Organisée dans le cadre du cycle de rencontres du Cercle des ECO, la table ronde «Logistique : vision et perspectives à l'horizon 2030» a été un franc succès. Etat des lieux d'un secteur longtemps considéré comme le parent pauvre des stratégies de développement au Maroc, aujourd'hui un élément central de tous les progrès escomptés, cadre réglementaire restant à figer, problématique du foncier en cours de résorption et celle, encore en suspens, du transport, intégration de l'informel, digitalisation… Aucune métrique relative à la logistique n'a été épargnée. Les échanges, animés par Hicham Bennani, directeur général délégué du groupe Horizon Press, ont vu intervenir des acteurs de premier plan avec des éclairages précieux de Hakim Belmâachi, président du directoire de Disway, Najib Benhaddou, docteur en droit, spécialiste du transport et de la logistique, Anass Moutaoukil, directeur général de Building & Logistic Services, Mehdi Bouamrani, directeur général de Dislog Group, et Hicham Mellakh, président de la Commission logistique et foncier à la CGEM. Il y a peu, la thématique, bien qu'essentielle, n'aurait pas attiré grand monde. «Nous aurions été trois ou quatre autour de cette table. Je me souviens du temps où, en 2008 et 2009, j'animais notre stand dans le cadre des sessions d'orientation. On suppliait pour attirer du public, aussi peu nombreux fût-il. En face, celui du tourisme par exemple nous rendait vert de jalousie», s'amuse d'emblée un intervenant. Mais ce soir du lundi 10 février, au siège d'Horizon Press à Casablanca, et dans le cadre du cycle de débats qu'organise le groupe, la salle était comble, l'intérêt grand, les interventions précises et percutantes, avec des échanges dynamiques et animés. Les temps ont changé et la logistique s'est, depuis, défait de son anonymat pour devenir un secteur hautement stratégique, au cœur de toutes les stratégies de développement au Maroc et, donc, des débats. Le thème choisi n'était d'ailleurs autre que «Logistique : vision et perspectives à l'horizon 2030». Tout un programme ! Enjeux liés à l'essor du secteur à un moment où le Royaume est pleinement mobilisé dans le cadre d'un «plan Marshall» devant mener le pays à une autre échelle de progrès avec la co-organisation de la Coupe du monde 2030 comme horizon. Du chemin parcouru, mais encore beaucoup à faire Les problématiques diverses, de la rareté du foncier – élément capital à l'émergence d'un secteur fort – à l'épineuse question de la réglementation, peu en phase avec les enjeux futurs, en passant par le transport où tout ou presque reste à faire, ou encore à la prédominance de l'informel, tout y est passé. De la même manière que des notes positives annonçant que de véritables changements de paradigmes sont actuellement en cours. Pour en parler, ils étaient cinq intervenants, et non des moindre, à échanger devant un public conquis et engagé. Parmi eux, Hakim Belmâachi, président du directoire de Disway, une société cotée à la Bourse de Casablanca depuis à peu près 20 ans et opérant dans trois métiers distincts : la distribution de nouvelles technologies, les énergies renouvelables et la logistique. Egalement présents, Najib Benhaddou, docteur en droit, spécialiste du transport et de la logistique et ancien directeur de la Fédération de transport auprès de la CGEM (Confédération générale des entreprises du Maroc), actuellement conseiller auprès de l'UGEP (Union générale des entreprises et professions) et Hicham Mellakh, président de la Commission logistique et foncier à la CGEM. Citons également Anass Moutaoukil, directeur général de Building & Logistic Services, société spécialisée dans la prestation logistique, aujourd'hui contrôlée par le groupe H&S et présidée par Moncef Belkhayat, et Mehdi Bouamrani, directeur général de Dislog Group, un opérateur industriel dans l'économie de la vie, développeur de marques et qui a choisi dans le cadre de son business plan la logistique comme vecteur de compétitivité. Pour planter le décor, et s'agissant de l'état des lieux du secteur, tous sont unanimes : on revient de loin. La bascule s'est opérée en 2010, date de l'adoption de la Stratégie nationale de développement de la logique. Cinq axes en ont constitué les piliers : le développement des compétences, le développement de zones logistiques, le développement d'acteurs émergents et performants dans la logistique, la gouvernance du secteur et l'optimisation des chaînes logistiques. Le constat aujourd'hui est que l'exécution n'a pas suivi, seuls 20% des objectifs tracés ayant été atteints. Là où tout est encore en chantier, c'est dans le nerf de la guerre : l'aménagement de zones logistiques. Néanmoins, et à travers l'Agence nationale de développement de la logistique, le déficit énorme en la matière est en voie de résorption. «Au départ, les pouvoirs publics pensaient industrie. Mais peu à peu, la logistique s'est installée comme un vrai vecteur de croissance», résume Hicham Mellakh, président de la Commission logistique et foncier à la CGEM. Il était temps, surtout, d'en finir avec ce que le spécialiste Najib Benhaddou qualifie de contraste : la position géographique stratégique du Maroc, au carrefour de l'Europe, des Etats-Unis et de l'Afrique, ses nombreuses infrastructures autoroutières, portuaires et aéroportuaires «convenables» n'ayant d'égal que le retard à l'allumage en matière de logistique. Aujourd'hui, explique Hakim