Il y a quelques jours, un respectable fqih a jeté un gros pavé dans la mare en lançant une fatwa – de quel droit? - qui somme les «fidèles» de ne plus faire leurs courses dans les magasins qui vendent de l'alcool. Aussitôt après, un autre fqih, tout aussi respectable, a répliqué par une contre-fatwa qui annule et remplace la précédente, ce qui a déclenché une polémique, ma foi, assez sympathique. Je ne suis pas très porté sur la chose, mais cette histoire m'a vraiment saoulé. Pourtant, ce thème m'a toujours hanté. Je trouve que c'est un des aspects les plus frappants de la schizophrénie criante que vit notre société depuis la nuit des temps. Je vais essayer de résumer ce problème sans pour autant le caricaturer: comme vous le savez, il existe une loi qui interdit aux «Marocains musulmans» l'achat et la consommation de toutes les boissons alcoolisées. Pour votre gouverne, est considéré comme «Marocain musulman», tout citoyen né au Maroc ou ailleurs, de parents «Marocains musulmans». C'est clair? Non? Si je voulais vous aider, je vous dirais qu'un Marocain est considéré comme musulman dès lors que ceux qui l'ont mis au monde le sont autant que lui, c'est-à-dire qu'ils ne sont, d'une part, par exemple, ni Suédois, ni Québécois, ni Australiens, et d'autre part, par exemple, ni israélites, ni bouddhistes, ni chrétiens. Bref, ils ne sont que des «K'hal arrass», et rien d'autre. Vous n'êtes pas plus avancés? Bon, laissez tomber, là n'est pas le problème... Toujours est-il que cette fameuse loi, que tous les bistrots et pinardiers de ce pays affichent bien encadrée et bien en vue au-dessus de leur comptoir ou de leur bureau, est bafouée depuis des dizaines d'années, des dizaines de milliers de fois par jour, justement, par des dizaines de milliers de «Marocains musulmans», sans que ceux qui sont chargés d'appliquer la loi n'y trouvent à redire. Pour eux, le problème est réglé d'office: puisque la loi interdit à «K'hal arrass» de boire, donc, le «Khal arrass» qui boit n'est pas celui qu'on croit. C'est clair comme un bon vin blanc. Par conséquent, tous ceux qui remplissent bars, pubs, cabarets etc., et qui vident des dizaines de milliers de bouteilles chaque jour, ce sont «les autres» et personne d'autre. À ce propos, je me souviens, il y a quelques années, j'avais assisté incidemment à un cours d'un éminent professeur de droit constitutionnel - devenu ministre de la Justice par la suite - et qui avait dit ce jour-là une phrase que je n'ai jamais oubliée. Je vous la rapporte de mémoire: «Si on prend le volume d'alcool consommé chaque année au Maroc, et qu'on le divise par le nombre de non «Marocains musulmans» vivant dans notre pays, on va en déduire que chacun d'eux en boit chaque jour l'équivalent de plusieurs hectolitres». Tout l'amphi avait applaudi et certains ont même pouffé de rire dans leur barbe. Trente ans après, c'est cette loi qui sévit toujours et qui sert d'arme favorite pour tous ceux qui veulent nous emmener au paradis de force. Savez-vous que jusqu'à aujourd'hui, et tant que le fameux nouveau code n'est pas mis en route, ces gens-là préfèrent laisser des chauffards saoulards conduire en toute impunité, avec option de mourir ou de tuer, plutôt que d'instituer l'alcotest comme mesure dissuasive et répressive?!? C'est criminel! Alors, quitte à être accusé, à Dieu ne plaise, d'apostasie, je vais lier ma voix à celle de «La Maison de la Sagesse» et demander la levée immédiate de toutes ces législations absurdes, hypocrites, et il faut le dire, liberticides. Oui, même pour ça, la liberté est sacrée. Dieu, Lui, saura toujours reconnaître les siens.