Sur les dix prochaines années, le Maroc doit réaliser 6,5% de croissance par an, atteindre un taux de couverture de 90% et créer 2,5 à 3,5 millions d'emplois pour réussir son virage économique. La confédération patronale décline une feuille de route pour y arriver. Un moyen de faire du lobbying plus efficace auprès du gouvernement Elle est enfin là. La tant attendue Vision 2020 de la CGEM vient d'être rendue publique. Le patron des patrons, Mohamed Horani, en a livré une synthèse lors d'un point de presse tenu hier. Les éléments communiqués sont encore soumis à la validation de la prochaine assemblée de la confédération patronale, mais les grandes lignes y sont déjà. L'élaboration de cette vision marque un tournant pour la CGEM car ses articulations feront office de document de travail pour l'organisation lors des concertations avec le gouvernement pour la décennie à venir. D'une certaine manière, le patronat adopte le même langage que l'autorité publique qui privilégie les stratégies sectorielles pour décliner son action. Que contient au juste la Vision 2020 ? Elle énumère un ensemble d'actions à mener par le Maroc afin de négocier efficacement les dix prochaines années sur le plan économique. Cela suppose selon la CGEM d'abord d'accroître le PIB par habitant en le hissant à un niveau correct. Coup de pouce Le patronat a une idée très précise sur la question. «Le Maroc doit intégrer le club des pays dont le PIB par habitant est supérieur à 5.000 dollars à l'horizon 2020», martèle Horani, et pour cela, le niveau de croissance moyen qui devra être réalisé chaque année sur la période doit être en moyenne de 6,5%. Or, en l'état actuel des choses, le Maroc ne parviendrait tout au plus qu'à un taux de croissance moyen de 5%. C'est du moins ce que permettrait d'atteindre la pleine réalisation des objectifs des stratégies nationales et le maintien des tendances des autres secteurs, selon la CGEM. Un coup de pouce s'impose donc et l'une des pistes proposées par la CGEM recommande de diversifier les composantes sectorielles de la croissance. En effet, sur la dernière décennie, outre le secteur primaire et l'administration, seuls trois secteurs ont particulièrement été dynamiques : les services financiers, les télécoms et le BTP. En lien, d'autres démarches sectorielles devraient être lancées afin d'accélérer la croissance, suggère la CGEM (les services de santé, le service aux entreprises, les services d'éducation...). Poussant l'anticipation, l'organisme patronal soutient que l'effort de diversification des sources de croissance permettra l'émergence de nouveaux secteurs (biotechnologie, microélectronique, nanotechnologie, loisirs...) afin de préparer des relais de croissance pour la décennie 2021 à 2030. Réussir un bond économique selon la CGEM sur la prochaine décennie passe également par le fait de pérenniser le financement de la croissance. La tendance ne fait aucun doute : le Maroc importe de plus en plus pour soutenir sa consommation. En lien, il devient nécessaire de mettre en place un modèle de développement spécifiquement marocain équilibrant les trois moteurs de croissance : exportations, investissement et consommation. Diversifier l'offre exportable Pour cela, il est nécessaire de rééquilibrer les échanges extérieurs, ce qui suppose d'activer simultanément plusieurs leviers contribuant à limiter les importations en biens finaux et à développer l'offre exportable par la mise en place de dispositifs d'incitation, l'augmentation du nombre d'entreprises exportatrices et le déploiement d'efforts pour favoriser l'émergence de nouveaux champions à l'export. Car pour l'heure, l'offre de produits marocaine n'est pas suffisamment diversifiée. Le royaume ne destine qu'une centaine de produits aux marchés étrangers alors qu'à titre de comparaison l'Allemagne en exporte près de 1.000. De même, le Maroc ne dispose pas pour l'heure d'un nombre critique d'entreprises exportatrices dans la mesure où 150 entreprises totalisent 65% des exportations. Un autre défi répertorié par la CGEM porte sur l'équilibre de la contribution des régions. Valeur aujourd'hui, la répartition des richesses par région reste inégale. Et pour maintenir un équilibre et créer des régions à part entière, viables et stables dans le temps, une politique forte d'aménagement du territoire est requise. Partant, la CGEM se fixe un objectif de seuil minimal de richesse pour chaque région égal à 60% du PIB par habitant de la région la plus riche, en l'occurrence Casablanca. Aussi, la mise en place entre les régions de mécanisme de péréquation et d'incitation est requise. Cela suppose pour la confédération patronale que chaque région soit dotée d'une vision intégrée pour son développement. Mais aussi, il est recommandé que les régions se spécialisent à travers des pôles de compétitivité et que se développe le marketing des régions à l'international. Le dernier virage délicat que devra négocier l'économie marocaine sur la prochaine décennie concerne l'absorption des actifs. En effet, sur la base d'évolutions démographiques prévues et d'hypothèses réalistes, le Maroc devrait être confronté à un enjeu de création d'emplois de l'ordre de 2,5 à 3,5 millions d'emplois additionnels d'ici 2020, soit un quasi-doublement du rythme annuel de création d'emplois sur la période 2011-2020 par rapport à la situation actuelle. A voir l'ampleur de tous ces défis, c'est un programme riche qui attend le gouvernement à l'horizon 2020. Pour sa part, la CGEM prend les devants et tente de formuler concrètement des actions suggérées par sa Vision. En lien, 50 mesures et 95 actions ont été déclinées sur la base des propositions de la Vision 2020. A court terme, la confédération patronale devrait porter directement 15 actions sur la centaine qui ont été fixées. En outre, un planning devrait être établi au premier trimestre de l'année en cours avec les partenaires de l'organisation patronale afin de lancer sur les années à venir des actions concrètes qui tiendront compte de manière souple de la réalité du terrain et de l'évolution de l'économie mondiale. Enfin, la CGEM compte adapter ses structures et son organisation pour accompagner efficacement le lancement et le suivi de toutes les actions déclinées par la Vision 2020. Gouvernance new look En marge de tous les chantiers identifiés, la CGEM propose de mettre en place une nouvelle gouvernance. Celle-ci viendrait pallier les difficultés de coordination entre les plans nationaux et les risques d'incohérence au niveau de leur mise en œuvre qui sont susceptibles de priver le Maroc d'opportunités économiques importantes. Cette gouvernance new look devrait également permettre une meilleure implication du secteur privé. Celui reste encore trop peu impliqué dans l'élaboration, le pilotage et la mise en œuvre de certaines démarches nationales, de l'avis de la CGEM. Plus en détail, il est rapporté que l'entreprise marocaine n'est pas toujours suffisamment impliquée en amont dans l'élaboration des stratégies et des accords de libre-échange ou encore dans les arbitrages économiques clés. Enfin, le nouveau modèle de gouvernance proposé aurait pour objectif que les principaux plans nationaux soient déclinés en contrats d'application régionaux. Ce qui suppose de remédier d'abord à l'absence de vision intégrée pour le développement des régions à l'heure actuelle.