Maroc Telecom, Méditel et Wana devraient se frotter les mains. Pour les quatre années à venir, les trois opérateurs télécoms sont certains de se partager le marché juteux des télécoms à eux trois. En effet, le régulateur du marché a décidé, via sa dernière note d'orientations 2009-2013, de ne pas octroyer de quatrième licence globale (mobile, fixe et Internet). Et pour cause, l'Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT) estime qu'il y a encore beaucoup à faire avec les trois opérateurs. «Le marché recèle encore du potentiel avec trois opérateurs», confie une source interne de l'Agence. Traduisez : la période de concurrence limitée et régulée a encore de beaux jours devant elle. Ceci dit, on nous assure auprès du régulateur que l'Agence prend la baisse, réelle, des prix à bras-le-corps. D'où la baisse «significative» des tarifs d'interconnexion (ce que les opérateurs payent entre eux), programmée dans la note d'orientations. Les opérateurs ont longtemps sous-entendu que les tarifs de la téléphonie mobile sont chers au Maroc pour la simple raison qu'à la base, les tarifs d'interconnexion, fixés par l'ANRT, sont assez chers (1,15 DH/mn). En promettant une baisse de ce tarif de base inter-flottes (aucun chiffre n'est encore communiqué), l'ANRT met la balle dans le camp des opérateurs. Car si les prix de base baissent, ceux commercialisés devraient suivre. Sur le segment du GSM, les prix vacillent déjà avec le lancement imminent de l'offre GSM de Wana, dans les mois qui viennent. On comprend ainsi facilement pourquoi le régulateur refuse de rendre publics les plans de baisse des tarifs d'interconnexion, puisque le troisième opérateur s'apprête à lancer son offre. L'ANRT promet le très haut débit Sur le volet Internet, la note d'orientations 2009-2013 parie sur l'évolution technologique pour doper le marché (actuellement à un million d'internautes). La note parle d'un plan national pour assurer une couverture «très haut débit». Objectif escompté : réduire la fracture numérique et desservir des zones moins denses et lointaines (en général, les opérateurs fuient ces zones par manque de rentabilité). L'enjeu pour le régulateur est de développer de nouveaux services à forte valeur ajoutée. Si la technologie choisie n'a pas encore été rendue publique, le régulateur, lui, parle déjà de l'octroi prochain d'une nouvelle licence 4G (une version plus évoluée que la 3G, déjà disponible sur le marché marocain). Théoriquement, la 4G doit pouvoir contribuer à réduire les inégalités entre territoires en matière d'accès fixe. Dans les territoires à faible densité où la fibre ne pourra être déployée rapidement, les réseaux mobiles à très haut débit pourront assez rapidement apporter aux particuliers des débits supérieurs à ceux des réseaux cuivre. Le très haut débit mobile est aussi complémentaire des réseaux fixes pour apporter à tous une continuité et une convergence entre les services consultés à la maison ou au bureau et ceux utilisés en mobilité. Bref, les possibilités de convergence sont multiples. Sauf que, aujourd'hui, quasiment aucun pays n'a encore déployé la 4G. Certains se livrent encore à des essais (Corée du Sud, Japon, Norvège...). Il faudra aussi passer par plusieurs étapes avant de la lancer au Maroc (investissements techniques, choix et attribution des fréquences). En plus, la 4G au Maroc n'est pas pour demain. Pour Karim Jazouani, consultant NTIC, les autres technologies en place ne sont pas encore arrivées à maturité. Ainsi pour l'ADSL, il faudra accélérer le processus du dégroupage. Pour la 3G, il s'agira de renforcer les débits commercialisés, multiplier les offres de qualité et proposer une réelle offre pour le mobile. Par ailleurs, et entre autres nouveautés introduites par la note d'orientations, on note la régularisation des statuts de l'ONCF et de l'ONE. Ces deux établissements publics louent en effet leurs infrastructures et leurs réseaux à Méditel, pour le premier, et à Wana, pour le second. Des locations sous contrats. Les réseaux des deux Offices servent aux opérateurs de canaux de fibres optiques pour transporter la