«C'est un des plus beaux lieux du monde». Cette marque d'amour fut prononcée à l'endroit de Marrakech, selon les responsables de la Mamounia qui en gardent encore les souvenirs, par Sire Winston Churchill, un soir de 1943 alors qu'il contemplait le coucher du soleil depuis ses appartements de l'hôtel. Et à qui confiait-il son histoire d'amour avec Marrakech? À l'ancien Président américain, Franklin Roosevelt, une autre grande figure du 20e siècle qui finit également par en tomber amoureux. Mais à autre temps, autres amours. Aujourd'hui encore, Marrakech continue de conquérir les puissants du monde (politiques, élites de l'univers culturels) et la Jet Set internationale. Du top model et chanteuse anglaise, Naomi Campbell, au célèbre footballeur David Beckham, en passant par le magnat des affaires français (PCA de Vivendi), Jean René Fourtou... la ville ocre dispose d'un impressionnant fan club, composé de la star system mondiale contemporaine. Ces nouveaux amoureux de la vedette des destinations marocaines, selon les acteurs touristiques locaux, sont également des ambassadeurs efficaces dont la contribution dans le développement du tourisme haut de gamme est d'une importance capitale. À titre d'exemple, lorsqu'en 2002, le célèbre rappeur américain, Puff Daddy, avait décidé de venir fêter son 33e anniversaire au Maroc, ce n'est pas moins de 300 invités, pour la plupart des stars du showbiz, qui s'étaient retrouvées à Marrakech. Cependant, derrière cette époustouflante capacité de séduction de la ville ocre, bien de secrets se cachent, dont certains jalousement gardés, plombés au cœur des mystères de la ville des mille et une nuits. Formalisation Dans le landerneau touristique haut de gamme de Marrakech, les anecdotes sur les séjours des icônes du siècle dernier et la fascination que la ville ocre exerce sur eux, ont longtemps été vivaces et participé d'une certaine manière à la construction du mythe de la destination. Selon Jalila El Oufir, directrice de la communication de la Mamounia, pendant longtemps, d'innombrables clients VIP venaient dans l'établissement avec entre autre objectif de séjourner dans les suites occupées par des légendes comme Churchill. Mais au fil du temps, la ville a progressivement changé d'approche. Pour se faire une place parmi les destinations touristiques les plus prestigieuses du monde, elle ne se contente plus seulement d'évoquer des souvenirs et des légendes. Elle formalise, aujourd'hui, son action et s'engage à développer un véritable segment de tourisme haut de gamme. Au début des années 2000, la création d'événements culturels et scientifiques d'envergure internationale, dont le plus emblématique est le Festival du film de Marrakech (lancé en 2001), vont être de puissants produits d'appels pour vendre la destination aux VIP des quatre coins du monde. Cette orientation a été fortement appuyée par des investissements colossaux destinés notamment à la mise à niveau des infrastructures hôtelières. La rénovation de La Mamounia, rouverte en 2009, et l'ouverture d'autres établissements prestigieux tels que le Royal Mansour et le Mandarin oriental, entrent dans ce cadre. La dynamique s'est également poursuivie avec l'arrivée des grandes marques internationales, Mandarin, Four Seasons, Barrière, Raffels, Beachcomber, Banyan Tree, Rocco Forte...). Sur ce volet aujourd'hui encore, le rythme d'implantation de marques de luxe continue d'être frénétique sur Marrakech. Entre 2008 et 2010, le conseil régional du tourisme (CRT) comptabilisait en moyenne deux ouvertures ou rénovation d'hôtels et de riads de luxe par mois. Mais le point d'orgue de l'offensive de Marrakech, en matière de développement sur le segment du tourisme VIP sera véritablement atteint en 2009. Nouveau paradigme Un événement majeur s'est produit cette année là. Suite à une étude commandée auprès du cabinet Monitor, pour un coût de 5 millions de dirhams, Marrakech entame son repositionnement avec, à la clé, un plan d'action marketing couvrant la période 2010-2013. La ville ocre signe ainsi son passage destination mono produit à celui de destination multi produits. Elle met davantage l'accent sur le renforcement des produits de niches à haute contribution (famille, golf, business, bien-être...) c'est-à-dire le segment du tourisme de luxe. Pour démarrer la mise en œuvre de la nouvelle stratégie, les super VRP du CRT et de l'Office national marocain du tourisme (ONMT) entrent en action avec à leur disposition un budget promotionnel de 35 