Dans un contexte où le coût des médicaments continue de susciter des critiques, les récentes déclarations de Fouzi Lekjaa, ministre délégué auprès du ministère des Finances, ont relancé le débat. Abdelhafid Oualalou, pharmacien et expert en économie de la santé, met en garde contre une vision simpliste du problème et appelle à une réforme en profondeur pour adapter le système aux réalités du marché pharmaceutique national et international. Le débat sur les prix des médicaments au Maroc a pris une nouvelle ampleur suite aux récentes déclarations du ministre délégué auprès du ministère des Finances, chargé du budget, Fouzi Lekjaa, qui a qualifié le coût des médicaments de «trop élevé» et a évoqué la nécessité d'une réforme. Ce constat a provoqué de vives réactions dans le milieu pharmaceutique. Abdelhafid Oualalou, pharmacien et expert en économie de la santé, a exprimé ses réserves, soulignant les nombreuses facettes d'une question complexe, où se croisent enjeux économiques, sociaux, et politiques. Selon lui, les solutions avancées pour maîtriser les prix des médicaments passent souvent à côté des véritables racines du problème. Une réglementation des prix jugée obsolète Oualalou entame son analyse en rappelant que le cadre législatif encadrant le prix des médicaments n'a pas évolué depuis 2014. Ces prix sont fixés par l'Etat, en consultation avec plusieurs instances, dont le ministère de la Santé, l'Agence nationale de l'assurance-maladie (ANAM), et le ministère des Finances. Ces prix sont réglementés et publiés au Journal officiel, rendant les pharmaciens et industriels dépendants de décisions politiques. Oualalou insiste sur le fait que ce système de régulation ne reflète plus les réalités du marché actuel. «Nous sommes face à une loi obsolète, basée sur un benchmark de six pays qui n'ont rien à voir avec le Maroc», déclare-t-il. Pour lui, cette rigidité freine une évolution nécessaire et ne permet pas de s'adapter aux coûts réels du marché national, ni à la réalité des médicaments importés, souvent onéreux, destinés aux maladies chroniques comme le cancer. Ces produits, commercialisés par des multinationales, échappent au cadre des médicaments génériques locaux. Le biologiste appelle donc à une révision de cette législation, estimant qu'elle ne permet plus d'offrir des médicaments abordables aux Marocains tout en assurant la rentabilité des acteurs locaux. Les médicaments importés, principalement issus de multinationales, sont au cœur du problème, selon Oualalou. Pour lui, la hausse des prix concerne principalement les traitements pour les maladies chroniques comme le cancer ou les pathologies cardiovasculaires, qui restent dépendants des importations de médicaments coûteux. «Ce sont des médicaments importés de multinationales pharmaceutiques, et ils ne sont pas fabriqués localement», explique-t-il, ajoutant que 92% des médicaments fabriqués au Maroc sont disponibles à moins de 200 dirhams. Le poids des taxes et des choix fiscaux Fouzi Lekjaa, ministre délégué chargé du Budget, a suggéré l'imposition d'une taxe de 40% sur les médicaments importés afin de favoriser la production locale. Une proposition qu'Oualalou juge peu réaliste, car «imposer une taxe sur ces médicaments n'est pas une solution viable», souligne-t-il. «Le Maroc ne fabrique actuellement que des génériques, et la majorité des médicaments innovants et coûteux sont sous brevet, détenus par des laboratoires étrangers», poursuit-il, notant que cette taxe ne ferait qu'alourdir le fardeau financier des patients atteints de maladies graves. L'un des points critiques soulevés par le pharmacien et expert en économie de la santé est la taxation excessive sur les produits de santé. Il déplore le maintien d'une TVA de 20% sur de nombreux médicaments et dispositifs médicaux de base, alors que seuls les médicaments jugés «essentiels» sont exemptés de la TVA de 7% cette année. «Ce sont des produits de santé, pas des produits de luxe», insiste-t-il, soulignant que ces coûts supplémentaires sont directement répercutés sur les patients. Les dispositifs importés, tels que les collyres, sont particulièrement touchés par ces taxes élevées, alors qu'ils sont majoritairement prescrits par les ophtalmologues. «Ce n'est pas normal que ces produits subissent une TVA de 20%», martèle l'expert, appelant à une révision fiscale plus en phase avec les besoins de santé publique. Dépendance vis à vis des multinationales Selon Oualalou, la solution passe par un engagement politique en faveur de la recherche pharmaceutique locale. Actuellement, le Maroc dépend des grandes entreprises internationales pour les traitements onéreux et innovants, notamment pour les maladies chroniques. La production nationale se limite principalement aux génériques, dont les brevets ont expiré. Cette situation place le Maroc dans une position de consommateur, sans maîtrise sur la production des médicaments les plus coûteux. Il rappelle que les multinationales détiennent non seulement les molécules actives, mais aussi les technologies et matières premières, souvent importées de Chine ou d'Allemagne. Le coût de ces innovations est conséquent, et leur accès est limité par l'absence de recherche pharmaceutique locale. «Le Maroc ne produit pas les médicaments essentiels pour les maladies chroniques, il est temps de s'engager dans cette voie», dit-il. Dans ce sens, Oualalou appelle à une «décision politique» pour soutenir la recherche et le développement de molécules au Maroc. Ce projet nécessiterait un investissement massif et un accompagnement pour encourager la recherche scientifique nationale. «Ce défi demande des capitaux importants et une volonté politique, deux éléments que nous n'avons pas encore pleinement acquis», reconnaît-il. Il précise que, sans une telle volonté, le Maroc continuera à dépendre de médicaments importés pour des pathologies graves. Le pharmacien et expert en économie de la santé insiste enfin sur la transparence nécessaire envers le public quant aux réels responsables des prix des médicaments. Selon lui, les industriels locaux n'ont pas de contrôle sur ces prix, qui sont décidés au niveau étatique. Il demande également des compétences accrues pour l'Agence marocaine des médicaments et des produits de santé, afin de lui conférer le pouvoir de revoir la législation tarifaire. Enfin, il plaide pour une remise en question des modèles de fixation des prix des médicaments, intégrant une exonération fiscale pour les produits de santé. Faiza Rhoul / Les Inspirations ECO