Karim Ghellab, Président de la Chambre des représentants Les Eco : La session d'automne est sur le point de s'achever. Quel bilan pouvez-vous faire depuis le démarrage de cette année législative ? Karim Ghellab : La session s'achèvera le 13 février. Il reste encore pratiquement un mois. Cela montre que les sessions sont maintenant plus importantes aussi bien en quantité qu'en qualité. La Constitution a augmenté de 3 à 4 mois la durée des sessions, soit 33% de la quantité de travail en plus au sein de l'institution législative. La prochaine commencera à la mi-avril. Par ailleurs, cette session d'automne a été importante et intense où toutes les missions du Parlement sont en train de se mettre en œuvre. Aujourd'hui, il y a trois grandes actions que nous menons. Il y a d'abord trois fonctions traditionnelles qui sont liées au contrôle du gouvernement, à la production législative et à la diplomatie parlementaire. Nous en rajoutons désormais deux autres qui représentent la caractéristique de cette législature, à savoir la mise en œuvre de la nouvelle Constitution qui représente un énorme chantier qu'il s'agisse des lois organiques ou des nouveaux mécanismes de la loi fondamentale. Enfin, il y a le développement et la mise à niveau de l'action parlementaire. Justement en ce qui concerne la mise à niveau de l'action parlementaire, vous avez lancé il y a un mois un plan dans ce sens... C'est le plan stratégique de développement et de mise à niveau de la Chambre des représentants. Il comporte 5 axes à savoir la mise à niveau institutionnelle afin de garantir l'indépendance de la chambre des députés vis-à-vis du pouvoir exécutif. La Constitution a apporté un changement profond qui consiste en la séparation mais aussi l'équilibre des pouvoirs. Il y a donc un gouvernement qui dirige mais qui a en face un parlement qui régule et qui doit en être séparé. Ce qui n'est pas le cas actuellement car le budget est défini par le ministère des Finances tout autant que les dépenses. Aujourd'hui, il faut couper ces liens pour avoir une instance indépendante du gouvernement et au même poids que celui-ci. Le troisième axe de notre plan porte sur la volonté d'avoir un Parlement ouvert, une ouverture qui passe par plus de communication par la télé parlementaire, la formalisation de la relation avec la presse qui doit être un partenaire intégré dans le fonctionnement du Parlement comme les groupes parlementaires notamment dans le circuit de diffusion des documents. Il doit y avoir un espace de travail pour la presse qui doit être formée aux spécificités du Parlement. Comme la presse, la société civile doit être un acteur car elle a désormais le droit de produire des lois et des pétitions en respect des dispositions de la nouvelle Constitution. Le Parlement doit être également ouvert aux jeunes, aux enfants et aux universités. Le quatrième axe consiste à donner corps aux innovations constitutionnelles. Il s'agit des droits de l'opposition, de ceux de la femme à la parité, les jeunes, la langue amazighe, etc. Le cinquième axe porte sur l'importance d'avoir un parlement avec deux chambres et pas deux parlements. C'est le volet de la coordination et la synergie entre la Chambre des députés et celle des Conseillers. La stratégie sera finalisée et publiée avant la fin de la session. Pour être dans les délais, nous multiplions les réunions avec les groupes parlementaires. Il nous en reste deux pour clore le débat, ce qui n'empêche pas que l'on a déjà commencé à mettre en œuvre cette stratégie. C'est le cas, par exemple, de la refonte du règlement intérieur qui est en train d'avancer et dans lequel nous introduirons la notion d'une commission ad-hoc pour les dépenses publiques. Cette commission jouera le rôle d'interface avec la Cour des comptes et ce, dans le but d'améliorer le contrôle des dépenses publiques. Comment s'articulerait cette indépendance budgétaire vis-à-vis du gouvernement que avez évoquée ? Elle signifierait d'abord que le gouvernement ne doit pas décider d'allouer ou de ne pas allouer un budget au Parlement. Il ne doit pas intervenir non plus au niveau de la dépense budgétaire du Parlement. Dans les recrutements et la gestion du personnel en général, le gouvernement doit rester à l'écart. En parallèle, il faut mettre en place des mécanismes, indépendants de l'Exécutif, de contrôle des dépenses parlementaires qui