C'est la dernière ligne droite avant la divulgation du Budget 2013. Hier, se tenait en effet un Conseil de gouvernement et un Conseil des ministres qui devaient permettre au ministre des Finances de faire valider les grandes lignes de son projet de loi de finances. À l'heure où nous mettions sous presse, rien ne filtrait encore sur ces orientations. Mais une chose est sûre, c'est que ce projet de loi de finances risquera de faire longtemps débat. Hormis le fait qu'il soit le premier véritable projet de loi de finances de l'actuel gouvernement, l'importance de ce texte découle surtout de la conjoncture dans laquelle il est établi. Beaucoup de flou entoure en effet la capacité de l'économie marocaine à se redresser après un exercice 2012 plutôt délicat et le projet de budget devrait constituer le véritable test du gouvernement, dans sa capacité à réagir face à ce contexte. Pour l'heure, les prévisions de plusieurs organismes, parmi lesquels le Haut commissariat au plan, font ressortir des prévisions de croissance de 4,5% pour le prochain exercice. Cela devrait donc être proche de l'hypothèse que retiendra le gouvernement dans son projet de loi de finances. D'ailleurs, à la veille de l'annonce officielle des hypothèses retenues pour le PLF, Driss El Azami El Idrissi, ministre en charge du Budget, déclarait que «plusieurs scénarios étaient à l'étude en fonction de l'année agricole et de la conjoncture internationale». Toutefois, le taux retenu devrait se situer entre 4 et 5%. Pour ce qui est du déficit budgétaire, en revanche, la donne n'est pas aussi claire. Et pour cause, la situation économique de 2012 laisse craindre un ralentissement de la collecte des recettes fiscales pour l'année 2013. Même le ministre des Finances, dans l'une de ses précédentes interventions au sein du Parlement, avait reconnu que «la conjoncture actuelle risquait de peser sur les recettes d'IS du Budget 2013». En d'autres termes, la promesse de réduire sensiblement le déficit budgétaire ne sera pas d'actualité dans ce budget, puisqu'en qu'en 2012, c'est principalement la tendance haussière des recettes fiscales qui a permis jusque-là de maintenir le déficit en dessous du cap des 6%. Budget by Capdema Sur fond d'interrogations et de suspense, les hypothèses florissent auprès des économistes et des experts pour définir les seuils de résistance des compartiments budgétaires de l'Etat. La dernière analyse en date vient d'ailleurs d'être signée par l'association Capdema, organisme indépendant constitué de jeunes chercheurs et hauts cadres. Cet organisme vient en effet de rendre public un rapport analysant les finances publiques et apportant des projections sur les dix années à venir, basées entre autres sur des données publiques. Selon Capdema, «l'objectif de réduire le déficit à 3% pour 2016 n'est possible que grâce à une expansion du PIB, sur la base d'un taux de croissance de 5,5% en moyenne sur les cinq prochaine années». Or, pour l'heure, on en est encore loin. Après les 3% prévus en 2012, les 4,5% pour 2013, il devient de plus en plus évident que le gouvernement aura du mal à réaliser cette moyenne, sauf s'il décide de compenser les taux de croissance de 2012 et 2013 par des mesures à inclure dans le Budget 2013 en vue de donner un sérieux coup de pouce à la croissance sur les dernières années de son mandat. Dans ce cas de figure, le déficit budgétaire de la prochaine loi de finances ne pourrait être inférieur à 5%, si l'on se fie aux analystes de Capdema. Quelle sera l'option que retiendra le gouvernement ? À première vue, on se dirige tout droit vers la première version où la réduction du déficit devra passer par une maîtrise plus stricte des dépenses publiques. C'est du moins ce que l'on peut déduire des dernières déclarations des membres du gouvernement, bien que ceux-ci se refusent à parler de budget d'austérité. Le choix de cette option est principalement induit par la volonté de l'Exécutif de rétablir au plus vite les équilibres macro-économiques et ce, conformément aux «recommandations» des institutions internationales. Cependant, force est de constater que la réduction drastique des dépenses n'est pas forcément synonyme d'une réduction du déficit budgétaire. C'est ce que conclut l'étude de Capdema. Selon cette dernière, «cet objectif est irréalisable». Pour argumenter cette position, l'association considère que les hypothèses de croissance attachent une importance démesurée au seul niveau moyen de la croissance, à savoir 5,5%, sans s'intéresser à l'aspect volatile de celle-ci. De plus, la réduction des dépenses publiques est avancée comme un moyen de réduire le déficit budgétaire par simple logique comptable, sans pour autant prendre en compte ses répercussions sur l'économie, et partant sur sa croissance et les recettes qu'elle peut générer. En effet, «nous avons l'exemple type illustrant l'impact d'une réduction des dépenses avec l'étude menée par le HCP, laquelle estime le manque à gagner en croissance de consommation des ménages à 1%», ajoute l'association qui souligne également que cette décision a