Belmâachi, le marché marocain évolue à deux vitesses. «D'un côté, il y a quelques entreprises, pour la plupart des multinationales, ou de grandes entreprises locales, structurées et modernes. Et il y a le reste, excessivement atomisé, avec des acteurs opérant de manière traditionnelle, que ce soit dans la logistique de stockage ou dans celle de transport. D'autant que l'environnement global est peu enclin à l'externalisation de la logistique», résume-t-il. Résultat, la rareté d'acteurs à même de porter le secteur. À telle enseigne que de nombreuses entreprises ont choisi d'intégrer la logistique par défaut. C'est le cas de Dislog. Faute d'opérateurs capables de répondre à ses besoins, elle en a fait un pendant de son activité mère. «Nous avons appris la logistique en la faisant», témoigne Mehdi Bouamrani, directeur général de Dislog Group. De nombreuses opportunités à saisir Faut-il désespérer pour autant ? Loin s'en faut. Signe du potentiel énorme que recèle le secteur, celui-ci accueille désormais des investissements colossaux qui annoncent un changement majeur de paradigme. Building & Logistic Services vient d'ailleurs d'annoncer deux milliards de dirhams d'investissements dans la logistique sur les trois prochaines années. «Nous croyons fermement au potentiel de la logistique au Maroc, dans un contexte stimulé par une économie en plein essor avec des échéances porteuses à l'avenir», commente Anass Moutaoukil. Les challenges d'ici à 2030 sont nombreux, mais la mécanique est lancée. L'Agence nationale de développement de la logistique est en cours de sécurisation du foncier dédié à travers le territoire. Reste, selon tous les intervenants, à adresser le bon mapping territorial, au juste prix. Le principal défi demeure la fragmentation du secteur. Des incitations pour encourager le rapprochement des entreprises sont à envisager. Un moyen de créer des acteurs capables et disposant d'économies d'échelle suffisantes pour pouvoir être compétitifs non seulement au niveau national mais également international. Mehdi Bouamrani Directeur général de Dislog Group Ce qui est important, c'est la massification, qui ne peut intervenir qu'avec un coup de pouce de l'Etat. On a besoin de pousser à la création de champions nationaux. De petites PME éclatées et qui se font concurrence n'y arriveront pas seules. Sans parler de l'informel qui tire les prix vers le bas et empêche les investisseurs de voir le transport, notamment, comme une aubaine ou comme un potentiel investissement. Hicham Mellakh Président de la Commission logistique et foncier à la CGEM Nous sommes dans les 30 glorieuses marocaines, avec une économie tirée par la croissance interne. Nous assistons aux débuts du développement d'une industrie performante avec l'export comme vision. Pour cela, nous avons besoin d'organiser le secteur, en l'espèce à travers un partenariat public-privé documenté. Le plutôt sera le mieux. Hakim Belmâachi Président du directoire de Disway «Les rares clients qui externalisent aujourd'hui sont essentiellement des multinationales qui ont conscience de l'intérêt d'externaliser parce qu'ils comprennent que ce n'est pas leur core business et que c'est mieux de le confier à des professionnels pour le faire.» Anass Moutaoukil Directeur général de Building & Logistic Services «Beaucoup de choses ont été réalisées au Maroc. Exemple en est le port Tanger Med, devenu un fleuron de la logistique et qui n'arrête pas de battre des records chaque année. S'y ajoutent l'infrastructure routière ainsi que les lignes ferroviaires à grande vitesse. De quoi préparer le terrain au plein essor de la logistique. Mais de nombreux points restent encore à traiter. À commencer par le foncier logistique, le peu d'entrain sur l'externalisation, la digitalisation et la persistance de l'informel.» Najib Benhaddou Docteur en droit, spécialiste du transport et de la logistique «Il y a certes un cadre contractuel pour le transport dans le Code de commerce, avec un contrat-type de transport routier de marchandises. Il y a également le contrat de dépôt dans le Code des obligations et contrats. Mais il n'y a rien sur la logistique proprement dite dans nos lois.» Du besoin urgent d'un cadre légal et contractuel Docteur en droit, spécialiste du transport et de la logistique, Najib Benhaddou alerte sur l'absence de reconnaissance du métier de logisticien au Maroc. Pour lui, stimuler le secteur, notamment en matière de promotion de l'externalisation, passe par un cadre contractuel clair des relations entre prestataires de services logistiques et clients. «Il y a certes un cadre contractuel pour le transport dans le Code de commerce, avec un contrat-type de transport routier de marchandises. Il y a également le contrat de dépôt dans le Code des obligations et contrats. Mais il n'y a rien sur la logistique proprement dite dans nos lois», observe-t-il. Conséquence, et dans le lot important de prestations (stockage, emballage, manutention, transport, procédures douanières...) liées à la logistique, lorsqu'un problème se pose, «on ne sait pas aujourd'hui sous quel contrat on va demander des comptes». Se pose la question de l'assurance. «Aujourd'hui, le cadre est pour le moins flou. Comment s'assurer et sous quelle rubrique? Transporteur? Dépositaire? Manutentionnaire? C'est un angle mort sur lequel les pouvoirs publics se doivent de plancher», préconise-t-il. Ilyas Bellarbi / Les Inspirations ECO