S'il y a un débat qui devrait particulièrement intéresser le gouvernement, à l'heure où il est très attendu sur sa stratégie de relance de l'économie nationale, c'est bien sûr celui de la mondialisation. Il est vrai que le débat ne date pas d'hier, mais avec l'impact de la crise économique et de la politique volontariste de conquête de marchés à l'international, le Maroc se trouve aujourd'hui plus que jamais confronté aux défis de la mondialisation. Surtout que dans la déclinaison des principaux axes de la prochaine loi de finances, le gouvernement a inscrit au titre de la lettre de cadrage, la prise en compte de mesures allant dans le sens du renforcement de la préférence nationale. Il s'agit bien évidemment de répondre aux sollicitations exprimées par plusieurs fédérations sectorielles, afin de permettre aux entreprises nationales de tirer pleinement profit de l'effort d'investissement de l'Etat. C'est justement à ce niveau que se situe l'enjeu de la problématique, car le gouvernement devra prendre en compte plusieurs aspects dans le cadre de l'élaboration de sa politique commerciale. La problématique de la mondialisation fait actuellement son retour même au sein des pays développés et dans certains pays émergents, comme l'a fait remarquer l'Organisation mondiale du commerce (OMC), où les mesures de sortie de crise prennent des allures de protectionnisme déguisé. Plus que jamais, donc, les autorités sont partagées entre les défis d'une plus grande ouverture du marché national, afin de capter plus d'investissements étrangers et ceux du sauvetage de l'économie interne. Le mouvement de mondialisation qui a pris une tendance accélérée lors des décennies précédentes, a connu aussitôt une baisse de régime dans le sillage de la vague naissante de l'idée d'une «démondialisation». Le concept a certes émergé au sein de la société civile à la suite du constat des effets néfastes de la mondialisation, principalement dans les pays en voie de développement et les économies émergentes, lesquels comme le Maroc, pâtissent gravement de la crise économique dans laquelle est plongée l'Europe. Désormais, certains analystes économiques n'hésitent pas à s'aligner sur cette tendance, compliquant ainsi le débat et rendant difficile l'équation complexe de l'adoption d'une stratégie véritablement adaptée au contexte politique et socioéconomique actuel. Enjeux de l'heure Faut-il alors continuer à mondialiser ? Voilà la question qui partage l'avis des spécialistes à l'heure actuelle, et qui constitue une réelle préoccupation pour les gouvernements. La preuve en est que les rencontres sur le même thème sont devenues ces derniers temps assez récurrentes. Jeudi dernier, c'est à l'Institut marocain des relations internationales (IMRI), que s'est tenue une conférence dirigée par le professeur Dominique Martin de l'Université Lyon II, sous le thème, «mondialisation, démondialisation : quels enjeux ?». C'est aussi, l'une des thématiques majeures qui a structuré les débats de la 5e édition de l'université d'été de Unmondelibre.org, qui s'est tenue une semaine auparavant, près de Rabat. Au cœur des préoccupations, l'impact de la mondialisation sur les économies émergentes, mais aussi et surtout, les opportunités de développement ainsi que les leviers de croissance que ces pays pourraient tirer. Dans l'ensemble, il a été mis en exergue que de par son modèle économique et les différents accords commerciaux signés tant au sein de l'OMC dans le cadre multilatéral et des nombreux accords de libre-échange (ALE) qu'avec plusieurs pays, le Maroc s'est véritablement engagé dans la voie de l'ouverture commerciale. C'est d'ailleurs un choix que l'actuel gouvernement entend maintenir, même si la nécessité de revoir certains volets des ALE, est également au centre des préoccupations du gouvernement Benkirane. L'objectif étant de renverser la tendance actuelle des échanges commerciaux du Maroc avec ses partenaires, qui se font en défaveur de l'économie nationale, comme en témoigne le creusement du déficit commercial ces dernières années et qui prend aujourd'hui une tournure particulièrement inquiétante. Plus d'ouverture Le modèle marocain, en théorie, constitue donc une option stratégique qui peut s'avérer payante, à condition que le gouvernement sache véritablement accompagner la mise en œuvre des mesures adéquates, permettant à l'économie nationale de saisir les opportunités. C'est justement là où est attendu le gouvernement. Analysant l'impact de la mondialisation en Afrique, le professeur Emmanuel Martin de l'Institut européen des études économiques, est revenu sur la polémique selon laquelle elle constitue la principale cause du sous-développement en Afrique. Sans remettre en cause le poids des multinationales et les errements constatés dans le cas des pays ayant suivi le mouvement sans trop se préparer, l'expert a fait remarquer que ce qui se passe actuellement est loin du vrai sens de la mondialisation. Pour lui, la mondialisation, c'est en effet, «l'ouverture, la concurrence, les échanges libres, la liberté de mouvement et les opportunités». S'appuyant sur les chiffres des institutions internationales, notamment sur le poids des investissements directs étrangers en Afrique, qui restent assez faibles en dépit de l'ampleur qu'ils ont pris ces dernières années, il a conclu que «l'Afrique n'est en réalité pas véritablement mondialisée». Du coup, il est tout à fait normal que les économies émergentes ne puissent pas profiter de la mondialisation, dont le système avantage pour le moment les grandes entreprises implantées dans les pays développés. Faible intégration régionale, environnement des affaires eu propice