Alors que le Maroc affiche un taux d'électrification rurale record, la comparaison avec la Côte d'Ivoire, le Nigéria, le Sénégal et la Mauritanie révèle des stratégies contrastées, des défis structurels et des enjeux financiers majeurs pour l'Afrique. Lors du Sommet africain de l'énergie «Mission 300» à Dar es-Salaam, le Maroc a marqué les esprits en annonçant un taux d'électrification rurale de 99,88%, ce qui le positionne indéniablement comme un modèle continental en la matière. Derrière ce chiffre quasi parfait se cachent des réalités hétérogènes en Afrique. La comparaison avec la Côte d'Ivoire (88,1% de localités électrifiées), le Sénégal (64,5%), le Nigéria (61%) et la Mauritanie (6%) révèle des stratégies divergentes, des défis structurels et des implications économiques cruciales pour la transition énergétique du continent. Le Maroc : un modèle de planification intégrée Avec 99,88% de couverture rurale, le Maroc incarne une réussite portée par trois décennies de politiques stables. Lors de ce sommet, la ministre Leïla Benali a souligné que l'expérience du Maroc «repose sur des partenariats public-privé bancables et une montée en puissance des énergies renouvelables». Le pays a multiplié par cinq ses investissements dans les réseaux et par trois ceux réalisés dans la production verte, combinant extension du réseau central et solutions décentralisées. Cette approche, initiée dès 1992 avec les premiers projets indépendants, a permis de réduire les coûts et d'attirer des capitaux privés. Côte d'Ivoire : entre couverture géographique et desserte réelle La Côte d'Ivoire affiche un taux de couverture de 88,1% des localités, mais seulement 64% des ménages ruraux sont raccordés. Un décalage qui s'explique par la priorité donnée à l'extension du réseau (PRONER) plutôt qu'aux raccordements individuels. Le pays vise 100% de desserte d'ici 2030, via un mix de réseaux (59%), de mini-réseaux (23%) et de kits solaires (18%). Cependant, 79.553 campements permanents restent marginalisés, illustrant les limites d'une stratégie centrée sur l'infrastructure plutôt que sur l'inclusion sociale. Nigéria : l'impératif des solutions décentralisées Avec 86 millions de personnes sans électricité, le Nigéria mise sur les énergies renouvelables distribuées (DARES) pour ses zones rurales. En 2022, 93.193 ménages ont été connectés via des mini-réseaux et 2,93 millions de systèmes solaires déployés. Le projet NEP a déjà fourni un accès à 5,5 millions de personnes. Toutefois, l'objectif de 9% de croissance annuelle de l'accès nécessite 15,5 milliards de dollars d'investissements, soulignant l'urgence de mobiliser des fonds privés dans un contexte de forte pression démographique. Sénégal : les pièges de la fragmentation Le Sénégal présente un taux d'électrification rurale de 64,5%, selon les données officielles de 2023 du ministère de l'Energie, des Mines et des Pétroles, mais avec des disparités criantes : 97,1% en urbain contre 43,4% en rural selon d'autres sources, comme les données de l'ODD7 de 2022. Son plan universel 2029 table sur un modèle hybride (réseau, mini-réseaux, kits solaires). Cependant, les retards d'exécution et la coordination défaillante entre acteurs risquent de compromettre l'objectif, malgré le plan intégré à moindre coût (PIMC) visant à rationaliser les investissements d'ici 2025. Le pays tente une hybridation via des appels d'offres compétitifs pour les mini-réseaux, visant à réduire les coûts (ex : projet SHS 2023). Toutefois, la fragmentation des acteurs (ANER, ASER) et les retards bureaucratiques limitent l'efficacité, illustrant les écueils d'un modèle trop centralisé. Mauritanie : le défi de la densité et du financement Avec seulement 6% de taux d'accès rural, la Mauritanie incarne l'urgence absolue. Le pays doit électrifier 85% de ses 3,4 millions de ruraux d'ici 2030, via des mini-réseaux solaires (projet RIMDIR) et des kits individuels. Mais la faible densité démographique et le besoin de 155 M$ non financés (48% du budget) limitent l'impact. La création du Fonds d'électrification rurale (FER) est cruciale pour subventionner des solutions abordables. La Mauritanie doit combler un déficit de 155 M$, mais son FER peine à se concrétiser, faute de mécanismes de garantie attractifs pour le privé. Si le Maroc sert de phare aux pays du continent, la mosaïque africaine de l'électrification rurale rappelle qu'il n'existe pas de solution unique. Les succès dépendent de la capacité à adapter les modèles aux réalités démographiques, géographiques et financières. Alors que la COP30 approche, ces disparités soulignent l'urgence de mutualiser les bonnes pratiques et canaliser les financements climatiques vers les projets les plus impactants. Modèles économiques : entre PPP, aide internationale et innovation financière Les stratégies de financement reflètent les réalités socio-économiques et politiques de chaque pays. Le Maroc et la Côte d'Ivoire ont opté pour des Partenariats public-privé (PPP) structurés, capitalisant sur des cadres réglementaires stables. Le Maroc, pionnier depuis 1992 avec ses projets de production indépendante d'électricité, a attiré des investisseurs privés via des contrats de long terme (ex : centrales solaires Noor). En Côte d'Ivoire, le programme PRONER, combinant subventions et appels d'offres, a permis d'électrifier 88,1% des localités, mais le taux de desserte (64%) révèle un modèle encore trop centré sur l'infrastructure plutôt que sur l'accès effectif. À l'inverse, le Nigéria et la Mauritanie dépendent largement de l'aide internationale (Banque mondiale, BAD, UE) et des financements climatiques. Le Nigéria mobilise 15,5 milliards de dollars via des projets comme DARES, mais son modèle reste vulnérable, dépendant des aléas des donateurs. Bilal Cherraji / Les Inspirations ECO