C'est un fait assez évident et sur lequel convergent toutes les analyses ou presque: l'avenir des marchés financiers appartient à la finance et aux banques islamiques. L'expansion prise par cette industrie ces dernières années confirme d'ailleurs cet engouement. Elle est devenue l'un des segments où la concurrence entre établissements bancaires est la plus rude. Dans ce sillage, le Maroc a pris l'option de s'ouvrir sur le marché des produits islamiques et à en croire le gouvernement, qui vient d'adopter les premiers textes juridiques en la matière, la première banque labellisée islamique ouvrira ses portes au courant de l'année 2013. Avec un peu de retard, certes, si on tient compte de l'avancée prise par certains pays, principalement musulmans. Du coup, l'ouverture des banques islamiques est une réelle opportunité pour l'économie nationale, mais il va falloir mettre les bouchées doubles pour tirer pleinement profit du potentiel du secteur. La concurrence a déjà pris son envol et s'amplifiera davantage dans les prochaines années, dans le sillage de la maturité que connaîtront progressivement dans le secteur des établissements financiers à caractère islamique. Comme dans n'importe quel autre secteur économique, c'est la compétitivité qui fera la différence et renforcera l'attractivité du secteur. C'est en tout cas ce que vient de dévoiler une étude du Cabinet Ernst & Young, pour le compte du groupe de la Banque mondiale et qui porte sur la compétitivité de la finance islamique. Le rapport, qui sera présenté à l'occasion de la 18e édition de la Conférence annuelle de la Banque islamique mondiale (WIBC), qui se déroulera en décembre prochain et regroupera près de 1.200 leaders provenant de plus de 50 pays, est destiné à servir de plate-forme pour «la planification de l'avenir de la finance islamique». C'est autant dire une référence, qui illustre les principales tendances du marché international, au moment où le Maroc frappe à la porte de ce créneau. Les statistiques et analyses contenues dans le document ont une fois de plus prouvé la forte croissance du secteur et dévoilé les perspectives qui s'offrent pour les opérateurs du secteur, les arrivants comme ceux qui ont déjà pris leur essor. Selon les estimations du cabinet Ernst et Young, les actifs bancaires islamiques des banques commerciales dans le monde, atteindront en 2012, 2015, près de 1.100 MMUSD, alors qu'ils n'étaient que de 826 MM USD en 2010. Pour la région MENA uniquement, les actifs bancaires islamiques connaissent une croissance moyenne annuelle de 20% sur les cinq dernières années, ce qui constitue une nette performance, si l'on tient compte du fait que cette moyenne n'a été que de 9% pour les banques dites conventionnelles. Avec le rythme actuel de croissance, les actifs bancaires islamiques des pays de la région MENA, devraient connaître une progression estimée, par Ernst et Young et la Banque mondiale à plus de 575 MMUSD à l'horizon 2015. «Ces tendances vont s'accélérer» a déclaré David McLean, directeur général de MEGA Brand, la société organisatrice de l'évènement, en introduction du rapport. L'expert s'est appuyé sur plusieurs facteurs d'ordre politique, économique et surtout financier, qui vont accompagner la pleine expansion de l'industrie bancaire islamique. «Comme de nouvelles zones géographiques vont s'ouvrir à cette finance, l'industrie bancaire islamique dans la région MENA va connaître un nouvel élan, qui dopera considérablement sa croissance», note le document, qui relève qu'il y a «des variations significatives des performances sur tous les marchés». Concurrence profitable à la croissance Le Maroc, qui inaugurera ses premières banques islamiques en 2013, se trouvera donc confronté à une forte concurrence, grâce à la montée en puissance des banques islamiques un peu partout dans le monde. D'après les estimations du Fonds monétaire international (FMI), il y avait, depuis 2010, plus de 390 banques islamiques et institutions réparties dans 75 pays. Cependant, plus qu'un défi, cela constituerait plutôt une réelle opportunité, à condition de savoir jouer sur la compétitivité. Cela doit se faire, d'après les experts, sur deux volets. En amont d'abord, pour renforcer l'attractivité du pays pour soutenir l'implantation des établissements bancaires, en drainant assez d'IDE dans le domaine, et ensuite, en aval, dans la commercialisation même des produits islamiques. «Alors que la plupart des banques islamiques restent localisées à leur base au niveau des pays du Golfe, la demande potentielle sera d'environ 100 nouvelles institutions financières islamiques dans la région MENA d'ici 2020», ont estimé pour leur part Ashar Nazim et Imtiaz Ibrahim, responsables des services financiers islamiques au sein du cabinet Ernst & Young et principaux auteurs du rapport. «Le moment est maintenant opportun d'envisager la création de fonds souverains islamiques, pour soutenir l'internationalisation croissante de l'industrie du secteur» ont préconisé par ailleurs les experts, qui se sont appuyés sur les tendances actuelles des principaux marchés de la finance islamique. «De