ou poids de l'informel : la liste des maux qui freinent le développement des économies africaines est assez exhaustive. Pour le professeur Martin, c'est sur ces leviers que doivent porter les réformes devant être entreprises par les dirigeants des pays émergents et en voie de développement. «Par le passé, il est vrai que les institutions de Washington et notamment le Fonds monétaire international, ont demandé des réformes dans le sens de la libéralisation et des politiques budgétaires restrictives», a-t-il souligné, ajoutant que l'idée était que le secteur privé prenne la relève. «Malheureusement l'erreur a été que ces réformes du FMI ne pouvaient justement aboutir à rien sans les réformes de fond complémentaires en amont, se concentrant sur la facilitation des affaires», a relevé l'expert pour qui le travail n'avait été fait, en quelque sorte, qu'à moitié. Cette position est largement partagée par les analystes en économie. Le défi pour le Maroc, serait donc de poursuivre les réformes allant dans le sens d'une plus grande libéralisation, en s'assurant des mesures d'accompagnement qui peuvent vraiment permettre la croissance économique. «Il ne faut donc pas se lamenter de la mondialisation, mais au contraire du manque de mondialisation en Afrique, car s'il y en avait davantage, il y aurait plus de concurrence, d'entreprises locales, davantage de richesses produites et partagées», note l'expert pour qui «cela suppose de libérer les énergies et les dynamiques africaines qui ne demandent qu'à s'épanouir en dehors de l'informel, par un climat plus propice aux affaires». C'est exactement ce que promet le gouvernement et ce que demande le patronat marocain, à travers les doléances qu'ils viennent de remettre à Benkirane. Désormais, la balle est donc dans le camp de celui-ci, le temps des promesses est révolu, il va falloir agir, surtout qu'il dispose de plus de visibilité sur les actions à mener... Point de vue Hicham El Moussaoui, Maître de conférence à l'université Sultan Moulay Slimane. Une vraie économie concurrentielle est une économie qui prend appui sur trois piliers : liberté de choix, droits de propriété et concurrence. Le premier signifie que les agents économiques doivent être en mesure de produire et de consommer sans restrictions ou contraintes, autre que leur budget, conformément à leurs besoins et préférences. Le deuxième pilier implique que pour échanger, il faut être propriétaire et pour faciliter les échanges il faudrait que les propriétés des co-échangistes soient protégées et sécurisées. Il s'agit non seulement de protéger ses biens, mais aussi le fruit de son travail. Faute de quoi la méfiance s'installe et l'échange sera bloqué et l'effort productif découragé. Le troisième pilier implique que tous les acteurs soient libres d'intégrer ou de quitter le marché en question, que les prix soient libres pour guider correctement les choix des producteurs et des consommateurs, et que la transparence règne de même que les positions soient contestables, pour que le monopole ne soit pas une fatalité. Pour mettre en application ces trois principes fondateurs dans les économies arabes et les amener sur le chemin de la compétitivité, à la lumière du contexte socioéconomique et politique actuel, il y a lieu d'instaurer un état de droit, la libéralisation des prix, la mise en place de conditions institutionnelles permettant des privatisations réussies, l'élaboration de lois anti-trust et anti-rente, des lois de transparence budgétaire, notamment lorsqu'il s'agit des revenus pétroliers. Bref, sortir de l'économie de rente, signifie accroître la liberté économique en gérant de manière plus optimale la taille et le degré d'immixtion de l'Etat dans l'économie, une liberté en matière de capital et d'investissement, un système judiciaire indépendant et compétent, une politique monétaire saine et une règlementation intelligente des marchés du travail, du crédit et des affaires. Le commerce mondial en mauvaise passe, selon l'OMC Pour l'élaboration de sa nouvelle stratégie commerciale et les leviers de croissance permettant de renforcer l'offre exportable marocaine, le gouvernement a intérêt à prendre en compte l'évolution du commerce mondial. Celui-ci traverse en effet une mauvaise passe ces dernières années et la tendance risque de se maintenir pour quelques années encore. C'est en tous cas l'alerte que vient de donner l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans une note qu'elle vient de publier vendredi dernier, l'OMC a revu encore à la baisse, ses perspectives sur les échanges commerciaux mondiaux. Ces derniers ne progresseront que de 2,5% cette année, contre 3,7% selon les prévisions établies au mois d'avril. La principale raison de cette baisse est la poursuite du ralentissement constaté en Europe. Pour 2013, l'OMC anticipe des échanges commerciaux accrus de 4,5% alors qu'il y a quelques mois de cela, l'évolution était estimée à 5,6%. «La tendance est davantage à la baisse qu'à la hausse», a constaté le directeur général de l'OMC, Pascal Lamy, lors d'une conférence de presse à Singapour. Principalement pour les pays développés, l'OMC prévoit une croissance des exportations de l'ordre de 1,5 et de 3,5% pour les pays en voie de développement, une hausse qui s'élèvera à 5,7% en 2013. La mondialisation va de ce fait connaître un certain ralentissement, car selon Pascal Lamy, «le bout du tunnel n'est pas pour demain». «Ce sera certainement beaucoup plus long et l'ensemble des pays de cette planète sont dans cette crise. Il n'y a pas un pays aujourd'hui dont on peut dire qu'il est immunisé contre cette crise globale», a alerté le directeur général de l'OMC.