Les Assises nationales du cinéma auront été l'occasion de partir sur des résolutions pour un secteur en plein foisonnement. Pas moins de 300 participants, dont des responsables, cinéastes, chercheurs et experts du Maroc et de l'étranger (France, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni ) ont débattu, dans le cadre des huit ateliers de travail, des moyens de relever les défis auxquels fait face le secteur, notamment ceux relatifs à la production cinématographique nationale, aux nouvelles technologies, à l'infrastructure, la distribution, l'exploitation, l'investissement, la formation et la qualification. Organisées du 16 au 18 octobre par le ministère de la Communication en partenariat avec le Centre cinématographique marocain (CCM) et les instances opérant dans le secteur, ces assises ayant pour thème «les défis et horizons du cinéma marocain», visent en particulier à mettre en place une stratégie nationale intégrée pour promouvoir le 7e art marocain, ainsi que des mesures pratiques en vue de jeter les bases d'une véritable industrie cinématographique. En ce sens, le ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi a parlé de «période charnière». En effet, après un demi-siècle d'existence, le secteur cinématographique au Maroc est en passe de poursuivre son cheminement mais non sans une pause réflexion. Ces assises qui interviennent cinq ans après la rencontre nationale consacrée aux questions du cinéma et de l'audiovisuel (2007), constituent une occasion pour prendre la mesure du chemin parcouru par le cinéma marocain et définir les pistes à même de capitaliser sur les réalisations et les acquis. Ainsi, les déclarations du porte-parole du gouvernement venaient compléter le message royal énoncé lors de l'ouverture de ces assises et qui invitait à une approche participative permettant l'élaboration d'une plateforme de travail impliquant le ministère de tutelle et les professionnels du secteur. De son côté, Noureddine Saïl, président du Centre cinématographique marocain (CCM) a estimé que le cinéma marocain a réussi, à l'image des cinémas européens, à se forger sa propre identité et à faire face à l'hégémonie de l'imagerie américaine qui a toujours été omniprésente. Le Maroc aurait pu être convenablement présenté lors des grandes manifestations mondiales, selon Saïl, tout en satisfaisant le public marocain grâce à une dizaine de manifestations cinématographiques d'envergure et une quarantaine de festivals célébrant le 7e art à travers les régions du Royaume. «Autant dire, que le Maroc dispose d'un acquis cinématographique indéniable qui en fait un pays avancé en la matière au niveau de l'Afrique», estime Saïl. Pour lui, les responsables et professionnels du secteur doivent porter un regard prospectif sur l'avenir du cinéma et les chantiers prioritaires à ouvrir pour développer la pratique cinématographique au Maroc, soulignant la nécessité de renforcer l'infrastructure, de développer les cinémas multiplexes et d'encourager les investissements dans ce sens. Après avoir mis en relief l'importance stratégique que revêtent les Assises nationales du cinéma, en tant qu'occasion de dresser l'état des lieux du 7e art marocain et d'en explorer les perspectives d'avenir, le président du comité scientifique, Abdellah Saâf, a relevé le besoin d'une stratégie de réforme traçant les perspectives de développement du secteur, dans le cadre d'une vision intégrée valorisant le cinéma en tant qu'industrie culturelle par excellence. C'est à juste titre, l'objet du Livre blanc du cinéma qui verra le jour en janvier prochain et qui déclinera les principaux axes de réforme du secteur à la lumière des acquis accumulés, a fait savoir Saâf, invitant l'ensemble des intervenants à engager une réflexion commune pour trouver des réponses durables aux problématiques auxquelles fait face le secteur et enrichir les politiques publiques qui lui sont dédiées. Problématiques et ateliers À travers huit ateliers de travail dédiés aux problématiques majeures du cinéma marocain, les Assises nationales du cinéma, ont lancé des chantiers de réflexion vers une réforme des principaux dysfonctionnements. Elles ont été ainsi une sorte de mise à niveau et de valorisation du 7e art, et ce, à travers des ateliers programmés, deux jours durant, permettant d'approfondir le débat autour