Au ministère chargé des Marocains résidents à l'étranger, l'heure est à la mobilisation des compétences. Objectif : mettre à contribution les talents nationaux évoluant à l'étranger pour combler le déficit de compétences que connaît le pays dans divers domaines, notamment en ce qui concerne les chantiers et reformes lancés, et les nouveaux métiers dans lesquels le royaume compte exceller (les métiers mondiaux du Maroc ou MMM). Après l'échec d'une première tentative baptisée Fincom (Forum international des compétences marocaines à l'étranger) initiée en 2005, c'est donc un nouveau virage que prend le ministère des MRE. Tirant les leçons de ce flop, Ghita Zouggari, chargée de mission au département des MRE explique, que «Fincom n'a pas bien marché parce qu'on avait fait appel aux MRE sans pouvoir leur proposer du concret. En un mot, nous avons créé des attentes qui ont abouti à des déceptions, parce que les MRE ont proposé beaucoup de choses et à notre niveau et nous n'avons pas pu leur donner de réponses». Dans le nouveau programme qui, en fait, était prévu comme alternative depuis 2007, le principe reste le même que celui de Fincom, mais la démarche et les outils pour y parvenir ont été améliorés. L'approche a consisté à analyser tous les plans sectoriels mis en place par le Maroc (Emergence, Plan Maroc vert, Maroc Numéric...) et à identifier les métiers dans lesquels le savoir-faire et l'expertise sont insuffisants, voire inexistants. C'est à ce niveau que doivent intervenir les talents qui évoluent à l'étranger. Cependant, au delà de cet aspect, les nouvelles structures déjà mises en place ou en cours de l'être visent également à conforter le poids du Maroc et sa capacité de lobbying à l'international. Organisation et réseau Du côté du ministère, tout comme des MRE, l'enjeu semble, en tout cas, clair. La communauté des Marocains du monde ayant beaucoup évolué et comprenant de plus en plus de profils faisant de brillantes carrières, et qui sont économiquement et socialement bien intégrés dans leur pays d'accueil, leur contribution au développement national ne devrait plus se limiter au transfert de devises. Du fait de leur position sociale dans leur pays d'accueil, ces MRE vont être également un vivier de compétences, des relais de transfert d'expertise et de technologie, d'attraction d'investissements étrangers, de montage de partenariat et de lobbying, pouvant se mettre à contribution à distance ou sur place. Pour formaliser ce nouveau champ d'action qui leur est ouvert, les MRE ont créé des réseaux dans le cadre de conventions signées et de plans d'action annuels élaborés avec le gouvernement marocain. La démarche commence cette fois-ci à donner des résultats probants. Les réseaux créés sont de deux sortes. Il y a d'un côté, ce qu'on appelle les réseaux géographiques, qui sont pluridisciplinaires et regroupent des MRE évoluant dans divers domaines d'expertise (aéronautique, médecine, informatique, automobile, industrie), dans un pays donné. En Allemagne, par exemple où le premier réseau a été mis en place et qui regroupe aujourd'hui quelques 700 membres, selon son président Hachim Haddouti. «Pour y adhérer, le Marocain résidant en Allemagne doit avoir un diplôme supérieur et bénéficier d'au moins trois ans d'expérience professionnelle», souligne-t-il. En Belgique, un réseau de ce type vient également d'être créé et a commencé ses activités. En ce mois de mai, une convention avec les Marocains du Canada sera signée et le réseau pourra voir le jour. L'initiative va également se poursuivre dans plusieurs autres pays d'Europe et en Amérique, selon le ministère. Le second type de réseaux, est quant à lui thématique et regroupe un corps de métier donné. Il y a actuellement trois projets en cours dans ce sens : création d'un réseau de juristes, d'un autre de de médecins et de celui élus marocains du monde. Ceux-ci ont pour rôle d'initier des projets de co-développement dans leur domaine, entre le Maroc et leur pays d'accueil. Par exemple, les élus marocains du monde contribuent