Le rééquilibrage de la balance commerciale passe-t-il toujours par le développement des Métiers mondiaux du Maroc (MMM) ? Cette question se pose dans un contexte où les partenaires commerciaux du royaume ciblés dans le cadre de ses MMM, sont toujours empêtrés dans une crise dont la fin ne semble pas être pour demain. En tout cas, le gouvernement semble toujours y croire. Dans le plan d'action annoncé par l'Exécutif, l'accélération du rythme de développement de ces branches figure en effet en tête des priorités, devant permettre au Maroc de renforcer ses exportations. Or, il s'avère aujourd'hui que de par leur forte exposition à la conjoncture internationale, les métiers mondiaux du Maroc affichent aujourd'hui des performances mitigées. Selon les dernières données disponibles auprès de l'Office des changes, beaucoup de ces secteurs ont en effet vu leurs exportations chuter, parfois fortement comme c'est le cas du secteur électronique, dans un contexte où les carnets de commandes, principalement en provenance d'Europe, se font de plus en plus rares. Et les choses ne semblent pas prêtes de s'améliorer. Selon la dernière note de conjoncture de Bank Al-Maghrib, quasiment toutes les branches de l'industrie marocaine, y compris les secteurs dits mondiaux, anticipent une poursuite de la baisse des carnets de commandes à court terme. Hormis l'automobile et l'aéronautique, les perspectives semblent donc des plus floues pour les autres métiers mondiaux, tant que la visibilité manque sur le redressement des économies partenaires. Faut-il donc toujours autant miser sur le développement de ces métiers ? Doit-on aujourd'hui revoir la copie et décider d'une nouvelle stratégie pour développer ces métiers ? Pour l'Exécutif, c'est principalement l'accélération des chantiers du plan Emergence qui est aujourd'hui présentée comme remède. D'ailleurs, il est attendu que la prochaine loi de finances inclue des mesures dans ce sens, comme ce fut précisé dans la lettre de cadrage du projet. Cette démarche avait même été recommandée par le gouverneur de la Banque centrale dans son discours devant le souverain en août dernier. Selon Abdellatif Jouahri, il faudrait accélérer les chantiers relatifs à ces métiers mondiaux, afin que le Maroc puisse optimiser les bénéfices que son économie peut tirer d'une intégration accrue dans son environnement. Ceci dit, cette accélération ne serait pas suffisante à elle seule pour redresser la barre des exportations. Il faudrait en effet, selon Jouahri, faire «émerger de nouveaux secteurs à haute intensité technologique et à forte valeur ajoutée, tout en diversifiant les marchés d'exportation, à travers la mise en œuvre d'une stratégie favorisant les flux vers les pays émergents et en développement les plus dynamiques, notamment africains». En d'autres termes, le développement des métiers mondiaux du Maroc, l'un des principaux objectifs du plan Emergence, doit désormais être accompagné d'une attention particulière, portée sur le renforcement de la valeur ajoutée des produits exportés. Toutefois, certains secteurs ont d'ores et déjà intégré cette donne et ont entamé cette transformation, à l'image du secteur aéronautique (voir point de vue), ou encore du secteur de l'électronique, qui souhaiterait développer ses propres produits pour ne plus rester dépendant des donneurs d'ordres. L'Exécutif est donc appelé à inciter les autres branches à en faire de même. Concernant la diversification des marchés, bien que le gouvernement (actuel comme celui d'avant) a, à plusieurs reprises, insisté sur sa volonté d'ouvrir son économie à de nouveaux marchés plus prometteurs, force est de constater qu'à ce jour, les secteurs dits mondiaux du royaume peinent encore à se défaire des liens historiques avec les marchés européens, où la sortie de crise est toujours incertaine. «Une autre limite à l'expansion des exportations est la prédominance de l'Union européenne comme principal marché et la forte concentration de l'offre exportable sur un nombre limité de produits à faible valeur ajoutée», reconnaît d'ailleurs le gouverneur de la Banque centrale. Certes, l'Afrique est aujourd'hui présentée comme étant le relais de croissance idéal. Néanmoins, après plus de trois ans que cet intérêt pour le continent s'est manifesté, le Maroc n'arrive toujours pas à percer dans la carte des marchés d'exportations, alors que d'autres mastodontes comme la Chine, s'y sont déjà frayés un chemin. En attendant donc de voir que peuvent être les mesures de l'Exécutif pour répondre à ces problématiques, les chiffres continuent d'afficher des tendances opposées pour les métiers mondiaux du Maroc. D'un côté, l'aéronautique et l'automobile poursuivent leur croissance à deux chiffres, portés entre autres, par l'intérêt affiché par les géants mondiaux de ces secteurs. D'un autre côté, les secteurs de l'électronique, du textile ou encore de l'agroalimentaire paient aujourd'hui le prix de leurs relations fortes avec les marchés européens. Crise Palpable Agroalimentaire performances en dents de scie Constituant le plus gros des exportations alimentaires du Maroc, l'agroalimentaire semble marquer le pas en cette année 2012. Bien que, durant le deuxième trimestre 2012, le secteur a fait partie des