Le ministère de la Santé a-t-il mis la charrue avant les bœufs en annonçant la réduction des prix des médicaments au cours de l'année 2010 ? En tout cas, l'annonce qui a été accueillie avec ferveur par l'opinion publique et qui a fait naître beaucoup d'espoir, commence à faire grincer des «dents» au niveau des acteurs du milieu pharmaceutique marocain. Les dessous de l'annonce commencent donc à faire écho, incitant à tempérer la ferveur, car du point de vue des professionnels de la pharmacie, le consensus autour de la question n'est pas encore garanti. Ces derniers se disent pris entre le marteau et l'enclume. À ce propos, explique Kamal Belhaj Soulami, Président de la fédération nationale des syndicats des pharmaciens du Maroc (FNSPM), «à notre niveau, la situation est très tendue, car dans le cadre de nos discussions d'il y a deux mois, la ministre nous a promis des mesures d'accompagnement, mais rien n'a été fait dans ce sens». Toujours selon le patron de la fédération, actuellement près de 3.000 officines sont en difficulté et la mise en vigueur de la réduction sans les mesures d'accompagnement risquerait d'asphyxier l'ensemble des acteurs. Les aspects dérangeants pointés du doigt par la fédération concernent prioritairement la TVA de 7% sur les médicaments et celle de 20% sur les produits diététiques, disparue en 1981, mais réintroduite depuis 2008. Cette TVA, estime Kamal Belhaj Soulami, devrait disparaître, car n'étant pas répercutée sur le consommateur. Toujours sur le chapitre de la réduction des prix, la fédération déclare ne même pas connaître avec précision les produits sur lesquels la baisse doit porter. «Les parlementaires ont fait une étude sur quinze produits et ont estimé que les prix doivent baisser alors qu'il existe aujourd'hui près de 5.000 produits sur le marché», s'insurge Kamal Belhaj Soulami. Notons que le marché des médicaments réalise selon la fédération, un chiffre d'affaires de 10 milliards de dirhams, mais avec des marges nettes jugées trop faibles par les professionnels (2 à 8%). Qu'en pensent alors les autres acteurs de la chaîne pharmaceutique? Quels sont les tenants et les aboutissants de cette équation apparemment difficile à résoudre? Gestion de la politique du médicament Même son de cloche du côté des industries pharmaceutiques. Car, pour Ali Sedrati, président de l'Association marocaine de l' industrie pharmaceutique (AMIP), la concurrence sévissant sur le marché ces dernières années a déjà entraîné une baisse considérable des prix. Aussi explique-t-il que le générique, produit vendu à faible prix, représente aujourd'hui 30% de la consommation des médicaments. Sans consensus global autour de la question, la baisse engendrerait, prévoit-on du côté de l'AMIP, un déséquilibre au sein de l'industrie. Celui-ci aboutirait à un scénario catastrophique, en ce sens que l'industrie pharmaceutique risquerait de se retrouver avec certains produits peu rentables, qu'elle serait obligée de retirer du marché pour ne garder que les produits sophistiqués, donc plus chers pour le consommateur, malgré la révision des prix qui sera pratiquée. Dans cette optique, les responsables de deux organisations de la pharmacie estiment unanimement que la réduction des prix n'est pas la variable la plus pertinente pour l'accès aux soins des populations. Selon eux, pour ce faire, c'est au niveau de la couverture médicale que les efforts doivent être concentrés, car plus celle-ci se généralise, plus l'accès au médicament devient facile. À ce propos, souligne Ali Sedrati, «imaginez qu'aujourd'hui le Maroc n'a qu'un taux de couverture médicale de 30%, alors que des pays comme l'Algérie s'approchent de 80%». Soit. Mais dans tout cela, que dit-on du pouvoir d'achat des ménages, dans la mesure où la couverture médicale est encore faible ? Là encore, les professionnels de la chaîne pharmaceutiques semblent ne pas manquer d'arguments pour plaider leur cause. Selon Kamal Belhaj Soulami, si le Marocain ne dépense en moyenne que 200 à 300 dirhams par an dans les soins médicaux, cela ne signifie pas forcément que c'est parce que le médicament coûte trop cher par rapport au pouvoir d'achat. C'est surtout explique-t-il, parce qu'au Maroc il n'y a pas de culture des soins, car le même Marocain dont la dépense en soins ne dépasse pas 300 dirhams par an, dépense quatre fois plus en communications téléphoniques. Les coulisses de la régulation actuelle des prix Du côté du ministère de la Santé cependant, les raisons d'une action en faveur de l'accès aux soins des populations ne manquent pas et l'option de réduire les prix entre dans un cadre stratégique global. La stratégie sanitaire 2008-2012 élaborée par le département de Baddou indique en effet, que malgré les progrès réalisés en matière de santé, notamment depuis la mise en place de l'INDH, la situation sanitaire de la population reste alarmante. Il y a donc urgence en la matière, souligne-t-on dans le plan stratégique 2008-2012. En matière de médicaments, l'analyse du ministère telle qu'inscrite dans sa stratégie met en exergue les points suivants : il y a absence d'une véritable politique de médicaments. Car, la prescription et l'utilisation des médicaments génériques ne sont pas de nature à favoriser leur usage en quantité suffisante. Mais le ministère reconnaît aussi qu'il y a un manque de clarté et de flexibilité dans les procédures de fixation des prix et dans les taux de remboursement de certains médicaments. Le même rapport indique aussi, qu'aucune possibilité n'est donnée aux pharmaciens pour la substitution des médicaments. S'agissant des prix, contrairement aux autres industries, la décision en matière de leur fixation reste du domaine de l'Etat. Au sein du ministère de la Santé, une direction de médicament et de la pharmacie est en charge de ces questions. Aussi, autour de cette problématique, une commission a été récemment mise en place. Elle est composée de l'Agence nationale de l'assurance maladie (ANAM), de la CNSS, du CNOPS et du ministère de la Santé. Or, pour la fédération nationale des syndicats des pharmaciens du Maroc, une telle façon d'organiser la régulation du médicament n'est pas du tout satisfaisante. «Nous devons être présents au sein de cette commission, même si c'est à titre indicatif», souligne Kamal Belhaj Soulami. Donc, à en croire le milieu syndical pharmaceutique, le bras de fer autour de la réduction des prix des médicaments ne fait que commencer.