La révolution du jasmin continue de révéler les dessous d'un régime mafieux, qui a fondé ses repères autour de pratiques suspicieuses, exécutées par des personnes peu scrupuleuses. Loin des membres du clan Benali/Trabelsi, largement médiatisés ces derniers jours, l'ancien régime a mis en place un réseau de personnes vouées au service de «la princesse». Les hommes du Président. Le clan s'enrichissait en appauvrissant le pays, par une érosion de sa richesse foncière, en la réduisant au plus bas niveau. Mostafa Bouaaziz, ministre des domaines de l'Etat, avait pour mission principale de procurer au clan le meilleur du foncier à des prix symboliques. Le reste est classique: des reventes à coup de plus-values astronomiques en des temps records. Une rente qui ne dit pas son nom. L'exemple le plus frappant, au cours de l'été 2007, a été la décision de Leïla Benali de fermer une université privée, de s'accaparer un terrain mitoyen, d'y construire Carthage International School, de recevoir gratuitement du gouvernement un don à l'école de 1,8 million de dinars (1,5 million de dollars), et, en quelques semaines, de construire des routes et d'installer des feux tricolores pour faciliter l'accès à l'école, selon Le Monde. Le ministre Bouaaziz avait l'obligation d'informer «la présidente» des belles affaires. «La spécialité de Leïla Ben Ali reste la prédation économique au profit des siens. Elle se réunissait avec son clan dans le salon bleu du palais présidentiel de Carthage pour se demander sur quel bien immobilier il fallait faire main basse», est-il écrit, par Nicolas Beau et Catherine Graciet, dans leur livre «La régente de Carthage», longtemps interdit en Tunisie. Quand il s'agissait de transférer des deniers publics au crédit des comptes personnels du clan en Suisse ou dans les paradis fiscaux, Mohamed Ali Douas, gouverneur de la Banque centrale, s'exécutait en véritable passeur. Des valises remplies de devises, euros et dollars, faisaient le voyage à bord d'avions spéciaux, par des personnes payées au prix fort pour ce détournement des recettes du pays, avec la bénédiction de Mohamed Jeri, ministre des Finances. Un classique chez les régimes totalitaires. De hauts fonctionnaires, à la tête de responsabilités importantes, sont investis de sales missions. Une pratique qui s'étend à des hommes affaires, dont certains n'hésitaient pas à jouer le rôle «d'hommes de paille». En effet, il y a cinq ans, le clan a commencé à diversifier ses méthodes et a fait appel à certains hommes d'affaires pour «domicilier» leur business. Une cascade d'entreprises écrans fut alors constituée. Taoufik Chaieb, Kamal Letaief, Naji Mhiri, Azziz Miled, Abdelhamid Khchichen... étaint connus de tous comme des hommes d'affaires au service du clan. On ne se gênait pas, à la télévision publique, pour diffuser lors des JT de longues séquences d'inauguration, par le Raïs et son épouse, «des projets de développement grâce à l'initiative privée» ! Une initiative privée qui ne profitait qu'au clan via leurs hommes de paille, prêts à tout en contrepartie d'avantages rentiers. Leur chef de file n'était autre que Hédi Jilani. Le célébrissime homme d'affaires et patron de l'organisation patronale qui maria ses deux filles respectivement à Belhassen Trabelsi, le membre le plus mafieux du clan et au neveu de Benali. Il réussit alors le jackpot. Tous les mégaprojets et les grandes décisions de privatisation passaient au Parlement comme une lettre à la poste. Il y avait une mainmise sur «le majliss», avec des dizaines d'hommes d'affaires et de notables, colorés aux couleurs du RCD, avec une seule directive ; servir le régime, domestiquer l'élite et réprimer les voix «des corbeaux». Sur un autre registre, les présidents nommés dans les grands établissements publics devaient servir d'abord le clan. Les intérêts de la nation étaient relégués au second plan. «Leïla Benali a ordonné aux administrations de la prévenir, dès qu'un projet supérieur à un million de dinars (environ 600.000 euros) était en gestation», selon «la régente de Carthage». Hamouda Belkhouja, pdg d'Arab Tunisian Bank, Aissa Hidoussi, pdg de la Banque de l'habitat, Adil Zerrouk et bien d'autres étaient, du haut de leur tours d'ivoire, de fidèles exécutants bénéficiant de plus en plus d'avantages en fonction de la «qualité» des services rendus. L'ex-président de la Banque du sud fait d'ailleurs également partie de ce club très select. Tout le monde se rappelle les conditions dans lesquelles cette banque a été privatisée et comment un gendre du Raïs a fait un aller-retour d'actions qui lui a permis d'engranger une plus-value conséquente. L'opération avait été «parrainée» par le Raïs lui-même, qui a reçu personnellement l'ex-président d'Attijariwafa Bank, Khalid Oudghiri, la veille de la reprise de la Banque du Sud par la banque marocaine. Une entrée, volontaire ou involontaire, dans le clan et qui avait coûté à Oudghiri son siège de président d'Attijariwafa Bank. Une prédation riche en enseignements.