garantissent la transparence et la bonne gouvernance. Qui fixerait le budget du Parlement dans ce cas ? C'est le bureau du parlement et les parlementaires eux-mêmes. Justement sur cet aspect de mise à niveau du Parlement, il y a un projet pour les fonctionnaires de la Chambre des représentants actuellement débattu en commission. Quelles sont les innovations de ce projet ? Effectivement, c'est un projet de loi qui vaut statut du personnel de la Chambre des représentants et qui a été voté à l'unanimité. Il est en cours de discussion chez les Conseillers où il a été voté aussi à l'unanimité en commission et il sera prochainement voté en plénière. Il régularise plusieurs décisions de modifications des grades, des indemnités... que le bureau précédent avait adopté sans les inclure dans le statut actuel. Ce qui donnait une certaine précarité à ces décisions et une situation controversée dans la mesure où le parlement qui produit des lois n'était pas capable de bien appliquer celle qui régit le statut de son personnel. Il faisait des dérogations à cette même loi, ce qui est anormal. C'était aussi des décisions du bureau qui remontait aux années 1980. Nous avons introduit ces décisions dans le nouveau projet de statuts et mis celui-ci en conformité avec la fonction publique. Avant, tout était non statutaire et donc sans conséquence sur la retraite. Par exemple, les 600 DH d'augmentation dont a bénéficié le personnel de la fonction publique n'étaient pas inscrits dans le statut. Cela nous ramène à la question épineuse des ressources humaines insuffisantes au sein du Parlement. Un projet de rec rutements a été récemment évoqué. Qu'en est-il au juste ? Nous avions justement demandé une centaine de postes budgétaires durant le précédent exercice. Nous en sommes aujourd'hui à une cinquantaine qui est déjà acquise et le reste viendra dans le cadre de la mise à disposition avec l'administration. C'est le procédé le plus simple dans la mesure où le fonctionnaire garde son salaire dans l'administration sauf qu'il travaille au Parlement. Vous estimez à combien les besoins réels en ressources humaines ? Si l'on prend en considération la nouvelle Constitution, les besoins en RH sont sans commune mesure avec ce que l'on a aujourd'hui. Nous avons 280 fonctionnaires pour 395 députés, ce qui constitue 0,7 fonctionnaire pour chaque député sachant que la proportion dans une démocratie ancienne est de 3 à 4 fonctionnaires par député. Ce qui veut dire que l'on doit multiplier par 5 ou par 6 le nombre de fonctionnaires que nous avons aujourd'hui à la Chambre des députés. Nous ambitions qu'en 2016, nous serons à un fonctionnaire pour chaque député. Revenons à la partie législative du Parlement. Ne voyez-vous pas qu'une session extraordinaire serait légitime ? Une session extraordinaire dépend de l'activité qui existe au Parlement et celle du gouvernement. S'il y a des textes de lois qui ont une urgence et un caractère particuliers en ce moment et en concertation avec le gouvernement, on décide d'ouvrir une session extraordinaire. Cela n'est pas prévisible dans l'immédiat, mais nous aurons plus de visibilité à ce propos d'ici la fin de la session. Si le gouvernement décide d'ici le 13 février de mettre dans le circuit le projet de loi sur la régionalisation et celui sur l'Amazighe par exemple, il y aura évidemment une session exceptionnelle. Ceci étant, il faut préciser que les sessions extraordinaires interviennent pour les séances plénières lorsque les projets de loi ont fait leur cheminement au niveau du débat en commissions. Nous avons remarqué durant cette session une tendance haussière des propositions des lois émanant du parlement. Cela veut-il dire que l'initiative des députés est désormais encouragée et prise en compte ? Il y a tout un développement et une amélioration des prérogatives du Parlement. Ceci à tous les niveaux que ce soit celui de contrôle des dépenses publiques et de l'activité législative. N'oublions pas que le Parlement est l'instance de production des lois par excellence. Rien que durant cette session, il y a eu 44 propositions de lois dont une a été votée et qui porte sur les fonctionnaires. C'est un vrai changement car l'ancienne Constitution bloquait les propositions de loi dans la mesure où le gouvernement avait le droit d'y opposer son veto. Maintenant, avec la nouvelle Constitution, il n'a plus