à la création de partenariats, de synergies et d'échanges divers entre les collectivités locales de leur pays d'accueil et celles du Maroc. Les juristes, quant à eux, auront pour rôle, d'une part de sensibiliser leurs concitoyens à l'étranger à mieux connaître leurs droits dans le pays d'accueil et d'autre part, de contribuer à la veille juridique internationale du Maroc. Par exemple, chaque fois qu'il y a une loi en préparation dans leur pays d'accueil qui peut avoir des impacts sur la vie de la communauté marocaine, le réseau alerte les autorités de manière à les aider à mieux préparer les négociations. Il peut également apporter sa contribution en amont, pour éclairer les autorités nationales, lors de l'élaboration de conventions ou de montages de partenariats. Il en est de même pour le réseau des médecins. Pour mettre effectivement en place cette plateforme, une rencontre de tous les médecins marocains du monde est d'ailleurs prévue le 25 juin à Paris. Ces médecins vont travailler en réseau et échanger dentre eux depuis leur pays d'accueil respectif, aider à combler les déficits du Maroc dans le domaine de la santé et contribuer à monter des partenariats en matière de recherche et de transfert de technologie avec des unités de santé des pays dans lesquels ils vivent. Cela, explique-t-on, pourra également aider à mieux comprendre et traiter les problèmes de santé des MRE lorsqu'ils reviennent au pays, car des liens entre les Marocains médecins du monde et ceux qui exercent au royaume vont s'établir, via le réseau. En dehors de cette contribution à distance, de nouveaux dispositifs sont aussi élaborés ou sont en cours d'élaboration, pour permettre à ces MRE de mieux réussir leurs investissements ou leur installation, lorsqu'ils envisagent de revenir entreprendre ou travailler au Maroc. En plus des maisons de MRE mises en place dans certaines villes (comme Béni Mellal et Nador) pour informer et accompagner les talents qui reviennent, au niveau du ministère, selon Ghita Zouggari, une cellule d'accompagnement est également disponible. Ce dispositif est complété par des guides intitulés «vivre et travailler» par région, actuellement en cours d'élaboration, pour combler le déficit en matière d'information. Rachid Benmokhtar Benabdellah, Président de l'observatoire de l'INDH et membre du Conseil économique et social Les Echos quotidien : La qualité de vie... , un des freins habituellement évoqués au retour des compétences marocaines résidantes à l'étranger. Est-ce un argument qui tient encore la route ? Rachid Benmokhtar Benabdellah : Sur ce sujet, il y a en fait deux éléments à prendre en considération : la méconnaissance qu'ont en général les jeunes diplômés du Maroc. Celle-ci est valable pour ceux qui y vivent comme pour ceux qui ont choisi de s'expatrier. Ils ignorent le contexte de l'entreprise de leur pays, son environnement, les opportunités qui existent et sont souvent influencés par des images stéréotypées qui ne viennent pas de leur vécu. Cette ignorance les pousse vers l'étranger dont ils ignorent également le contexte mais restent convaincus que c'est mieux que chez eux, qu'ils y acquerront une meilleure expérience, qu'ils y feront une meilleure carrière. Le comble, c'est que les mêmes raisons rendent leur retour et leur insertion difficile. Par contre, il est intéressant de noter qu'aujourd'hui, si de nombreux étrangers des pays du Nord viennent au Maroc s'y installer et cherchent à y saisir des opportunités d'emploi, il faut souligner aussi que, de nombreux lauréats de grandes institutions du Maroc, une fois sensibilisés aux réalités de leur pays, préfèrent y rester travailler. Au niveau national, les entreprises se plaignent souvent de ne pas avoir les compétences dont elles ont besoin. Face à cette situation, l'attraction des compétences nationales résidentes à l'étranger est-elle une solution adéquate ? Sur le plan technique, opérationnel ou managérial, c'est une bonne solution. Il reste néanmoins à résoudre le problème de l'adaptation à l'environnement