Les Echos quotidien : La reconduction de l'accord de pêche n'était pas une mission facile. Pourquoi tant de rebondissements ? Kamal Bennouna : Nous sommes entrés dans une phase délicate dans nos relations avec l'Union européenne, à cause de la position de certains députés Verts et de l'extrême gauche sur l'affaire du Sahara. Aujourd'hui, un très fort lobby s'est constitué, principalement au sein du Parlement européen, contre le Maroc et ses intérêts. Il s'agit de pays comme le Danemark ou la Norvège, lesquels veulent, chaque fois que l'occasion se présente, s'ériger en leaders des Droits de l'Homme. Etant donné le fait qu'ils n'ont aucun intérêt direct avec le Maroc, ils préfèrent nous convertir à une partie de leur politique intérieure. Cela est valable aussi pour l'Espagne, car quand le PSOE était dans l'opposition, les socialistes s'étaient permis de donner des coups au Maroc comme c'est le cas avec le PP actuellement. Ce sont des enjeux de politique intérieure qui ont des conséquences très graves sur le plan régional ou communautaire. C'est pour cela que nous avons célébré la première rencontre des professionnels de la pêche entre Marocains et Espagnols. Le cadre regroupe des professionnels de la distribution, des importateurs et des commerçants des produits de la pêche. L'objectif est de montrer que le secteur est primordial pour les Espagnols, car à titre d'exemple, la pêche fraîche réalisée au Maroc est exportée à hauteur de 80% vers notre voisin, sans oublier qu'il existe un nombre considérable de bateaux mixtes maroco-espagnols opérant au Maroc. Dans le passé, les professionnels de la pêche étaient contre l'accord de pêche et aujourd'hui vous le défendez. Comment s'explique ce changement de position ? Avant, nous avions considéré qu'il était préférable que nous vendions aux Européens notre poisson au lieu qu'ils viennent pêcher chez nous. C'était en somme notre politique depuis toujours. Or, cette démarche a changé pour des raisons très simples : nous dépendons du marché européen. Pour la rentabilité de nos navires, nous avons noué des partenariats avec des Espagnols, soit directement à travers l'armement, soit dans la transformation. Par conséquent, nous avons des choses en commun à partager et surtout à défendre, auprès de l'Europe principalement. Cet intérêt commun réside dans le fait que nous pêchons le même poisson. Logiquement, la communauté européenne ne peut plus dire «oui» au poisson marocain, capturé par les bateaux espagnols et de dire «non» à celui venant des bateaux marocains. De ce fait, notre manière de défendre notre poisson marocain réside dans le fait de permettre aux autres professionnels de pêcher et commercialiser ces captures dans les mêmes conditions que nous. Tout cela pour que, au bout du compte, nous puissions accéder aux mêmes marchés qui s'ouvrent devant nos concurrents. Dans le cas contraire, nous tomberons dans le risque que les Espagnols commercialisent leur poisson et boycottent le nôtre. C'est important que ce soit le même produit, commercialisé par les mêmes parties et ce pour mieux défendre nos captures. C'est pour cela que la conception de l'accord de pêche a changé. Je crois que quand nous avons des intérêts communs, nous pouvons mieux défendre notre propre produit. Et si les Espagnols consolidaient des intérêts de plus en plus forts avec le royaume, ils se sentiraient obligés de soutenir l'exportation marocaine, l'économie marocaine et peut-être même la politique marocaine, car ce sont les lobbys économiques qui renforcent notre position. En tant que professionnel, croyez-vous que la contrepartie financière de l'accord ait été utilisée à bon escient par le Maroc ? Malheureusement non. L'accord de pêche était, avant tout, un besoin financier pour la trésorerie marocaine. Cette donne a changé lors du dernier accord où l'UE avait exigé qu'une partie des redevances qu'elle verse au Maroc soit injectée dans le secteur de la pêche, dans le cadre de la modernisation de la flotte marocaine. De même, elle a exigé qu'une part de ce pactole soit versée dans le développement des provinces du sud. Il a clairement été démontré que le Maroc a investi dans les provinces du sud et l'UE en a eu les preuves, d'où le changement de position. En ce qui concerne la modernisation de la pêche, l'armement marocain n'a pas senti l'impact de cet argent puisque le plan Ibhar n'a pas rempli ses objectifs. Cela est dû au fait que ce programme a été élaboré en écartant l'implication des professionnels. Par conséquent, les réels besoins du secteur n'ont pas pu être identifiés. C'est pour cela que le projet n'a pas abouti et nous ignorons la destination finale de ces sommes. Le ministère a fait une promesse de répartition de fonds à certaines Chambres de pêches maritimes et à la CGEM. Les Espagnols ne cessent de réclamer que le débarquement des captures soit une démarche volontaire. Quelle est la position de la FPMA à ce propos ? L'accord de pêche prévoyait qu'un certain nombre de bateaux fassent le débarquement dans les ports marocains. Je crois que l'affaire a été mal pensée au départ. En exigeant le débarquement des captures au Maroc, le gouvernement estimait que cette opération aurait une incidence positive (taxes, manutention...) sur l'activité économique de la région où aura lieu le débarquement. Seulement, le gouvernement marocain obligeait certains bateaux à débarquer dans les ports tout en les sommant de s'acquitter de taxes au profit de l'Office national des pêches, comme si le poisson était marocain. Alors que normalement si le poisson n'est pas marocain et ne fait que transiter, il s'agit d'une admission temporaire et ces captures ne devraient pas être taxées. Il y a eu un problème de consensus entre l'UE et le Maroc à ce sujet. Et dans l'actuel protocole, l'UE veut tirer au clair ce point. Cela d'une part. D'autre part, l'incidence de ce débarquement est très insignifiante. En revanche, un bateau qui débarque au Maroc est un bateau qui ne perd pas de temps dans la navigation. Cela signifie que c'est un bateau qui reste plus longtemps sur la zone de pêche et par conséquent capture des quantités plus importantes. Au final, les bateaux payent les mêmes redevances et droits, mais pêchent le double des captures, tout en sachant que le bateau qui débarque chez lui met plus de temps pour revenir pêcher dans les eaux marocaines. Ce qui suppose moins d'effort sur les zones de pêche. Pour ces raisons, cette question doit être volontaire. En tant que professionnels, on n'y voit que des inconvénients pour les ressources maritimes. Amal BABA ALI