«La réforme de la Caisse de compensation est un vieux débat, qui dure depuis près de 40 ans. Il a même été à l'origine de la révolte de Casablanca en 1981». Cette assertion de l'économiste Najib Akesbi, lors d'un récent débat télévisé, nous renseigne autant sur le retard pris sur ce chantier que sur la sensibilité de la question. Toutefois, si le débat dure depuis des décennies, on assiste à un énième ajournement de la réforme. En effet, après avoir été annoncé comme le grand chantier du mandat El Fassi, il est encore une fois renvoyé aux calendes grecques. Ainsi, la vocation sociale de la Caisse, ainsi que son rôle vital dans la sauvegarde du pouvoir d'achat des ménages sont des motifs qui à l'heure actuelle l'emportent largement sur les aspects «résiduels» de la question classique : à qui profitent réellement les subventions des produits de base ? Pourtant, tout le monde est d'accord sur ce biais apparent d'une caisse qui profite d'abord aux riches et aux entreprises. «Les classes aisées ont des revenus supérieurs et consomment donc plus et au bout du compte, profitent plus de la subvention», admet volontiers Hassan Bouselmane, directeur de la Concurrence et des prix au ministère des Affaires économiques et générales. Pire : «Cosumar, Lesieur, Centrale laitière sont des entreprises appartenant au holding royal, qui bénéficient directement et indirectement du subventionnement de la Caisse. Une réforme ne sera possible que dans le cadre d'une restriction de l'influence des lobbys, car c'est le vrai frein à la réforme de la Caisse de compensation», déplore Najib Akesbi. En attendant la réforme, la priorité reste inchangée. L'injection de 15 milliards de dirhams supplémentaires au titre de cette année budgétaire avait par ailleurs confirmé la forte détermination du département de Nizar Baraka à aller jusqu'au bout dans sa mission déclarée qui est la sauvegarde du pouvoir d'achat des familles à revenus limités. Pourtant, si la mise en œuvre de la réforme va certainement tarder, l'effectivité des programmes «Tayssir» et la généralisation du RAMED ont donné des ailes aux défenseurs de l'option des aides directes. Il faut noter que les bénéficiaires des subventions étatiques de ces deux programmes devront en principe être la cible prioritaire des aides de la Caisse. L'action de soutien des 160.000 familles pour lutter contre la déperdition scolaire de leurs enfants, tout comme les 30.000 cartes distribuées au sein de la région pilote de Tadla-Azilal restent satisfaisants pour les départements concernés, mais sans que cela ne soit un gage de réussite au niveau national. En effet, la Caisse profite aussi à la classe moyenne, qui est selon les critères du HCP difficilement identifiable et ne peut jamais être rangée dans la même catégorie que les familles éligibles à des subventions, qui varient entre 60 et 100 dirhams par enfant, si l'on se contente du seul exemple de Tayssir. Cela revient à dire que la réforme de la Caisse devrait aussi prendre en compte les ménages à «revenu moyen», dont la libéralisation totale des prix subventionnés ne pourra qu'altérer significativement leur pouvoir d'achat. D'un autre côté, l'ajournement de la réforme de la Caisse de compensation risque de soulever plusieurs problèmes juridiques, après l'adoption de nouvelles lois qui consacrent la concurrence saine et loyale entre les opérateurs, en liaison avec la protection du consommateur. Le Conseil de la concurrence a par conséquent du pain sur la planche et devra trouver des échappatoires qui ne sortent pas du cadre tracé par la loi sur la liberté des prix, et en même temps réduire la liste des 15 produits dont les prix sont toujours fixés par le gouvernement. Sur ce volet, le Conseil de la concurrence semble toujours approuver la politique gouvernementale et rien n'indique qu'il va revenir sur l'avis favorable qu'il a déjà donné pour l'arrêté pris en septembre 2010 et qui reste toujours flexible. La balle est donc dans le camp de l'organe de régulation sectorielle, qui doit déterminer