des difficultés qui persistent au niveau de tous les cycles de production et de distribution et de relever les enjeux d'ordre réglementaire, artistique et commercial liés à la pratique cinématographique dans le pays. L'ultime objectif étant d'apporter des réponses concrètes aux préoccupations des professionnels et d'aider à l'élaboration d'une stratégie nationale intégrée pour développer la production cinématographique aussi bien sur le fond que sur la forme. Le premier atelier portant sur «la production nationale face à l'évolution technologique» se penche ainsi sur l'état des lieux et les perspectives de la production cinématographique, ainsi que sur les moyens de promouvoir le partenariat entre le cinéma et la télévision, afin de relever les défis inhérents à l'évolution technologique. Pour y arriver, il s'avère prioritaire, selon la note de cadrage des travaux de cet atelier, de diversifier les sources de financement du cinéma, d'instituer une augmentation annuelle de 10 MDH des subventions étatiques destinées à l'industrie cinématographique, de doter le secteur d'un contrat-programme spécifique et de soutenir la commercialisation du film marocain à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Sur le volet de l'infrastructure, de la distribution, de l'exploitation et de l'investissement, qui fait l'objet du deuxième atelier, l'accent est mis sur la nécessité d'une intervention urgente et efficace des autorités publiques, en vue de développer une infrastructure cinématographique solide (salles de cinéma, multiplexes) à même de renforcer la compétitivité du 7e art marocain et de démocratiser l'accès aux espaces de projection dans toutes les régions du Maroc. Pour leur part, les participants au troisième et quatrième atelier portant respectivement sur «les techniciens et les métiers para-cinématographiques» et «la formation et la qualification», s'attelleront à l'élaboration d'une charte d'honneur, définissant les droits et obligations des techniciens du cinéma, ainsi que la mise en place de programmes de formation ciblés au profit des professionnels, en partenariat avec des organismes spécialisés nationaux et internationaux. Le cinquième atelier passe quant à lui au peigne fin les relations entre le cinéma et les médias audiovisuels, faisant ressortir la complémentarité entre ces deux supports, qui doivent mettre leurs ressources en commun, tandis que le sixième atelier traite des moyens d'assurer le rayonnement des festivals nationaux dédiés au cinéma, notamment à travers l'élaboration d'un agenda annuel des rendez-vous cinématographiques, toutes vocations confondues et le soutien aux cinéclubs. La propriété intellectuelle, les droits d'auteur et la lutte contre le piratage figurent par ailleurs au menu du septième atelier, qui sera l'occasion d'appeler à la mise en œuvre du partenariat liant les ministères de l'Intérieur et de la Communication, le Centre cinématographique marocain, l'Office marocain de la propriété industrielle et commerciale et l'Association marocaine de lutte contre le piratage. En ce qui concerne la réglementation et l'organisation du secteur, thème du huitième atelier, il s'agira de réfléchir aux modalités de restructuration de l'industrie cinématographique marocaine, de manière à ce qu'elle puisse gagner à la fois en abondance, en qualité, en diversité et représenter comme il se doit le Maroc lors des manifestations internationales en reflétant la dynamique positive marquant le paysage culturel et artistique marocain. Abdellah Saaf, Président de la commission scientifique chargée d'élaborer le Livre blanc du secteur du cinéma au Maroc. «Le Livre blanc a pour but d'anticiper l'avenir» Les Echos quotidien : Quel est le rôle de la commission scientifique que vous présidez ? Abdellah Saaf : Cette commission a pour objectif d'élaborer un Livre blanc du secteur du cinéma qui puisse constituer le référent principal pour ce dernier, de sa gestion publique et de l'action de l'Etat dans un domaine florissant qui s'est fortement développé dernièrement, mais qui souffre encore de beaucoup de défaillances. Par conséquent, le rôle de cette commission est la perspective qui prend en compte les acquis pour mettre au point une vision d'ensemble. Une fois cette vision d'ensemble réalisée, on pourra aller vers la réalisation de politiques