ce droit. Mais cette nouvelle prérogative du Parlement met un peu de temps pour être comprise par le gouvernement. Ce dernier commence à comprendre l'importance d'être présent, sinon une proposition de loi peut être votée sans attendre son aval. Ceci étant et en respect du règlement intérieur, une proposition de loi ne peut être discutée que 20 jours après son transfert au gouvernement pour avis. Après ce délai, on convoque la commission concernée pour débattre de la proposition de manière normale. Ceci dit, nous promouvons le rendement des parlementaires en augmentant de 25% le nombre des fonctionnaires par groupe parlementaire. Avant, chaque groupe avait un agent pour quatre députés, maintenant nous en sommes à cinq agents pour le même nombre de députés. Un groupe parlementaire comme le PJD qui a 107 députés, dispose d'un staff de 25 à 26 personnes. Pour 2013, nous avons défini un budget de 6.000 DH annuellement pour chaque député pour faire appel à de l'expertise dans le cadre d'un partenariat avec les universités. Cela, sachant qu'une expertise universitaire peut coûter entre 20.000 et 40.000 DH. Un petit groupe parlementaire peut avoir 120.000 DH par an pour profiter de l'expertise en matière de production des lois. Nous avons aussi décidé, en concertation avec le gouvernement, de consacrer le mardi à la législation et si un ministre ne peut pas venir en commission, il doit se faire remplacer. Ceci pour mettre un terme aux atermoiements concernant la programmation des textes de lois pour le débat en commissions. Nous avons aussi mis en place un groupe pour que les lois organiques qui concernent directement la Chambre des représentants soient produites par les parlementaires. Il s'agit notamment de la loi organique sur les commissions d'enquête, celle des pétitions que les citoyens peuvent présenter et la loi organique sur les sollicitations de la société civile pour ce qui est des lois qu'elle peut proposer. Vous avez parlé d'une quarantaine de propositions de lois émanant des députés. Comment a réagi le gouvernement ? Globalement mauvaise. D'abord, il s'agit de difficultés pour venir aux réunions et, ensuite, une tendance à refuser ces propositions sans les étudier suffisamment et d'arguer de l'existence de projets de lois qui versent dans le même sujet. C'est ce que je qualifie d'un apprentissage. L'initiative parlementaire appartient à chaque député. Pour rappel, le chef du gouvernement a ce même pouvoir. Est-ce que les séances mensuelles de questionnement du Chef du gouvernement commencent à donner leurs résultats ? Personnellement, je trouve que ces séances sont l'un des symboles les plus visibles du changement constitutionnel. Elles illustrent le principe d'équilibre des pouvoirs, celui d'accompagnement de la responsabilité par le contrôle et la reddition des comptes et le principe d'accès à l'information. De plus, les sujets débattus sont importants et portent sur les politiques générales telles que la lutte contre l'économie de rente, la politique de l'emploi, l'impact de la décision du gouvernement d'augmenter les prix des carburants, l'investissement public et le climat des affaires, etc. Maintenant cette séance peut être améliorée et son format revu. Nous sommes en perpétuelle réflexion là-dessus. Revenons aux lois organiques. Ne ne pensez-vous pas qu'il y a un grand retard concernant leur préparation et leur adoption ? Nous avons adopté 5 lois organiques et il en reste 15 autres à adopter d'ici 2016, sachant que certaines qui ont été adoptées doivent probablement être revues. Oui, nous sommes en retard et j'ai personnellement attiré l'attention du gouvernement sur ce retard. Le 12 octobre dernier à l'ouverture du Parlement, SM le Roi disait qu'il faut se préoccuper des lois organiques sur la régionalisation et sur l'Amazighe comme des priorités. Le gouvernement a parlé d'un plan législatif qui a été présenté en Conseil de gouvernement et qui a même été fuité à la presse mais qui n'est toujours pas venu au Parlement. Il faut faire attention car ces lois sur la régionalisation et sur l'Amazighe sont complexes et doivent être discutées longuement. Rien que la question du découpage concernant la loi sur les régions est polémique. L'urgence vient peut-être du fait que les élections locales doivent être tenues sans trop de retard... Je pense qu'il ne faut pas tomber dans ce piège car