C'est peut-être la fin de la guerre et aussi de la crise socio-politique dans laquelle patauge le pays d'Houphouët Boigny, depuis une décennie, et qui a atteint un paroxysme depuis la crise électorale du 28 février dernier, mais pas celui des... incertitudes. Quelques jours après l'arrestation de l'ancien président Laurent Gbagbo par les Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI), pro-Ouattara, la crise ivoirienne semble connaître enfin son épilogue. Le calme semble être revenu dans les principales villes du pays et principalement à Abidjan, la capitale économique du pays où sont encore concentrés les sièges des principales institutions politiques, administratives, financières et internationales du pays. Pourtant, les séquelles de la crise sont encore visibles et resteront longtemps palpables, surtout au niveau de la structure économique du pays. Le président Alassane Dramane Ouattara et son gouvernement sont déjà à pied d'œuvre pour poser les jalons d'une reprise de l'activité économique et financière. Pour le moment, c'est la réconciliation nationale sur fond de retour de la sécurité et de reconstruction du pays qui a été visée, mercredi dernier, comme objectif prioritaire par le président ivoirien. Tous les experts cependant, s'accordent à dire que la priorité des priorités serait la remise sur les rails des services publics et surtout des activités finançières et économiques. Investisseurs pris au piège Il faut dire que le panorama actuel qu'offre la Côte d'Ivoire est des plus désastreux. Presque tout est au point mort, conséquence de l'instabilité politique qui a entraîné dans son sillage le secteur économique, dans une véritable descente aux enfers. La Côte d'Ivoire est, en effet, depuis plusieurs mois sous le coup de sanctions économiques internationales qui ont sérieusement sonné le glas de l'activité financière. La fermeture de l'agence nationale de La Banque centrale des états de l'Afrique de l'ouest (BCEAO), a entrainé celle des principales banques du pays, parmi lesquelles, Attijariwafa bank qui, pendant un temps est tombée dans la coupe de la «politique de réquisition», adoptée par le gouvernement de l'ancien président, Laurent Gbagbo. Les exportations de cacao, dont le pays est le premier producteur mondial ont été suspendues, entrainant un manque à gagner consistant qui, par effet domino, a engendré la suspension du payement de la dette étatique du pays (29 millions de dollars d'intérêts en février dernier sur un prêt de 2,3milliards) et le gel des salaires des fonctionnaires et des travailleurs du secteur privé, étant donnée que plusieurs sociétés, en particulier les PME et les PMI, souvent par mesure de prudence, ont dû mettre la clé sous le paillasson. La paralysie de l'économie ivoirienne a affecté tous les secteurs et a fragilisé toute la zone UEMOA (Union économique des états de l'Afrique de l'ouest). Une situation déplorable, surtout si l'on tient compte du fait que le pays était coupé en deux, depuis la tentative de coup d'état de 2002 lancée par les Forces nouvelles (FN) de Guillaume Soro, l'actuel premier ministre de Ouattara. Une décennie durant laquelle, le secteur économique est resté sur calle sèche, en dépit de quelques mesures d'assainissement opérées ponctuellement et qui ont un peu redonné confiance aux investisseurs avant les élections du 28 novembre dernier. Depuis, la situation s'est aggravée de façon dramatique et les investisseurs les plus indécis, ont fini par lâcher le pays, en attendant des lendemains plus prometteurs. «Le risque est tellement élevé que les assureurs crédits n'y vont plus», nous a confié Nezha Lahrichi, PDG de la Société marocaine d'assurance à l'exportation, (SMAEX). Des atouts pour plaire Pourtant, en dépit de cette situation à tout point de vue déplorable, l'arrestation de Laurent Gbagbo et la prise des commandes du pays par le président Alassane Dramane Ouattara, semble attiser l'appétit des investisseurs. Il faut dire que ces derniers étaient toujours restés à l'affut, en raison de l'importance stratégique de ce pays, locomotive de l'économie régionale. La Cote d'Ivoire, c'est en effet près du tiers du PIB de la zone UEMOA (40% avant la crise), deux tiers de ses bons de trésors et près de 22% de la population régionale. C'est aussi le pays qui dispose du meilleur tissu industriel de la région et d'infrastructures modernes en plus de ses ressources naturelles (cacao, café, pétrole), des points forts qui constituent de véritables leviers pour la relance économique. Les défis du nouveau président sont certes immenses mais la Cote d'Ivoire jouit de beaucoup d'atouts pour séduire, même si cela risque de prendre du temps. Selon les prévisions du FMI, la croissance de l'activité économique du pays devrait accuser une récession de 7,5% en 2011 mais pourrait rebondir de 6% en 2012. Certes, à court terme, la dégradation du risque pays se maintiendra, mais à moyen terme, les analystes planchent pour un rétablissement de la note. Selon les analystes de la BAD, le pays dispose de réserves de change qui avoisinent les 3,3 milliards de dollars, manne qui devrait lui servir au remboursement de ses dettes, dès