La 2e Journée nationale de l'industrie, organisée conjointement par le ministère de l'Industrie et du Commerce et la CGEM, s'est voulue une rétrospective sur les réalisations dans le domaine industriel en prélude au lancement de la nouvelle feuille de route industrielle. C'est à Rhamna Valley, temple naissant de l'innovation, à l'UM6P, que les industriels, entrepreneurs et décideurs se sont retrouvés mercredi 16 octobre pour la deuxième Journée nationale de l'industrie. Un rendez-vous a double message : réconfortant, au regard des acquis réalisées par les filières industrielles au fil des années, mais nébuleux quand à la vitesse à laquelle évolue l'industrie de demain (industrie 5.0). Cette dernière, contrairement à sa version antérieure centrée sur l'automatisation et les technologies numériques, repose désormais sur la synergie entre les technologies avancées (IA, IoT) et l'expertise humaine. Les dernières annonces de Tesla, qui dévoilait récemment son robot humanoïde destiné à accomplir des tâches complexes, mais aussi dans le domaines du transport urbain, à travers le service de taxis sans chauffeur, viennent entériner ce qui semblait être une évidence pour beaucoup d'observateurs. Ces avancées sont appelées à redéfinir les standards du marché et ouvrir de nouveaux horizons pour le monde de l'industrie. Dans ce contexte d'effervescence internationale, le Maroc, dont les filières automobile et aéronautique sont tributaires des chaînes de valeur mondiales, se trouve à un moment charnière de son développement. Les enjeux qui sous-tendent la rencontre de Benguerir, coorganisée par le ministère de l'industrie et la CGEM, se heurte aux réalités structurelles d'un tissu productif à deux vitesses. Montée en puissance À l'heure où le pays affronte les défis de la décarbonation, un stress hydrique aigu sur fond d'inégalités territoriales persistantes, l'économie informelle continue de peser sur la modernisation du tissu productif, dont le volume d'affaires culmine à plus de 800 milliards de dirhams, soit le double d'il y a dix ans. Selon le baromètre 2023 de l'industrie marocaine, cette dualité se reflète particulièrement dans la structure même du paysage industriel : 53% des entreprises sont des microstructures, ne générant que 2% du chiffre d'affaires global, ce qui suggère une incapacité chronique à faire émerger un tissu robuste d'entreprises moyennes, socle traditionnel des économies matures. La concentration sectorielle autour du triptyque agroalimentaire-chimie-automobile, représentant près des deux tiers de la valeur ajoutée, témoigne d'une diversification encore insuffisante. L'automobile fait figure d'exception dans ce panorama, avec seulement 2,4% des entreprises représentant le secteur qui contribue à 20,5% de la valeur ajoutée. D'ailleurs, Ryad Mezzour, ministre de l'Industrie et du Commerce, n'a pas manqué de marteler que «le Royaume du Maroc a une compétitivité comparable à celle de la Chine», grâce au taux d'intégration réalisé, entre autres, dans les secteurs automobile et aéronautique. Dans la même veine, les chiffres qu'il a présentés témoignent de cette montée en puissance de l'industrie. En l'espace d'un quart de siècle, le chiffre d'affaires industriel du Royaume a quadruplé, passant de 185 milliards à 800 milliards de dirhams. Plus remarquable encore, les exportations ont été multipliées par six, atteignant 377 milliards de dirhams en 2023. «Chaque jour, ce sont 2 milliards de dirhams de chiffre d'affaires industriels qui sont générés, dont la moitié à l'export», souligne Ryad Mezzour. L'automobile, fer de lance Le secteur automobile, navire amiral de l'industrie locale, confirme cette montée en gamme avec un chiffre d'affaires de 150 milliards de dirhams et un taux d'intégration locale qui atteint 69%. «Chaque minute, une nouvelle voiture est fabriquée au Maroc», précise le ministre. L'aéronautique n'est pas en reste, avec 23 milliards de dirhams de chiffre d'affaires et 150 entreprises établies au Maroc. Mezzour évoque même des «intentions» concernant l'assemblage final de véhicules volants au Maroc dans les années à venir, après le succès des projets pilotes. Autre évolution notable, la féminisation du secteur industriel. Les femmes occupent 44% des emplois, y compris à des postes de direction, comme l'illustre la récente nomination de deux directrices générales dans l'industrie aéronautique. De purs «produits de l'école marocaine». Cette transformation s'accompagne d'une montée en puissance du capital marocain. Nouvelle ère industrielle Contrairement aux idées reçues, le capital social du secteur industriel est à 71% marocain. Les PME représentent 38% des entreprises industrielles, signe d'un tissu économique diversifié. Face à ces résultats, le ministre rappelle les objectifs de la «nouvelle ère industrielle» voulue par le Roi Mohammed VI : «souveraineté, emplois pérennes, montée