administratif marocain qui reste très tatillon, procédural, mal organisé et loin d'être un service public de qualité. Il faut ajouter, toutefois, un mode de management des entreprises marocaines qui diffère de celui des entreprises occidentales. C'est la raison pour laquelle, souvent des multinationales et des grandes structures réussissent mieux à attirer des compétences marocaines de l'étranger et, il en est de même pour les lauréats des meilleures institutions de formation marocaines. «Il faut identifier le potentiel pour que la diaspora soit au cœur du co-développement» : Hachim Haddouti, Docteur en informatique et président du Réseau des compétences germano-marocain (DMK) Les Echos quotidien : Quelles sont les raisons ayant poussé à la création de votre réseau DMK et quels sont les objectifs poursuivis ? Hachim Haddouti : Il y a un grand intérêt porté au potentiel de la migration pour le développement du Maroc qui ne se limite plus seulement aux transferts financiers des migrants à leurs familles. Il englobe aussi l'engagement humanitaire, l'investissement et le transfert de savoir-faire. La mobilisation des compétences humaines résidant à l'étranger est nécessaire pour renforcer les capacités du Maroc dans tous les domaines, pour contribuer à apporter des solutions à des problèmes spécifiques et relever les défis de la mondialisation. C'est dans cet esprit que DMK a été créé en mai 2007. Il est, depuis le 7 mars 2009, une association officiellement reconnue d'utilité publique. Les réseaux servent aussi à faire du lobbying. Parvenez-vous à exercer du lobbying en faveur du Maroc, en Allemagne ? DMK regroupe des experts (femmes et hommes), originaires de différentes régions du Maroc et d'Allemagne, nés ou installés au pays de Goethe depuis longtemps et parfaitement intégrés dans la société allemande. On parle des compétences couvrant des domaines variés, jouissant d'une perception globale, favorisant des rencontres entre individus de culture et religion différentes et qui sont une référence du Maroc en Allemagne. Leur implication dans la scène mondiale, dans des conférences internationales, représente des campagnes de marketing pour les deux pays (accueil et d'origine). La création d'un réseau comme le vôtre ne risque-t-elle pas de donner une légitimité à la fuite des cerveaux ? Au contraire, notre objectif est d'identifier les compétences marocaines et leur fournir une plateforme adéquate pour contribuer au développement de leur pays d'origine soit sur place ou bien à distance. La migration est un fait irréversible. Il faut maintenant identifier le potentiel des engagements transnationaux (transfert savoir-faire, investissement...) pour que cette diaspora soit au cœur du co-développement (du pays d'origine et du pays d'accueil) et de la promotion de l'intégration (dans le pays d'accueil). Ghita Zouggari : Chargée de mission au ministère de la CMRE La communauté marocaine à l'étranger a beaucoup évolué. On est passé d'une immigration de main-d'œuvre à une immigration de plus en plus qualifiée et très diversifiée. Donc, la contribution de cette communauté n'est plus seulement de transférer de l'argent mais aussi du savoir-faire, de la technologie. Pour nous c'est une opportunité, car soit on se dit que c'est de la fuite et on croise les bras, soit on considère que c'est un vivier de compétences qu'on peut utiliser et mettre à profit. C'est cette deuxième option que nous avons choisie et cela s'est avéré judicieux, parce que d'une part il y a une volonté très marquée des profils MRE visés de contribuer dans différents domaines au développement. D'autre part, nous avons de notre côté des programmes à leur présenter (Emergence, plan Maroc vert, plan Maroc Numeric...). Le programme de mobilisation des compétences mis en place par le ministère en 2007 est donc devenu une des initiatives phares ayant permis de faire appel à nos concitoyens vivant à l'étranger, qui ont de l'expertise, du savoir-faire à faire valoir et qui veulent le mettre au service du développement national.