voix et les données. La note d'orientations 2009-2013 a ainsi introduit la notion d'opérateurs d'infrastructures. Leurs statuts seront contenus dans la loi 29-06, attendue au Parlement courant 2010. L'ensemble de ces directives adoptées par le régulateur devraient, théoriquement, donner un coup de fouet au développement du marché, qui devrait réaliser un chiffre d'affaires de 40 milliards de DH à l'horizon 2013. «Les opérateurs doivent proposer des offres réelles»:Karim Jazouani, Consultant NTIC Les Echos : Que pensez-vous de la décision de l'ANRT de ne pas octroyer une quatrième licence globale (GSM+Internet+Fixe) ? Karim Jazouani: C'est une décision qui profiterait plus aux opérateurs en place. Mais, si on se met du point de vue du consommateur marocain, et avant de réfléchir à l'octroi d'une 4e licence globale, je pense qu'il y a encore des mesures à mettre en place pour dynamiser le marché, tirer les prix vers le bas et augmenter le nombre de Marocains connectés. Je pense, par exemple, au fait d'instaurer une loi pour le dégroupage total. J'entends par là l'opération technique permettant l'ouverture du réseau téléphonique local à la concurrence. En effet, les opérateurs tiers (Méditel, Wana) ne disposent pas de la boucle locale qui appartient à l'opérateur historique, Maroc Telecom (NDLR: ce dernier la loue aux deux autres opérateurs. Mais les tarifs de location sont jugés chers par Wana et Méditel). Aujourd'hui à 91%, le taux de pénétration de la téléphonie mobile dépassera certainement les 100% d'ici quatre ans. Est-ce à dire que le marché sera saturé ? Possible que le marché soit saturé (car 94% des clients sont dans le prépayé), mais le prix restera le nerf de la guerre. Il y a en effet un risque : une entente entre les opérateurs pour maintenir les prix hauts! À mon avis, il faudra renouveler le parc mobile et assurer les nouveaux usages de demain. L'Internet passera forcément et de plus en plus par les téléphones mobiles intelligents (les smartphones). Donc l'opérateur qui tirera son épingle du jeu sera celui qui aura bien pris conscience de cette donne. Je vous cite l'exemple le cas de la France, dont le marché du mobile est presque saturé (93%). Pourtant, l'Etat français vient d'accorder une 4e licence mobile à l'opérateur «Free», dont l'objectif clairement affiché est de proposer au consommateur des offres claires et innovantes à des tarifs compétitifs, de nature notamment à faciliter l'accès à l'Internet mobile. L'ANRT parle du lancement de la 4G. Pensez-vous que cette technologie aura le même succès que la 3G ? Il faut savoir que la 3G a permis vraiment de doper le nombre d'internautes au Maroc. Ajoutez à cela un prix accessible (clé 3G prépayée, ordinateur portable, netbook dont les tarifs sont en baisse...). L'un des avantages majeurs est que les gens peuvent se connecter à Internet sans avoir de ligne fixe, qui reste trop chère à mon sens. Actuellement, la 3G concerne très peu les téléphones mobiles, d'où le flop de la visiophonie 3G lancée au Maroc. Prenez l'exemple de la France, la 3G y concerne beaucoup plus les téléphones (parc mobile récent subventionné en plus d'offres adaptées). La 4G, également appelée le «très haut débit mobile» promet surtout des vitesses de connexion entre 100 Mbit et 1 Gbit par seconde. Il s'agit de plus hauts débits pour des usages toujours plus consommateurs de bande passante : téléchargement de gros fichiers, visiophonie en haute-définition, vidéo, jeux en réseaux... Toujours pour la 4G, quels seraient les enjeux pour les opérateurs ? Ils tournent autour des coûts des nouvelles infrastructures comme les nouveaux protocoles, les nouvelles antennes... L'avantage pour eux est qu'ils auront moins de travaux de voirie, car cela passe par les airs (tout comme le WiFi ou la 3G actuelle). Je suis pour la 4G pour réduire la fracture numérique, mais à condition d'avoir des offres bien conçues et abordables (avec du matériel subventionné: mobile, portable ou PC fixe), une réelle qualité de débit et pour continuer à démocratiser l'ordinateur (prix en baisse). L'avenir peut venir également des téléphones