Mardi 1er février, Reuters annonce une bonne nouvelle : «Fitch Rating maintient la note souveraine du Maroc avec une perspective stable». Dans les arcanes du pouvoir politico-économique du royaume, c'est le ouf de soulagement. Adressé à la communauté internationale, le message de Fitch a le mérite d'être très clair : «Les évènements qui secouent la région n'ont point affecté l'image du pays, jugé peu exposé aux troubles sociaux vécus en Tunisie et en Egypte». Tant mieux ! Mais faut-il s'en réjouir pour autant ? «Non», répond sèchement cet économiste qui se réfugie dans l'anonymat pour rester dans le politiquement correct. Son argumentaire est simple : «On ne peut pas aujourd'hui cautionner les méthodes des agences de notation. Si le Maroc est actuellement crédité d'une opinion favorable, cela peut changer à tout moment et sans justification logique. Il faut tirer des leçons des cas tunisien et égyptien, car la roue tourne...», avertit notre interlocuteur. La loi des chiffres Justement, la dégradation de la notation de la Tunisie quatre jours après la fuite de Ben Ali a fait scandale chez l'intelligentsia internationale. Qualifiée dans les forums et autres discussions de salons «d'insulte à la révolution du jasmin», de «coup de poignard dans le dos» à un (jusque-là) très bon élève des institutions de Bretton Wood's, cette décision «précipitée» selon les propos de la ministre de l'Economie française Christine Lagarde a remis au goût du jour ce qu'on appelle désormais la «dictature» des agences de notation. S'exprimant sur le sujet sur les colonnes du Nouvel Observateur, le chroniqueur Jean Claude Juilliard le dit en des termes clairs et bien sentis : «Au regard des salles de marchés, le triomphe de la liberté est plus incertain en effet que le verrouillage d'un pays par un dictateur, même criminel (...) Aujourd'hui, les marchés exercent une tutelle d'une toute autre nature... ils règnent en maîtres et relèguent l'aspiration à la justice au second rang. Ce n'est pas un jugement, mais un constat. Les chiffres font mathématiquement loi (...) La liberté est beaucoup trop imprévisible pour être rentable». Poignante analyse. Et le Maroc dans tout cela ? Pour les analystes de la place, la dégradation de la notation de nos concurrents directs de la région Mena est une véritable aubaine. «Le Maroc devra profiter sur le court et le moyen terme d'une redistribution des flux d'investissement dans la région», signale ce gestionnaire d'actifs, qui connaît bien les réflexes des investisseurs internationaux pour avoir fait ses premiers pas dans la finance chez une grande banque britannique. «Quand on a une pondération régionale à respecter pour diversifier ses risques, la seule issue pour un gestionnaire de fonds international est de réorienter ses flux dans un pays stable comme le Maroc. Et cette stabilité se mesure à l'aune de sa notation», explique notre col blanc. Oui, mais... Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Pas si sûr. Sur les trois agences qui comptent dans le monde, seule Fitch Rating a rendu son verdict pour l'instant. Standard & Poor's qui avait, il y a un an, rehaussé la note souveraine du pays pour le faire entrer dans la très select catégorie «Investment grade», n'a pas encore rendu sa copie pour l'année 2011, mais ne s'est pas privée pour autant d'agiter la menace d'une «dégradation» de la note souveraine du pays, comme celles des autres pays de la région Mena, «au moindre soulèvement social». Quant à Moody's, l'autre seigneur du rating, il s'est contenté pour l'instant d'une sortie «hasardeuse», selon les termes d'un patron d'une société de Bourse de la place, pour dégrader, «sans motif précis», les notes de deux banques marocaines : BMCE Bank du groupe FinanceCom et Crédit du Maroc, filiale marocaine du géant français Crédit Agricole. Des décisions, il faut le dire, sans réels impacts financiers sur ces deux institutions. «On ne se base pas sur les ratings pour fixer notre prime de risque, car nous n'avons pas encore cette culture de notation dans la place casablancaise. Et on ne va tout de même pas attendre qu'une agence étrangère nous dise comment pricer nos prises de risque sur des papiers de banques locales», tonne ce gestionnaire d'actifs obligataires. Mais la décision la plus hasardeuse reste sans conteste celle du retrait subit par Moddy's de la notation d'Attijariwa bank. Une décision qui a donné cours aux rumeurs les plus folles faisant dire à certains observateurs que la première banque du Maghreb était «victime de ses positions en Tunisie». Mais il n'en fut rien, car un jour plus tard, on saura d'après un communiqué d'AWB que ce retrait est dû à des «considérations purement commerciales», les relations entre la banque et Moody's ayant été «interrompues depuis quatre ans déjà». Mais pourquoi choisir ce moment de troubles régionaux pour stopper net un processus qui s'est poursuivi gratuitement depuis 2006 ? Les responsables de l'antenne parisienne de Moody's ont refusé de répondre à la question. Mais si nos trois établissements bancaires n'ont ressenti pour l'instant aucun impact financier suite à cette sortie de Moody's, difficile d'en dire autant sur l'impact image. Et c'est là où tout se joue, selon notre gestionnaire d'actifs, «les agences de notation font très mal sur la réputation, sur l'image... Leur influence au Maroc se limite d'ailleurs à cela». Et de toutes les façons, rajoute-t-il, «ce n'est pas la micro-notation qui joue, mais la macro, celle de la dette souveraine du pays». Une dégradation de la note souveraine du royaume peut en effet avoir un impact immédiat sur les finances de l'Etat, car impactant directement les taux d'intérêt de la dette souveraine du pays. C'est en cela que le maintien de la notation Maroc par Fitch Rating peut être salutaire. Et c'est tant mieux ! Anges ou démons ? L'histoire des agences de notation n'est pas tout à fait rose. À chaque crise financière, sociale ou politique, elles sont montrées du doigt. Lors de la crise financière asiatique et dans le cas de l'Argentine en 1997, ou encore lors de la bulle internet ou de la faillite d'Enron en 2001, elles auraient sous-estimé jusqu'au dernier moment les risques de défaut de paiement... enfonçant des millions d'investisseurs et de petits porteurs dans le gouffre. Dans les années 2004-2007, elles auraient surnoté les fameux subprimes, qui se sont révélés plus tard porteurs de gènes destructeurs pour le monde entier. Hier encore, elles auraient conduit la Grèce au bord de la faillite et aggravé la crise financière de la zone euro par leurs décisions d'abaisser les notes de la dette publique du Portugal, de l'Irlande puis celle de l'Espagne. Aujourd'hui, elles risquent d'enfoncer des pays comme la Tunisie ou l'Egypte dans une spirale incontrôlable. «Initialement créées afin de jouer les arbitres, donc de faire preuve d'impartialité et de neutralité, entre le vendeur et l'acheteur d'un titre, ces agences ont lamentablement échoué dans cette mission d'utilité publique tout en s'arrogeant un pouvoir considérable sur nos niveaux de vie. Ce pouvoir, qui leur est volontiers consenti par nos responsables économiques et politiques, leur permet ainsi d'enfoncer une économie et ses citoyens dans une spirale incontrôlable en cas de verdict défavorable», écrit dans son blog l'économiste et analyste français Michel Santini. Alors ces agences, anges ou démons ?