lors que la situation du pays semble plus sereine. En plus des atouts propres au pays, plusieurs autres facteurs vont favoriser le retour à la normale, voire même, la reprise de sa croissance. En premier lieu, le profil du président Alassane Dramane Ouattara, ancien directeur adjoint du FMI et ancien gouverneur de la BCEAO, très proche de la France qui a joué un rôle prépondérant dans la chute de Gbagbo. Beaucoup d'observateurs s'attendent, en effet, à un retour sur investissement pour les entreprises françaises qui sont déjà très présentes sur le marché ivoirien. L'aura du président Ouattara et de son épouse Dominique Ouattara, une femme d'affaires aux multiples facettes, ajoutée à celle de son ministre des finances, Charles Dibby Koffi, proche de certains milieux d'affaires et universitaires marocains, sont de nature à légitimer la confiance des investisseurs. Les principaux partenaires de la Cote d'Ivoire ont déjà commencé à se manifester au portillon. La France, premier partenaire du pays a annoncé un premier soutien financier de 400 millions d'euros et l'Union européenne s'est engagée pour un appui de 180 millions d'euros, «dès que les circuits financiers seront rétablis». L'institution européenne et la Banque africaine de développement (BAD) ont déjà annoncé la levée des sanctions imposées au pays. Cette dernière est dans l'attente d'une mise en œuvre d'un plan d'urgence de relance pour se manifester. Les exportations de cacao (25% des exportations du pays) à partir des principaux ports du pays vont reprendre incessamment. Le président Ouattara a annoncé, pour son quinquennat, un programme d'investissement de l'ordre de 12.000 milliards de FCFA lors de sa campagne électorale d'avant la crise. Aujourd'hui, les défis se sont multipliés engendrant de nouveaux besoins d'investissements. Une opportunité à saisir pour certaines entreprises marocaines déjà fortement présentes sur le marché ivoirien (Attijariwafa bank, Gemadec, BMCE, ...) à travers plusieurs filiales mais aussi des entreprises intervenantes dans les industries lourdes. Pour le moment certes, aucune annonce n'a été faite par ces entreprises qui ont été relativement épargnées jusque là. Il est encore trop tôt pour s'aventurer dans de gros investissements. Les prochains jours ou peut-être semaines, apporteront plus de visibilité. Le président Ouattara s'est donné deux mois pour remettre l'économie en marche. D'ici là, les investisseurs pourront mieux affûter leurs armes. Les premiers seront en effet les mieux servis et les investisseurs marocains pourraient profiter des facilités d'investissements accordés par le gouvernement en faveur des pays subsahariens et surtout de l'ampleur de ses relations économiques avec la France, pour tirer leur épingle du jeu. Plus que jamais, en effet, le slogan qui profére que, «la Cote d'Ivoire d'aujourd'hui sera l'éléphant d'Afrique de demain» est d'actualité. Des échanges en nette progression Les relations entre le Maroc et la Côte d'Ivoire remontent à loin. En témoigne le nom du père de son indépendance donné à un grand boulevard de Casablanca. Les deux pays sont, en effet, liés par un accord commercial et tarifaire entré en vigueur depuis 1980. Mais c'est surtout ces dix dernières années que les échanges commerciaux ont pris un véritable élan entre les deux pays, en raison de la dynamique d'investissement décidée par le Maroc vers les pays d'Afrique subsaharienne, dont la Côte d'Ivoire est l'un des marchés les plus prometteurs. De 2006 à 2009, les importations marocaines ont connu une évolution moyenne de 10,58%, avant de connaître une croissance négative de 10.04% depuis 2009. Pour ce qui est des exportations, elles ont connu une progression fulgurante de 73,97% sur la période 2009 à 2010, s'établissant à quelques 453.945.000 DH sur les onze premiers mois de 2010. Plusieurs entreprises ont en effet profité de cette brèche pour prendre pied dans le pays, de manière prudente, certes. C'est ce qui explique pourquoi d'ailleurs les intérêts marocains dans le pays ont été relativement épargnés par la crise. En effet, on n'a enregistré à ce jour qu'un seul gros investisseur ayant sollicité le secours de la SMAEX pour la couverture assurance risque politique. Selon Nouzha Lahrichi, PDG de la SMAEX, plusieurs entreprises intervenantes, surtout celles opérant dans les industries lourdes, ont arrêté d'elles-mêmes leur production, par mesure de prudence et «bien avant que la SMAEX ne suspende ses garanties». Pour cette raison d'ailleurs, plusieurs Marocains établis en Côte d'Ivoire et qui ont été rapatriés au plus fort de la crise, projettent d'y retourner une fois que la situation sera devenue plus calme. Selon Jamal Azouaoui, du ministère chargé de la Communauté des Marocains résidents à l'étranger, une grande partie de la diaspora marocaine en Côte d'Ivoire, est constituée de cadres travaillant dans des entreprises privées, ce qui a atténué l'impact de la crise. Mais la paralysie qui a affecté le système bancaire a plongé beaucoup d'entre eux dans une situation de détresse économique et avec le climat d'insécurité qui y régnait, plus de la moitié sont rentrés au bercail.