mobiles: si les opérateurs créent de réelles offres (abonnement + mobile / prépayé + mobile). Ainsi tous les Marocains peuvent disposer dans le creux de la main d'un accès à Internet très haut débit illimité et partout dans le royaume. L'ADSL peut encore servir le Maroc, surtout pour les villes et les entreprises. La 4G, elle, pourrait être intéressante pour les téléphones mobiles, les personnes ou les entreprises non raccordables à l'ADSL. À votre avis, comment dynamiser le marché ? Il faut créer le besoin et les usages. Je vous donne un exemple concret, celui d'Internet. Si on encourage les initiatives de créations de contenus maroco-marocains et leur digitalisation (en gros, plus de sites web marocains, plus de TV et radios marocaines, plus de cinéma, plus de musique, plus de culture...), on encourage les gens à se connecter. Si, en plus, on leur permet cela à moindre coût, la dynamique du marché sera certainement au rendez-vous. Les raisons du retard Censée remplacer la note d'orientations 2004-2008, la nouvelle directive 2009-2013 devait être prête fin 2008. Or, elle n'a été finalement approuvée par le Conseil d'administration de l'ANRT que le 19 décembre 2010. Et pour cause, le régulateur a attendu l'année 2009 pour lancer l'étude qui servira de base à la note d'orientation stratégique 2009-2013. Et de report en report, vu l'agenda «chargé» du Premier ministre, le document n'a été approuvé que la semaine dernière. Une source informée à l'ANRT nous confiera que le choix de retarder la note peut s'expliquer par au moins deux raisons. Premièrement, il a fallu attendre les résultats de l'étude «Impact» relative aux nouvelles technologies. Selon notre source, il était «inopportun» de lancer une autre étude qui concerne uniquement le secteur des télécoms. La deuxième raison est le lancement de l'appel d'offres pour l'octroi de la 3e licence de téléphonie mobile de 2e génération. «Lancer l'étude dans un contexte pareil ne pouvait que perturber nos calculs», explique notre source. Une quatrième licence du fixe, pour quoi faire ? Certaines de nos sources soutiennent, malgré tout, que l'ANRT compte octroyer une 4e licence du fixe. Les trois premières sont détenues par Maroc Telecom, Méditel et Wana. Si ce dernier et l'opérateur historique ont choisi d'y investir, Méditel, lui, préfère attendre, car «pas très rentable». En effet, réinvestir dans la filière serait un investissement très conséquent et louer l'infrastructure de Maroc Telecom (à travers le dégroupage partiel) coûte cher, de l'avis des dirigeants de la filiale du groupe. Celle-ci a jeté l'éponge au bout d'un moment, après avoir lancé son offre «Tilifoune dial dar», qui n'avait pas séduit grand monde. Avec la mobilité restreinte, Wana a pu grignoter quelques parts de marché. Mais il n'en demeure pas moins que l'opérateur historique reste de loin leader du marché. Selon les chiffres de l'ANRT, le parc global de la téléphonie fixe est de 3,5 millions de clients, dont plus de deux millions en mobilité restreinte (rien à avoir avec les 25 millions du parc de la téléphonie GSM). Le potentiel du segment du fixe est donc loin d'être entièrement exploité. Pour certains observateurs, l'ANRT en octroyant une quatrième licence fixe chercherait à stimuler la concurrence sur ce segment. Mais pour Karim Jazouani, consultant, c'est au niveau du dégroupage total de la boucle locale de Maroc Telecom que des efforts doivent être faits. Cela permettrait aux deux autres opérateurs alternatifs de lancer des offres convergentes (Internet, fixe, TV par ADSL...). La force de Maroc Telecom a toujours été l'étendue de son réseau. Par ailleurs, et selon les derniers chiffres du régulateur, le nombre d'abonnés aux différents services télécoms a enregistré, en 2009, une progression à deux chiffres, aux niveaux de la téléphonie mobile (13%), de la téléphonie fixe (15%) et d'Internet (54%). Le taux de pénétration aurait, lui, dépassé les 91%. Le marché des télécoms a enregistré une croissance de 3% à 5% en 2009. Un taux en baisse en raison de la crise. Le taux de pénétration quant à lui avoisine actuellement les 91%.