publiques plus précises et de programmes d'actions à même de restructurer et de dynamiser le secteur, pour les années à venir. Les politiques publiques sont ainsi l'ensemble des mesures et pratiques attendues de l'Etat et des acteurs du domaine, pour aller conjointement en ce sens. Comment se fera l'élaboration de ce Livre blanc ? Le secteur compte déjà à son actif une médiathèque riche qui comprend plusieurs documents, lesquels représentent des enquêtes, des études, des bilans. Ainsi, nous avons déjà une accumulation impressionnante dans ce domaine, il s'agit donc de mettre à jour ce diagnostic dans le Livre blanc, qui sera le référentiel pour la stratégie du secteur et pour les années à venir. Il est à rappeler d'ailleurs qu'il y a eu plusieurs assises par le passé – durant les années 80, 90, puis 2000 - qui ont créé une sorte de terrain d'études, mais il me semble qu'ils n'ont pas la même envergure et le même caractère décisif que les assises du moment, qui viennent après un bon bout de chemin parcouru par le secteur. Ces dernières préfigurent un recensement et une représentation de la totalité des composantes du secteur au Maroc, la différence pour celles-ci est donc l'exhaustivité. Ensuite, ces dernières constitueront un vrai moment de remise en question menant à une vraie politique publique, non seulement à une rencontre où l'on débat et où l'on échange ses idées. Selon vous, quel sera l'apport de ce Livre blanc dans un contexte où l'on parle aussi de beaucoup de dysfonctionnements dans le secteur, comme par exemple celui des salles de cinéma ? Tout d'abord, je pense qu'il y a d'autres problèmes, outre le constat de la fermeture progressive des salles, puisque le Maroc est passé à peu près de 200 salles de cinéma dans les années 80, à moins d'une centaine actuellement. Il y a aussi des problèmes liés à la production, à la distribution, au passage au numérique, au modèle économique et aux corps de métiers du secteur. Il y a tout cela qui est à revoir et à adapter à la situation actuelle. C'est donc dans cet énorme chantier de réformes qu'intervient le Livre blanc, qui sera élaboré en concertation avec les différentes composantes et professionnels du secteur. Ensuite, ce Livre blanc a pour but d'anticiper sur le développement à venir, puisque le secteur ne peut qu'être très prometteur, vu les chiffres qui ont été reportés. À titre d'exemple, la production annuelle du Maroc (ndlr: 25 longs-métrages et 100 courts-métrages annuels), le nombre des festivals, la participation marocaine à l'étranger, les prix glanés par nos créateurs. Tout ceci fait plaisir, mais surtout, cela incite à prévoir ce que va être l'avenir et à s'y préparer. Justement, en parlant de réalisations et en tant que président de la commission scientifique de ces assises, quel bilan pouvez-vous nous donner du secteur du cinéma au Maroc ? Ces dernières années ont été certes, des années de développement de la production, mais il existe des problèmes structurels, logistiques qui sont évidents et auquels ces assises tentent d'apporter des solutions. Il y a aussi des défaillances organisationnelles et structurelles au sein des corps de métiers, notamment pour les techniciens, alors que par exemple les techniciens lumière, les techniciens et ingénieurs du son, ces gens-là représentent le noyau de l'infrastructure cinématographique et de la logistique de base, qui restent encore défaillantes au Maroc. Selon quels critères a eu lieu la répartition des huit ateliers de ces assises, lesquels sont regroupés généralement selon trois axes ? En effet, il était possible de regrouper les huit ateliers de ces assises en trois axes. Tout ce qui est investissement, production, distribution et logistique peut constituer un axe. Tout ce qui est métiers et formation représentent un deuxième axe. quant au troisième axe, il représente beaucoup plus la création et tout ce qui s'y réfère, comme l'encadrement et l'institutionnalisation, qu'il s'agisse de la protection de la propriété intellectuelle ou du devenir de l'intervenant institutionnel qu'est le CCM. Ainsi, il s'agit de trois axes principaux que nous avons jugé bon de répartir en huit ateliers, pour plus d'efficacité et d'efficience, car une réelle analyse et une diversification des approches ne sont possibles qu'en «divisant» le sujet en divers axes.