millions de dirhams. Objectifs assignés à ces VRP : courir les grandes métropoles européennes pour démarcher les VIP. Une source interne au CRT de Marrakech explique que, c'est dans ce cadre, en 2010, que des soirées prestige baptisées Red by Marrakech ont été organisées avec l'appui des amis du Maroc, notamment à Paris, Milan, Madrid, Londres et New York, au profit des prospects VIP. Une initiative dont la reconduction pour 2011 est déjà arrivée avec un budget encore plus important, selon notre source, du fait de l'impact positif obtenu. Mais cette année, ces missions VRP s'orientent plutôt vers l'Europe de l'Est, notamment la Russie, la Pologne et la Scandinavie. Toutefois, si cette politique de séduction des VIP engagées par le CRT et l'ONMT est bien appréciée par les opérateurs locaux, nombre d'entre eux estiment que la ville doit également continuer à accorder les mêmes attentions aux autres segments de l'activité touristique. Perspectives «L'idéal serait de faire de Marrakech une destination touristique prisée par la haute classe mondiale, mais toujours aussi accessible aux gens ordinaires», explique Lahcen Zelmat, DG de l'hôtel Palm Plazza et secrétaire général de l'association de l'industrie hôtelière (AIH) de Marrakech. Au niveau du CRT, on explique que c'est en effet cela l'ambition que poursuivent les autorités touristiques pour la ville ocre. On en donne pour preuve, la politique d'ajustement des prix des prestations incluses dans le nouveau plan d'action marketing. Selon le CRT, c'est entre autre, l'ajustement des prix qui aurait rendu plus compétitive la destination et permis la réalisation des bonnes performances enregistrées durant l'année 2010, où Marrakech a accueilli 1.781.240 touristiques, avec un taux de retour de + 10 % par rapport à 2009. Parmi les réalisations censées booster les autres segments, le CRT cite également l'intensification des dessertes aériennes à partir des principaux marchés émetteurs. «Durant l'année 2010, quelques 30 nouvelles dessertes aériennes se sont ajoutées à l'existant pour permettre à Marrakech d'atteindre 260 rotations / semaine, tous axes confondus», selon le Conseil régional du tourisme. L'ouverture d'autres trafics aériens est également prévue, pour servir d'appui à la politique de conquête des nouveaux marchés émergents dont ceux de l'Europe de l'Est, de la Scandinavie, la Russie, la Pologne... Dans ce cadre, le retour de British Airways sur Marrakech à partir de l'aéroport de Gatwick avec 3 vols par semaine, a été annoncé ce mois de mars. Il sera suivi au mois d'avril par le lancement de la ligne RAK-Londres Heathrow opérée par la compagnie britannique BMI. Les estimations chiffrées indiquent également que par rapport à la croissance de sa capacité litière, Marrakech aura besoin en 2012 d'attirer plus d'un million de touristes supplémentaires, de générer environ 1 milliard d'euros d'entrées de devises et de créer 140.000 emplois directs et indirects. Ce qui signifie que le maintien du cap sur les autres segments est une nécessité qui s'impose, car le créneau VIP ne peut satisfaire ces ambitions. S.S.M Et l'effet révolution au Maghreb ? Quel serait l'impact de la conjoncture actuelle sur le segment touristique VIP de Marrakech ? La question se pose du fait notamment des troubles sociaux qui secouent la région, et surtout du fait du tollé soulevé par les vacances des politiques français (Michèle Alliot-Marie, François Fillon) en Egypte et en Tunisie et qui a conduit à la prise de mesures restrictives les concernant. Dans le microcosme touristique marrakchi, les acteurs apprécient diversement cette conjoncture. Certains avouent que la situation est angoissante et diminue leur visibilité alors que d'autres estiment que si impact il y aura, il ne sera que négligeable. «La situation nous interpelle, mais nous gardons notre calme, car la destination Marrakech est aujourd'hui prisée par les VIP du monde entier, nous ne dépendons donc pas d'un seul marché», souligne Jalila El Ofir, directrice communication de la Mamounia. De son côté, Lahcen Zelmat, secrétaire général de l'Association de l'industrie hôtelière de Marrakech, estime que le risque d'un ralentissement existe, mais que l'impact peut être contenu du fait de la particularité de la destination Maroc. «La différence entre Marrakech et les autres destinations du Maghreb est que les clients VIP ne viennent pas passer leurs vacances aux frais de l'Etat marocain, ils paient leur séjour de leurs propres poches», soutient Zelmat.