quand bien même la portée électorale serait forte, la loi sur les régions engagera le Maroc sur une très longue durée. Avec la nouvelle constitution, la régionalisation est le chantier le plus important dans la gouvernance du pays. Nous ne demandons pas un projet de loi parfait mais un projet qui soit une plateforme pour commencer dès que possible le débat au sein du Parlement. Pour ce qui est du rôle du parlement, nous avons commencé à organiser des journées d'études pour élargir le débat sur les lois organiques qui sont plus du ressort des députés. Il faut signaler aussi que la loi organique des finances fait l'objet d'un groupe de travail commun entre le parlement et le gouvernement. Récemment le chef du gouvernement disait que la régionalisation conditionne les élections. En même temps le ministre de l'Intérieur a laissé entendre que les élections pourraient être tenues en octobre. Est-ce possible ? On peut bâcler le travail et produire des lois pour respecter les échéances électorales, mais ce serait dommageable à l'intérêt du pays. C'est pour cela qu'il ne faut pas confondre le rôle de la réforme de la régionalisation, qui vise une meilleure gouvernance locale, une complémentarité interrégionale, une meilleure dynamique économique et sociale, avec les élections locales. Moins de la moitié des députés seulement a voté la loi de finances. Pourquoi cette tendance persiste-t-elle encore ? Indéniablement à un moment solennel comme celui de vote de la loi de finances, les députés doivent participer au vote. C'est une culture que nous essayons d'instaurer progressivement. Mais d'un autre côté, il faut savoir que les discussions les plus importantes autour du projet de loi de finances se font en commission. Cette année, la présence des députés à la commission des finances était plus marquée, une centaine alors que les membres de la dite commission ne dépasse pas la cinquantaine. Il faut savoir aussi que nous avons pris des dispositions nouvelles pour la présence, notamment la distribution des feuilles de présence et la réception des lettres d'excuses. Une chaise vide au parlement n'est pas forcément anormale. Le député peut être dans une commission internationale pour défendre la cause nationale, comme il peut être dans son arrondissement en train de régler les problèmes du citoyen. Nous avons aussi procédé plusieurs fois à des lettres d'avertissement, en général une quarantaine. Nous avons aussi une fois lu les noms des absents en plénière. Il y a aussi une ponction de 1.000 DH pour chaque absence injustifiée. Vous a été confronté à une vague de résistance. Comment avez-vous géré la situation ? Cela est vrai, mais il y a aussi beaucoup de députés qui adoptent ce procédé parce que eux-même font l'objet de critiques. Car plus l'image du Parlement s'améliore plus celle du député s'améliore aussi. Ceci dit, nous n'avons pas le choix, il s'agit d'une disposition constitutionnelle. Mais la plupart opposent le manque de moyens pour venir au Parlement ? Ils ont bien évidemment raison, mais cette difficulté ne doit pas être un argument pour ne pas faire son travail. Cette question est prise bien au sérieux. L'idée est de prendre en charge une partie des frais du transport et de l'hébergement. S'ajoute à cela la sociologie du parlement qui a beaucoup changé. Aujourd'hui il y a un grand nombre de députés dont la seule activité est celle d'être élu. Il y a de moins en moins de notables. Bilan d'un an Cela fait un peu plus d'un an que Karim Ghellab est à la tête de la Chambre des députés. Une période symbolique qui est habituellement scellée par un bilan. Ce sont ainsi 48 projets de lois qui ont été approuvés, 8 projets de lois programmés et 26 projets en instance. Ce qui fait un total de 82 projets de texte. Quid des propositions de lois qui sont à l'initiative des députés ? On en recense 49 dont 2 propositions adoptées et une seule retirée. Durant une année, la Chambre des représentants a effectué 7 missions d'information notamment à la prison d'Oukacha, l'Incendie de la station de Tantan, les chaînes TV du pôle public, l'Agence urbaine de Casablanca et le Groupe Al Omrane et le fameux impôt sur le salaire d'Erique Guerets. Dans le cadre de l'action diplomatique, le président de la Chambre a effectué 8 missions à l'étranger. Il a reçu 67 délégations étrangères dont 41 d'Europe, 9 d'Afrique et 6 du Monde arabe.