un second impact transmis par les contributions à la croissance du PIB, de l'ensemble des postes affectés par la levée partielle de la subvention, en premier lieu la consommation des ménages et celle des administrations publiques. La solution n'est pas aussi simple C'est un véritable cercle vicieux où se retrouve empêtré l'Exécutif pour l'élaboration de son Budget. Que faut-il faire alors dans ce contexte ? L'élaboration par l'association d'un budget 2012-2022 fait ressortir des recommandations qui pourraient inspirer l'Exécutif. D'emblée, sur le volet de la croissance, maintenir les prévisions de croissance à 5,5% en moyenne sur les cinq prochaines années serait une erreur, car pour y parvenir il faudrait que l'économie marocaine réalise ses taux de croissance les plus hauts historiquement pour compenser 2012 et 2013, ce qui reste peu probable. «L'hypothèse la plus crédible est celle d'une croissance moyenne annuelle de 4.68%, qui est plus en ligne avec les performances de l'économie marocaine depuis 1999», peut-on lire dans la note de Capdema. Dans ce contexte, la projection d'une croissance moyenne de 5,5% est plus crédible pour la période 2012-2022, soit 6% pour 2016-2022. Ensuite, pour ce qui est de la maîtrise des dépenses, cela pourrait se faire par la simplification des processus de financement des SEGMA et des comptes spéciaux du Trésor (CST). Les SEGMA et CST concernés pourraient être entièrement cédés aux autorités locales des régions. Le projet Capdema de la réforme constitutionnelle prévoyait une large autonomie dans la gestion des affaires locales et le projet de Budget proposé par l'association concrétise l'aspect financier et budgétaire de cette volonté. «Notons qu'il s'agit d'un Budget potentiel de 52 MMDH qui sera directement transféré aux autorités locales, lesquelles le financent en grande partie par une fiscalité locale. Par ailleurs, Capdema conforte l'idée de l'Exécutif de serrer la ceinture pour ce qui est de la masse salariale». Les propositions de l'association sont telles que la masse salariale «ne sera pas réduite en valeur absolue, mais sa progression annuelle pourrait être indexée directement sur l'indice des prix à la consommation pour les salaires inférieurs à la médiane». De plus, «nous fixons aussi le nombre de postes ouverts au recrutement à un plafond maximal de 19.000 annuels», rajoute la même source. Ces mesures permettront ainsi d'éviter que la masse salariale du secteur public ne continue de grimper plus vite que le niveau de vie au Maroc. En tout, cela permettrait selon les calculs de Capdema de générer une économie de 92 MMDH de consommation des administrations publiques. L'habitat, cas particulier? En attendant d'y voir plus clair sur ce budget 2013, on sait d'ores et déjà que le ministère de l'Habitat a introduit deux principales mesures. La première concerne la mise en place d'un fonds pour le financement de l'urbanisme, qui servira dans le cadre de la mise en œuvre de la politique de la ville. Cet instrument contribuera à financer les opérations visant à accompagner l'urbanisation rapide pour offrir un meilleur cadre de vie à la population, dont la mise en place des plans d'aménagement. La deuxième mesure concerne pour sa part le lancement d'un nouveau produit de logement dédié à la classe moyenne, comme promis par le gouvernement. La proposition soumise concerne l'adoption d'un prix de 5.000 DH/m2, au lieu de 6.000 DH/m2 demandés par les promoteurs privés pour une superficie à partir de 80 m2. Or à ce niveau, aucune aide financière frontale de l'Etat telle que souhaitée par les professionnels ne devrait être retenue, ce qui risque de rendre l'application dette proposition difficile. Par ailleurs, l'idée de créer un fonds de solidarité habitat (FSH) revient également avec insistance. L'objectif est de financer la lutte contre «la pauvreté urbaine». Ce serait les sidérurgistes qui contribueraient au financement de ce fonds, comme ce qui est fait chez les cimentiers pour le fonds de solidarité sociale. Quid des réformes Le document publié par Capdema revient également sur les réformes de la fiscalité et de la Caisse de compensation et qui devraient intervenir à partir de 2013. Pour la première, les recommandations de l'association sont claires. D'abord, éliminer des exemptions socialement injustes, dont celle du secteur agricole. Ensuite, il faudrait réorganiser le système fiscal autour de 4 impôts principaux. «Le systeme que nous proposons sera plus simple», note l'association pour qui, en prenant en compte la distribution statistique des contribuables, il augmentera la recette globale de l'Etat, tout en reduisant la pression fiscale sur les individus. Pour ce qui est de la compensation, Capdema plaide pour le principe des aides directes aux ménages. L'Etat fera ainsi des économies substantielles avec 25 milliards de dépenses (au lieu de 42 MMDH), tout en réalisant son objectif initial de justice sociale. Rappelons que dans sa lettre de cadrage, le chef du gouvernement avait promis que le budget 2013 serait celui du coup d'envoi de ces réformes.