Après des mois de mobilisation sur le terrain, le Haut-commissariat au plan (HCP) a dévoilé les résultats détaillés du Recensement général de la population et de l'habitat. Cette radiographie, bien plus qu'un simple exercice statistique, offre une vision des transformations profondes à l'œuvre dans un Maroc en pleine bascule démographique, tout en mettant en évidence les opportunités à saisir pour réajuster les politiques publiques. Le Recensement général de la population et de l'habitat (RGPH) 2024 ne se limite pas à un exercice statistique, mais constitue un outil fondamental pour anticiper les défis structurels du Maroc dans les décennies à venir. Au-delà des chiffres bruts – croissance démographique, répartition géographique –, il offre une vision claire des transformations profondes en cours dans le pays, révélant à la fois des vulnérabilités et des opportunités. Ces données, en fournissant une base solide pour ajuster les politiques publiques, soulignent l'importance d'interventions ciblées dans des domaines clés comme l'éducation, l'habitat ou encore la protection sociale. L'urbanisation croissante, par exemple, pose la question de la capacité des infrastructures à accompagner cette dynamique tout en répondant aux défis du changement climatique. A l'ère du numérique, ces statistiques deviennent également une boussole pour orienter les investissements et réduire les disparités sociales. C'est dans ce contexte que l'édition 2024 du RGPH, menée tous les dix ans, a mobilisé des moyens logistiques considérables et près de 55.000 agents sur l'ensemble du territoire national pour recueillir des données auprès de millions de ménages, avec pour objectif de fournir une image précise et actualisée du pays. Ces résultats, dévoilés par Chakib Benmoussa, nouveau visage du Haut-commissariat au plan, illustrent une société marocaine en pleine mutation. Changement structurel Le Maroc compte désormais 36,8 millions d'habitants, marquant un ralentissement significatif de sa croissance démographique. Le taux annuel moyen d'accroissement, établi à 0,85%, est en net recul par rapport au précédent recensement (1,25%). Cette dynamique s'accompagne d'un exode rural continu, concentrant de plus en plus la population dans les grandes zones urbaines. Casablanca-Settat reste la région la plus peuplée avec 7,7 millions d'habitants, suivie de Rabat-Salé-Kénitra, Marrakech-Safi et Tanger-Tétouan-Al Hoceima. Cette urbanisation croissante influe également sur les dynamiques de l'habitat. En milieu urbain, 65,4% des ménages occupent désormais des maisons modernes, tandis que 24,4% résident en appartements. Les habitats précaires ne concernent plus que 3,3% des ménages, contre 5,2% en 2014. En milieu rural, les maisons traditionnelles dominent encore, mais elles ne représentent plus que 53,3% des habitations, signe d'une modernisation progressive. «Le recul des constructions en pisé dans les campagnes traduit cette transition», note Benmoussa, tout en relevant que les logements modernes, souvent plus exigus, témoignent d'un changement des modes de vie. Disparités régionales Ces transformations ne masquent toutefois pas les disparités persistantes dans l'accès aux infrastructures de base. Si 97,1% des ménages ont désormais accès à l'électricité, seuls 82,9% bénéficient d'un raccordement à l'eau potable, avec une fracture particulièrement visible en milieu rural (54,6%). L'assainissement illustre également ces inégalités : alors que 93,4% des ménages urbains sont reliés à un réseau d'égouts, 70,3% des foyers ruraux dépendent encore de fosses septiques ou de puits perdus. Par ailleurs, le vieillissement démographique s'accélère : 13,8% de la population a aujourd'hui plus de 60 ans, contre 9,4% une décennie plus tôt. La fécondité, en baisse, est de 1,97 enfant par femme, un chiffre inférieur au seuil de remplacement des générations. Si ces évolutions traduisent des progrès en santé publique, elles posent de nouveaux défis, notamment en matière de protection sociale. Le marché du travail, quant à lui, révèle une pression croissante. Le chômage est passé de 16,2% en 2014 à 21,3% en 2024, touchant particulièrement les femmes et les zones urbaines. En milieu rural, le taux reste plus bas (10,5%), mais atteint des sommets inquiétants dans les villes (21,2%). «C'est du déclaratif», nuance Benmoussa, indiquant que ces données ne reflètent pas nécessairement toute la complexité du marché de l'emploi. Les disparités entre genres demeurent criantes : 29,6% des femmes sont sans emploi, contre 12,4% des hommes. Régionalement, l'Oriental et Guelmim-Oued Noun enregistrent les taux de chômage les plus élevés (plus de 30%), alors que Casablanca-Settat, mieux lotie, affiche un taux de 18,8%. Les données économiques complètent ce tableau. Avec 1,3 million d'établissements recensés, dont 86,6% à but lucratif, le pays affiche une croissance annuelle modeste de 2% depuis 2001. Les secteurs du commerce (52%) et des services (30,8%) dominent largement, reléguant l'industrie (13,7%) et la construction (3,5%) à des rôles secondaires. Les régions de Casablanca-Settat, Marrakech-Safi et Rabat-Salé-Kénitra concentrent près de la moitié de ces structures (47,8%), témoignant d'une urbanisation galopante. Cela dit, l'expansion économique ne parvient pas à éroder des inégalités qui demeurent toujours bien ancrées dans la société. L'accès au marché du travail reste limité en milieu rural, accentuant les fractures territoriales. Ces constats appellent à des politiques publiques mieux adaptées aux réalités du pays pour accompagner sa transition et assurer un développement équilibré. Le tissu économique s'étoffe En vingt ans, le tissu économique marocain a connu une transformation significative. Selon les données récentes du Haut-commissariat au plan, le nombre d'établissements économiques a progressé de 50%, atteignant 1,13 million en 2023-2024 contre 750.916 en 2001-2002. Cette dynamique s'accompagne d'une hausse de 60% des emplois permanents, désormais au nombre de 3,6 millions. Dominé par les micro-structures, le secteur tertiaire concentre plus de 80% de ses structures, confirmant son rôle clé dans l'économie nationale. Les résultats de la cartographie révèlent néanmoins une économie encore marquée par des déséquilibres structurels. Près de 97% des établissements emploient moins de 10 personnes, absorbant plus de la moitié de la main-d'œuvre, mais peinent à générer des emplois stables et productifs. À l'inverse, les 3% de structures les plus importantes concentrent près de 46% des emplois permanents, témoignant d'une polarisation économique notable. Le commerce, avec 52% des établissements et les services (30,8%) dominent largement l'activité économique, reléguant l'industrie (13,7%) et la construction (3,5%) au second plan. Ce manque de diversification est perçu par de nombreux observateurs comme un frein majeur à la résilience du tissu productif. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO