelle dit que les chantiers des six métiers mondiaux ont été tous lancés. Mais, en vérité, de l'avis de plusieurs témoignages, certains sont bien lancés comme l'offshoring, l'automobile et l'aéronautique. D'autres pas encore. Chami expliquera par la suite que c'est la faute à la crise économique internationale et aux chevauchements des plans lancés ici et là, notamment pour l'agroalimentaire. Blocages À une semaine des assises, Ahmed Réda Chami a multiplié les sorties médiatiques. Il a parlé des avancées, mais aussi des blocages. Notamment ceux relatifs aux chantiers interministériels (qui nécessitent l'intervention de plusieurs départements). Le ministre a avoué avoir du mal à les faire avancer et qu'ils «posent problème». Chami refuse de les citer, solidarité gouvernementale oblige. Mais il reconnaît que l'enjeu actuel est d'éviter le chevauchement du pacte avec d'autres plans sectoriels (Maroc vert, Halieutis...). L'autre enjeu majeur à relever durant les quatre prochaines années est celui du foncier. Un plan mobilisateur c'est bien, mais l'Etat n'a pas planifié suffisamment de terrains industriels. Le ministre du Commerce et de l'industrie avait prévu une nouvelle génération de plateformes industrielles intégrées (P2I), mais le «toilettage» programmé pour revaloriser ces terrains n'a pas encore eu lieu. L'équipe d'Emergence II parle de l'introduction prochaine d'un nouveau texte de loi pour ce faire. Encore faut-il que les investisseurs soient «assez motivés» pour s'y installer. Des secteurs exclus ? Dès l'annonce du détail du Pacte national pour l'émergence industrielle, plusieurs groupements professionnels ont crié à l'«exclusion», notamment les professionnels de l'industrie mécanique et métallurgique, la chimie-parachimie et la pharmaceutique. Le ministre du Commerce leur répondra que le Plan Emergence II a identifié six métiers, dans lesquels on a relevé un «fort potentiel d'export». En clair, la priorité est de mettre en place le pacte, les autres secteurs attendront leur tour. On leur a aussi fait comprendre que le pacte contient des mesures qui «s'appliquent à tous les secteurs». On faisait allusion aux zones industrielles intégrées à caractère généraliste, prévues par le pacte. «Elles sont ouvertes à tous et réduisent le coût de l'investissement», indique-t-on du côté du ministère. Chami, lui, leur a fait miroiter la possibilité de les intégrer dans la stratégie de déploiement d'Emergence II s'il s'avère que leur secteur est compétitif. Les industriels pharmaceutiques et de la parachimie y ont cru, en lançant une étude relative à leur secteur. Après présentation des résultats, Chami leur demandera de revoir leur copie en intégrant l'OCP. Les métallurgistes suivront la même démarche, sauf qu'on n'a pas donné suite à leur requête. Leur ras-le-bol sera exprimé par le président de leur Fédération, Moulay Youssef Alaoui, qui dira par la suite que si «on ne nous écoute pas, c'est qu'on ne veut pas nous écouter !». Simple et concis.