cette analyse, il est ressorti que le défi principal pour ces institutions sera de savoir mettre en œuvre une véritable stratégie, permettant l'instauration d'un modèle de performance et de croissance durable». Compétitivité Les auteurs du rapport n'ont pas, en effet, manqué de relever les transformations majeures qu'a connue l'industrie mondiale de la finance islamique au cours des dernières années, dans le cadre de la législation ayant permis au secteur de renforcer sa compétitivité au niveau international et de parvenir à construire un modèle d'affaires durablement profitable à tous les acteurs. «Nos clients sont d'accord pour dire que les modèles économiques nécessaires pour façonner et soutenir la réussite dans ce nouveau paysage évoluent d'une manière fondamentale», ont souligné les auteurs du document. Pour assurer une croissance durable, ils ont plaidé pour des principes, en apparence assez simples et qui permettront l'amélioration du rendement des établissements bancaires islamiques. À ce sujet, les experts ont mis en avant deux principaux aspects, qui sont en train d'émerger dans cette quête de compétitivité. Il s'agit de «l'excellence des opérations bancaires, qui se traduit par une transformation de la relation banque-client». Au niveau des banques islamiques, celle-ci est plus centrée sur le client, ce qui amplifie son efficacité, surtout qu'elle s'accompagne d'un modèle opérationnel évolutif, entraîné par un renforcement des risques et de l'orientation technologique. L'autre aspect est relatif à l'innovation pour la mise à la disposition des clients de nouveaux produits, qui permettront de renforcer la différenciation avec ce qui n'est pas conforme à la charia et de fournir une plus grande intégration à l'économie réelle. Il faut dire que selon le constat qui se dégage, les experts ont souligné que «les banques islamiques sont capables de générer des marges de financement plus élevées que les banques traditionnelles, en raison de leur orientation relativement plus forte vers le détail». L'étude a relevé que le secteur des ménages est celui qui bénéficie le plus du financement islamique, alors que les dépôts sont principalement générés par les entreprises et les autres institutions financières comme les fonds souverains. C'est d'ailleurs la combinaison de ces principaux aspects propres à la finance islamique qui ont jusque-là, accompagné son expansion. Le document a ainsi mis en relief le fait que dans le monde entier, les musulmans commencent à utiliser des produits conformes à la charia, qui n'étaient pas à leur disposition. Ensuite, en raison de l'augmentation de la richesse pétrolière des pays musulmans du Moyen-Orient et de leur décision d'utiliser des produits conformes à la charia, les gouvernements occidentaux et les institutions financières conventionnelles envisagent aussi de s'ouvrir à la finance islamique. Enfin autre élément et non des moindres, le fait que les produits bancaires et financiers islamiques se concentrent sur l'éthique renforce leur compétitivité, ce qui leur permettra d'attirer, non seulement les musulmans, mais aussi les non musulmans. Ce sont en somme, autant de leviers de croissance pour le secteur, sauf que pour le Maroc, qui en est à ses premiers pas, l'accent doit plus être porté sur l'environnement juridique et réglementaire, de manière à permettre la mise en œuvre réussie des premiers établissements bancaires islamiques. Le rapport sur la compétitivité de la finance islamique, en effet, a mis en évidence le fait que parmi les préoccupations importantes, il y a «l'absence d'un environnement législatif, réglementaire, fiscal et juridique dans la plupart des marchés, ce qui ajoute au coût et la complexité des opérations bancaires islamiques». Force est de dresser le constat, principalement au sein des pays membres de la conférence islamique (OCI) que là où il existe des lignes directrices et des normes émises par les institutions, la préoccupation est de les rendre pleinement exécutoires. «Ces aspects doivent être traités en priorité» ont conseillé les analystes du cabinet Ernst & Young. Lire aussi : S&P s'inquiète pour le secteur bancaire Les ressources humaines, l'autre enjeu Si le cadre juridique et réglementaire constitue le premier élément permettant d'impulser une réelle dynamique au secteur de la finance islamique, les experts font relever aussi que l'un des atouts pour la compétitivité est relatif au volet des ressources humaines. De par la spécificité des produits islamiques, leur commercialisation requiert des profils adaptés ayant suivi des formations dédiées pour pouvoir satisfaire aux exigences de la clientèle. Dans ce sens, plusieurs approches sont actuellement mises en œuvre au niveau de plusieurs pays. Il s'agit de programmes universitaires (masters spécialisés), ou de programmes de formation à distance, entre autres. Il est à remarquer que plusieurs universités et instituts proposent des filières d'enseignement dans le domaine de la finance islamique et des finances. Au Maroc, le créneau ne s'est pas encore développé, mais c'est une question de temps.