Alors que, comme d'habitude, assidu mais juste ce qu'il faut, je faisais ma revue de presse quotidienne d'un œil nonchalant mais néanmoins intéressé, je suis tombé sur une info qui m'a fait sursauter de joie, et je vais de ce pas vous dire quoi et pourquoi. Je savais que certains hommes de pouvoir n'arrivaient jamais à décrocher, même plusieurs années après avoir rendu leur tablier. En effet, ils continuent souvent de se comporter comme si, même si, depuis longtemps, ils sont redevenus ce qu'ils étaient quand ils sont venus: des citoyens normaux comme vous et moi, ou plutôt comme vous, parce que moi, je ne suis pas si normal que ça. Justement, l'info en question nous apprend qu'un ancien ministre des Affaires étrangères qui, raconte-t-on, aime les belles demeures, mais n'aime pas bronzer idiot, se baladait dans sa voiture dans la belle cité dont il est, éternellement, à la fois le patron des festivités et le maire, quand il fut doublé méchamment par un chauffeur de taxi, chauffard à ses courses perdues. Piqué au vif par autant d'incivisme, d'irrespect et d'insolence (rayez les mentions inutiles), il prit son volant à deux mains et décida de le poursuivre, toute sirène hurlante, dans les dédales de la ville réputée tranquille et somnolente. Il finit par le coincer quelques secondes après, au feu rouge suivant. Il faut dire qu'entre la puissante Mercedes rutilante de Monsieur l'ex-ministre (En fait, dans la dépêche, on ne précise pas la marque de la bagnole, mais, en général, la plupart des ex-ministres s'offrent la même Mercedes qu'ils avaient avant d'être remerciés pour, je suppose, s'y croire toujours ou bien croire qu'un jour...), et la petite Fiat Uno grinçante du pauvre, mais très impudent taxi driver, il n'y avait pas photo. Mort de peur, il sortit de sa caisse bonne pour la carcasse, les jambes tremblantes et les mains haut levées comme dans les vieux westerns. Monsieur le maire - commissaire, sans même le saluer comme le veut l'usage y compris dans les plus petits villages, l'engueula comme un moins que rien – ce qu'il était plus ou moins – et lui ordonna de sortir fissa son permis, ce qui fut aussitôt vite fait, bien fait. Monsieur le ministre - justicier rouge de colère empocha le document rose du chauffard vert de trouille, remonta dans sa limousine et redémarra en trombe sous les yeux béatement admiratifs du flic du coin, et les applaudissements chaleureux de ses administrés fiers de ce dénouement heureux. Quelques lignes plus loin, on apprend que notre malchanceux mais si imprudent quidam s'en sortit avec une contredanse proportionnelle à son impertinence, et il s'est promis juré de ne plus faire l'impair de dépasser - surtout quand il est pressé - Son excellence Monsieur l'ex-ministre et toujours, paraît-il, excellent maire. Pour ma part, j'ai retenu deux leçons de cette anecdote insolite, inédite et indolore. Primo, le pouvoir ne s'use que si on ne s'en sert pas. Secundo: quand on est un minable petit chauffeur de taxi de rien du tout, on doit toujours se faire encore plus petit devant les toujours grands. Quant à moi, je ne blâme pas, bien au contraire, notre cher ministre - maire que je préfère zélé que pépère, et je ne vous cache pas que chaque jour que Dieu fait, je rêve de pouvoir, moi aussi, avoir le pouvoir d'arrêter et de réprimander tous les chauffards que je croise du matin au soir. Mais, hélas, je pense qu'il va falloir que je devienne d'abord, ou ancien ministre ou maire à part entière. Mais, je crois que je vais devoir attendre encore longtemps. À moins que...