en gamme, innovation et durabilité». Des ambitions qui semblent à portée de main pour le Maroc dont «la compétitivité rivalise désormais avec celle de la Chine». Choc de compétitivité Pour sa part, Ahmed Reda Chami, le président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), a plaidé pour une transformation profonde du secteur industriel. Dans son plaidoyer prononcé devant une salle comble, il a identifié plusieurs défis majeurs pour dynamiser l'industrie nationale. «La disponibilité de salariés qualifiés est essentielle pour améliorer la productivité», souligne le président du CESE, déplorant l'inadéquation persistante entre formation et besoins du marché. Plus préoccupant encore, 9% seulement des entreprises marocaines adoptent la formation continue, contre 27% dans les pays comparables. L'innovation apparaît comme un autre frein majeur. Avec 0,8% du PIB consacré à la R&D contre 2,4% dans les pays de l'OCDE, le Maroc accuse un retard significatif. Autre enjeu de taille : la quête de synergies entre grandes entreprises et PME. Cette intégration est à même d'assurer le transfert technologique et maximiser les retombées en termes de croissance et d'emplois. Un rapport récent de la Banque mondiale, intitulé «Libérer le potentiel du secteur privé marocain», souligne notamment la difficulté des entreprises marocaines à se développer suffisamment pour atteindre la taille critique d'ETI (Entreprise de taille intermédiaire). Pour l'avenir, Chami insiste sur la nécessité d'une montée en gamme technologique, particulièrement dans les secteurs de l'automobile et de l'aéronautique. «Il est crucial de passer à la production de composants complexes à haute valeur ajoutée», affirme-t-il, soulignant l'importance de l'intelligence artificielle et de la robotique pour aligner l'industrie marocaine sur les standards internationaux. Le Maroc industriel dispose d'un potentiel de développement considérable, notamment dans des secteurs émergents encore peu exploités. L'économie digitale, l'industrie pharmaceutique et l'économie verte constituent des relais de croissance naturels, en particulier dans une optique de substitution aux importations. La position géostratégique du Royaume, couplée aux nouvelles tendances de re-shoring, renforce son attractivité comme plateforme de production et d'exportation vers l'Europe. L'atout énergétique s'impose également comme un levier majeur de compétitivité : les ressources éoliennes et solaires ouvrent la voie à une industrie décarbonée, particulièrement attractive pour les investissements verts, notamment à travers l'offre Maroc en matière d'hydrogène vert. Les participants à cette deuxième Journée nationale de l'industrie s'accordent sur un point crucial : pour libérer le plein potentiel du secteur, la levée des barrières structurelles freinant l'investissement dans le Royaume est indispensable. Ce constat, soulevé notamment par Chakib Alj, président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), résonne comme un appel à l'action. «Notre pays a massivement investi dans les infrastructures, l'énergie et la logistique. Nous sommes témoins de toutes ces réformes opérées au fil des années. À présent, il est temps de capitaliser sur ces acquis pour construire l'industrie de demain», affirme Chakib Alj. Ahmed Reda Chami Président du Conseil économique, social et environnemental (CESE) «Un défi à surmonter: la création de synergie entre les grandes entreprises industrielles, souvent des multinationales technologiquement avancées, et le tissu local des petites et moyennes entreprises. Cette intégration est cruciale pour garantir le transfert de technologies et maximiser les retombées positives en termes de croissance et d'emplois». Chakib Alj Président de la CGEM «Notre pays a massivement investi dans les infrastructures, l'énergie et la logistique. Nous sommes témoins de toutes ces réformes opérées au fil des années. À présent, il est temps de capitaliser sur ces acquis pour construire l'industrie de demain». Benguerir s'offre un parc industriel de 213 ha ! Benguerir s'agrémente d'un parc industriel de 213 ha qui mobilisera à terme un investissement de 900 millions de DH. C'est l'objet d'une convention conclue hier en marge de la 2e Journée nationale de l'industrie, en présence de Ryad Mezzour, ministre de l'Industrie et du Commerce, et Mohcine Jazouli, ministre délégué chargé de l'Investissement. La zone accueillera des projets axés sur les technologies propres, l'industrie automobile et l'agroalimentaire. Une deuxième convention-cadre signée entre les ministères de l'Industrie et de l'Enseignement supérieur vise à renforcer les liens entre l'univers de la recherche et le milieu industriel. Elle porte sur le parc industriel de Jorf qui s'étend sur 308 hectares pour une enveloppe globale de 1,4 milliard de dirhams. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO