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Smig, le joker d'El Fassi
Publié dans Les ECO le 26 - 04 - 2011

Les centrales syndicales affûtent leurs armes, le gouvernement aussi. C'est que nous sommes à la veille d'un 1e mai pas comme les autres. Cette date, sur fond de tensions sociales et de grosses réformes, s'annonce particulièrement chaude. Pour essayer de «sortir par la grande porte», le Premier ministre s'est aventuré à annoncer son intention de «faire quelques concessions» dans le but de calmer les ardeurs des syndicalistes. Le Smig, véritable épine dorsale du dialogue social, représente un terrain intéressant pour le Premier ministre, qui avait annoncé vouloir faire du volet social son cheval de bataille. En promettant une augmentation de 10% du salaire minimum, tout en s'engageant à convaincre la CGEM de porter ce taux à 15% à l'horizon 2012, Abbas El Fassi a l'intention de faire d'une pierre deux coups. Répondre aux revendications des syndicats et de la rue et, par la même occasion, valider la case «Smig» sur sa check-list pour passer le relais au gouvernement suivant avec le moins de dégâts possibles, quitte à ce que ce soit son successeur qui en paye la facture.
Sérieux impact sur l'inflation
Pourquoi la thèse d'El Fassi n'est-elle pas fiable? Tout simplement à cause de l'effet immédiat qu'une telle mesure aurait sur le budget de l'Etat, déjà mis à mal par les concessions antérieures faites sur le budget de la Compensation. Pis encore, le seuil exigé par les syndicats représente une hausse avoisinant quelques 50% du Smig actuel, puisqu'ils demandent de le porter à 3.000 DH, ce qui ne manquerait pas de provoquer une sérieuse inflation. «Même avec des augmentations de 10 % et 15 % du Smig, il est bien clair que cela influera sur le taux d'inflation. Il reste maintenant à déceler l'ampleur de cet impact», nous confirme Driss Alaoui Mdaghri, économiste et président de la Commission PME au sein de la CGEM. Cette analyse rejoindrait ainsi l'appel que fait Abdellatif Jouahri, Gouverneur de la Banque centrale, à l'occasion de chaque réunion du Conseil de BAM : répondre favorablement aux revendications syndicales ne pourrait se faire sans influer sur l'évolution des prix. Pour preuve, les dernières hausses du Smig intervenues en 2008 et 2009 ont causé une hausse d'un point de l'inflation, effet qui ne s'est dissipé que huit trimestres plus tard. Ceci est d'autant plus problématique que le dialogue social a également donné lieu à une promesse de revalorisation des salaires dans l'administration publique. La dernière proposition du gouvernement, dans ce sens, est d'offrir une hausse de 600 DH pour les salaires des fonctionnaires à échelle comprise entre 5 et 9, soit 100 DH de plus que la proposition précédente. Les échelles au-delà de dix bénéficieraient de leur côté d'une augmentation de 400 DH. «C'est une amélioration relative. Le mouvement de hausse des prix de ces dernières années a été plus important et ce qu'offre le gouvernement aujourd'hui ne permet pas encore de le compenser», explique Larbi Habchi, membre du bureau central de la Fédération démocratique du travail (FDT). De plus, l'offre gouvernementale semble être restée inchangée dans sa globalité, puisqu'elle a ajouté 100 DH pour une catégorie et en a retranché 100 pour l'autre. C'est dire que les syndicats ne sont pas près de laisser tomber leur revendication qui tablait, pour rappel, sur des augmentations respectives de 800 DH et 700 DH pour les deux tranches. Bien sûr, les syndicats ne comptent pas lâcher prise. Ils motivent leurs revendications par l'impact économique d'une telle revalorisation. En effet, rehausser le Smig à 3.000 DH se traduirait par une amélioration du pouvoir d'achat des citoyens et ferait office, de ce fait, de stimulateur de la consommation interne, ce qui ne pourrait être que bénéfique pour les entreprises nationales. Mais le contexte de «crise budgétaire» auquel doit faire face le gouvernement El Fassi rend improbable le passage du père Noël cette année.
Limiter les effets
Et quand bien même El Fassi réussirait à faire passer le bonus des 10%, plusieurs points resteraient en suspens. Il faudra d'abord proposer des mécanismes qui permettront d'en limiter l'impact sur l'inflation. Pour Alaoui Mdaghri ainsi que pour Jouahri, la solution est claire : Il faudra améliorer la productivité. «Il faudrait maintenant que cette augmentation soit accompagnée par une amélioration de la productivité. Cela servirait nettement à maîtriser l'évolution de l'inflation», explique l'économiste, qui rejoint ainsi l'avis du Gouverneur de la Banque centrale. «Toute hausse des salaires devrait aller de pair avec celle de la productivité et de la compétitivité de l'économie nationale», avait-il recommandé lors de la dernière réunion du Conseil de BAM. Quoi qu'il en soit, il est aujourd'hui bien admis que le Smig en soi est un dilemme pour le gouvernement.
D'ailleurs, des observateurs s'accordent à dire que la proposition d'augmentation de 10%, puis de 15 %, semble plus prendre l'air d'une mesure temporaire censée calmer les esprits, en attendant une prise de décision structurelle quant à la revalorisation du Smig. Certains vont un peu plus loin en y voyant une fausse promesse qui s'avère dangereuse dans le contexte actuel. Ceci est d'autant plus confirmé que l'Etat compte lancer incessamment une étude, deuxième du genre en quelques mois, devant porter sur l'évaluation de l'impact du salaire minimum sur l'emploi et la structure des salaires, ainsi que sur la pertinence de mettre en place des Smigs sectoriels comme le souhaiterait le patronat. Le prestataire à qui sera confiée cette analyse devrait rendre sa copie début 2012. «L'étude sur le salaire minimum au Maroc a pour objectif de faire des propositions d'amélioration du système de sa fixation et de sa revalorisation, qui permettraient à la fois de concilier un objectif social et un objectif économique», explique-t-on au sein du ministère de l'Emploi. En d'autres termes, les propositions du gouvernement concernant le Smig ne seront qu'un cautère sur une jambe de bois, en attendant les résultats et les conclusions de cette analyse, qui devront servir de base à de nouvelles mesures, à partir de 2012. En sortant le joker du Smig, Abbas El Fassi tente de gagner du temps, mais à quel prix ?
Des concessions d'un autre genre
La revalorisation du Smig n'est pas la seule carte que le gouvernement veut jouer lors de ce 1e mai. Il a également été décidé d'améliorer le quota réservé aux promotions internes dans les établissements publics. Celui-ci est en effet passé de 28 % à 33%, chose qui a reçu le satisfecit des centrales syndicales. Le seul hic est que ce relévement se fera en deux phases. «Cette question de délai d'exécution reste problématique, car si le quota de 33% n'est adopté qu'en 2012, il n'aura d'effet qu'en 2013», ajoute le syndicaliste de la FDT. D'autres points restent en suspens et devaient être traités à l'heure où nous mettions sous presse. C'est notamment le cas du relèvement du seuil de la pension minimale, actuellement à 600 DH. Le syndicat souhaiterait le porter à 1.000 DH, mais il est aujourd'hui peu probable que le gouvernement y réponde favorablement, en raison du coût engendré. Le scénario le plus probable à ce niveau est l'adoption d'une pension minimale de 800 DH.


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