Economiste et spécialiste des politiques publiques Quel lien(s) faites-vous entre la décision de l'UE de plafonner le prix du pétrole russe et la dernière décision de Bank Al-Maghrib de relever le taux directeur de 50 points de base (pbs), à 2%, pour atténuer les effets de l'inflation ? Le choix d'une contraction et d'un resserrement de la politique monétaire suivie par Bank Al-Maghrib, avec un relèvement du taux directeur de 0,5 point, est une décision qui reflète la tentative de concilier entre deux actions. La première, c'est celle de poursuivre le soutien des entreprises et les demandes de crédits pour investissement et consommation favorables à l'emploi et à la croissance économique. La seconde réside dans le souhait de juguler l'inflation en augmentant le coût de l'argent, pour défendre le dirham et encourager l'épargne intérieure et extérieure. Quant à la volonté du G7 de plafonner le prix du pétrole russe, elle ne serait judicieuse que si elle est généralisée aux pays producteurs, et seul le marché pourrait le faire par le mécanisme de l'offre et de la demande. Le recul de l'inflation nécessitera une augmentation de la production de pétrole de plusieurs millions de barils et la mise à contribution de pays comme le Venezuela et l'Iran. Il passera aussi par la limitation de la hausse du prix du gaz. Une tarification internationale semble urgente et nécessaire si nous voulons éviter la faillite de plusieurs nations et l'apparition de famines. Face à la gravité de la crise économique et des dangers de l'inflation, quels sont les leviers à suivre de très près pour la fin 2022 et l'année 2023 ? Tout en reconnaissant l'existence de zones d'incertitudes liées à la crise sanitaire, aux difficultés d'approvisionnement à l'international et à l'issue de la guerre en Ukraine, Abdellatif Jouahri, gardien du temple, parie davantage sur le caractère résilient de l'économie nationale et la spécificité du Maroc de ne pas tomber dans le guêpier de l'inflation. Il est vrai aussi que sur les 116 sections de biens et services qui composent le panier de référence de l'indice des prix à la consommation, 60,3% ont connu une hausse de plus de 2% en août 2022 et que les cours du pétrole – qui ont atteint 104,1 dollars en moyenne en 2022 et ceux du charbon (322 dollars la tonne) – ne connaîtront pas de tendance baissière. Il en va de même pour les intrants alimentaires et industriels. Mais, si une leçon devait être retenue des crises économiques qu'a connues le Royaume, c'est que les autorités monétaires ont toujours excellé dans la sanctuarisation du dirham, l'absorption des effets de l'inflation et la stabilisation macroéconomique sans jamais pouvoir contribuer significativement à la stimulation d'une croissance potentielle. Face à la gravité de la crise économique et des dangers de l'inflation, les perspectives – pour la fin 2022 et l'année 2023 – reposeront sur la campagne agricole à venir et le niveau de remplissage des barrages ainsi que sur le coût de revient réel du kilowatt/heure et la poursuite de la capacité du pays à attirer des Investissements directs étrangers et davantage de chaînes de valeur globales. Maintenant, pour ce qui est de l'espoir de la fin de la guerre en Ukraine, avec un retour à des cours soutenables du baril du pétrole, de la tonne de gaz, du quintal de blé tendre et un ralentissement de la dépréciation de l'euro qui nuit à nos exportations et renchérit nos importations et notre facture énergétique libellée en dollar… Cette question est biaisée pour au moins quatre raisons. La première est qu'elle ne peut être traitée seule sans la prise en compte des perspectives dans l'Union européenne. Deuxième raison, le gouvernement sera face au dilemme de soutenir le pouvoir d'achat en subventionnant la consommation avec de la dette ou en choisissant la voie de l'impôt temporaire sur les superprofits, défendue par de nombreux économistes et responsables politiques du monde. Troisième raison, il faut rappeler que l'agriculture contribue à hauteur de 14% du PIB, 23% des exportations et au moins 1,5 point dans la croissance économique. Le tourisme rapporte plus de 140 milliards de dirhams, soit 7% du PIB. Quant aux recettes de l'industrie des phosphates, elles avoisinent les 8% du PIB, et l'apport de l'industrie automobile est estimé à plus de 105 milliard de dirhams. Enfin, la quatrième raison est que le Conseil de la concurrence vient d'encourager une révision des textes de lois régissant le secteur de la distribution et du stockage des hydrocarbures, et recommande d'utiliser les instruments de couverture des risques et d'étudier l'opportunité de maintenir et de développer une activité de raffinage au Maroc. Au final, si l'inflation est énergétique, la récession l'est aussi. Ainsi, en cas de baisse significative du prix à la pompe de l'essence et du Gasoil, associée à une sécheresse aussi grave que celle de 2022, l'économie marocaine ne serait pas à l'abri de la stagflation, d'une hausse du chômage et d'une inflation à deux chiffres. Modeste Kouamé / Les Inspirations éco