le champ de l'intervention étatique en faveur des démunis, sans reproduire la concurrence déloyale décriée par les adeptes de la main invisible économique. Un observateur va plus loin : «Une réforme n'est possible qu'à travers une volonté politique forte et cela n'est possible qu'à travers l'émergence d'une nouvelle élite, qui se caractérise par un certain courage politique». En attendant l'avènement de cette élite, la Caisse de compensation et par ricochet le budget de l'Etat vont continuer à subir les soubresauts du prix du baril ... et les gouvernements se refileront le projet de réforme comme on se refile la patate chaude. Y.B & A.S Point de vue : Mustapha Ramid, Chef de la commission de la justice et des droits de l'homme au Parlement Cela fait plus de 10 ans que les gouvernements successifs évoquent le sujet de la réforme de la Caisse de compensation sans que des mesures concrètes ne soient prises. La réforme de la caisse reste une très grande urgence, mais le gouvernement actuel manque visiblement de courage pour mettre en application les mesures de réforme que les principaux acteurs politiques ont déjà formulées. L'important demeure que des dotations directes doivent être données aux familles méritantes de la subvention. Ces aides directes doivent être remodelées en fonction des fluctuations des prix, car la caisse gère avant tout des deniers publics qui ont un but bien précis. Malheureusement, dans l'état actuel du fonctionnement de la caisse, les aides directes ne sont pas utilisées à bon escient. Point de vue : Abdelali Benamour, Président du Conseil de la concurrence Si la caisse, telle qu'elle fonctionne actuellement, vise à aider les classes économiquement faibles, personnellement je profite aussi de ces subventions lorsque j'achète du pain ou du gaz butane. C'est pour dire que l'enjeu est de pouvoir dégager les moyens qui permettent d'acheminer les subventions vers les pauvres et les familles vulnérables. Sur un autre niveau, le Premier ministre a saisi le conseil depuis près de 2 mois au sujet des 15 produits dont les prix sont réglementés, y compris ceux subventionnés par la Caisse de compensation. De notre côté, on va prendre tout notre temps avant de donner notre avis, car il va falloir d'abord préparer une étude plus accomplie de manière à ce que la réforme de la caisse puisse être orientée vers le soutien des couches défavorisées qui sont sa cible. D'après le volet législatif, il faudrait passer à un autre système d'ici 2014. Interview avec Abdelhadi Khairat, Membre du bureau politique de l'USFP Les Echos quotidien : Est-ce que le débat sur la réforme de la Caisse de compensation risque d'être enterré vu le contexte actuel ? Abdelhadi Khairat : Je dois préciser que depuis sa création, la Caisse de compensation a profité surtout aux riches plus qu'aux pauvres au Maroc. L'Etat subventionne le sucre et ce sont les professionnels qui utilisent cette matière, tout comme la subvention des autres produits de base qui profitent aux secteurs de la restauration. Bref, que la réforme soit remise sur la table de discussion ou pas, la Caisse ne remplit pas la mission initiale pour laquelle elle a été instituée. L'injection de 15 milliards DH est pourtant un indicateur fiable du maintien de la Caisse ? Le problème ne se pose pas à ce niveau. Il faut réformer la Caisse et faire en sorte que les subventions puissent profiter à la cible des couches défavorisées. C'est cela le véritable problème, d'ailleurs notre parti a une vision qui est en même temps ancienne et nouvelle sur la place que doit occuper la Caisse, que nous avons déjà pu formuler. En quoi consistent ces nouvelles propositions ? Nous avons estimé qu'il va falloir donner des aides directes aux familles nécessiteuses à hauteur de 500 DH. Je pense que cette somme devra être revue à la hausse et il ne faut surtout pas la confondre avec d'autres types de subventions comme le programme «Tayssir» destiné à la lutte contre l'abandon scolaire qui n'a rien à voir avec ce que nous proposons.