rares secteurs de la transformation qui a vu ses revenus à l'export se maintenir (hausse de 1,2%), force est de souligner que, selon les données de l'Office des changes, les exportations alimentaires n'ont rapporté que 16,2 MMDH sur le cumul des sept premiers mois de l'année, contre 16,4 milliards à la même période de l'année écoulée. Cette baisse intègre, d'après la même source, le repli des ventes de légumes frais, congelés ou en saumure (soit -34,4%), ou encore de farine et de poudre de poissons (-26,2%). Seules certaines conserves de produits de la mer ont pu soutenir les exportations agroalimentaires du Maroc. Dans ce contexte, les produits alimentaires ont occupé à fin juillet 2012, le troisième rang parmi les groupes de produits à l'exportation, avec 15,1 contre 16,1% une année auparavant. Par ailleurs, selon les professionnels du secteur, l'agro-industrie nationale continue de souffrir de l'absence d'accès aux intrants en quantité et en qualité satisfaisante, ainsi qu'à un prix équivalent aux cours mondiaux. Cette situation engendre un déficit de compétitivité face à des produits finis qui entrent sans payer de droits de douanes, à travers des accords de libre-échanges notamment, mais pénalise également les opérateurs nationaux face aux concurrents sur les marchés internationaux. Automobile Ça roule L'automobile est en marche pour donner l'exemple aux autres métiers mondiaux du Maroc. Avec l'aéronautique, ce secteur semble en effet méconnaître la crise. Contribuant déjà fortement aux flux d'investissements étrangers, le secteur automobile affiche l'une des meilleures formes des secteurs exportateurs nationaux. Ainsi, selon les données de l'Office des changes, les exportations du secteur automobile ont affiché à fin juillet 2012 une variation positive de 11% pour un volume d'exportations de l'ordre de 15 MMDH contre 13 MMDH enregistrés à fin juillet 2011. Certes, comparativement au secteur de l'aéronautique qui croît de 28%, l'automobile semble en effet tourner moins vite. Cependant, il faut souligner que la hausse de 11% vient après le bond de 40% marqué par le secteur en juillet 2011, ce qui rend l'évolution des sept premiers mois de 2012 des plus intéressantes. De plus, économistes, observateurs et opérateurs s'accordent aujourd'hui à dire que le meilleur est encore à venir, avec notamment la montée en puissance de l'usine de Renault à Tanger et, éventuellement, la concrétisation des rumeurs d'installation d'un deuxième grand constructeur au Maroc. En tout, il est attendu qu'à terme, le secteur double son chiffre d'affaires à l'export. Aéronautique Cap maintenu De tous les secteurs mondiaux de l'industrie marocaine, celui de l'aéronautique se positionne clairement comme celui ayant réussi à se maintenir en forme en dépit des aléas conjoncturels. Selon les données de l'Office des changes, les exportations du secteur ont atteint 4,12 MMDH au terme des sept premiers mois de l'année, afficha nt une hausse de 28% comparativement à l'année écoulée. Le secteur a donc pu accélérer le rythme de croissance de ses exportations même si en juillet 2010, il affichait déjà une progression de plus de 22%. Grâce à cette performance, le secteur parvient à signer une croissance importante à l'image du secteur automobile, et devançant même le secteur électronique. Selon les professionnels du secteur, ce dernier a pu bénéficier d'un triple effet positif, à savoir une hausse des carnets de commandes, une meilleure compétitivité des industriels nationaux et la qualité de la main d'œuvre jugée de plus en plus qualifiée. Néanmoins, notons que l'annonce de certains grands constructeurs, comme Bombardier, a eu un effet de promotion pour ce secteur, qui est appelé à devenir dans le futur l'une des principales locomotives de l'industrie exportatrice nationale. Textile l'Europe déchire le secteur Décidément, le secteur du textile peine toujours à redresser la barre. À l'exception des rares éclaircies enregistrées durant le mois de janvier et celles de mars, le secteur affiche en effet des baisses continues de son chiffre d'affaires à l'export depuis le début de l'année. Le secteur devrait continuer à afficher la même tendance à court terme, puisque la dernière enquête de conjoncture de la Banque centrale a fait ressortir un retournement de tendance au niveau des commandes reçues durant le mois de juillet, où la baisse aurait atteint 9%. Toutefois, cette baisse trouve principalement son explication dans le marché européen où le Maroc affiche, à fin juillet, une baisse de ses exportations sur l'ensemble des pays, à l'exception du Portugal où les exportations d'articles de bonneterie ont pu maintenir leur rythme de croissance. Ceci n'a cependant pas empêché le secteur d'accuser une baisse de 5,6% de ses exportations vers l'Europe. Au total, le secteur aura généré au titre de sept premier mois, 17,5 MMDH, contre plus de 18,1 milliards sur la même période de 2011. Electronique une année difficile L'électronique est au plus mal. C'est du moins ce que l'on déduit des réalisations à l'export du secteur. Les exportations des opérateurs nationaux sont en effet en chute libre cette année, totalisant à fin juillet un chiffre d'affaires de 3,5 milliards de DH, soit en baisse de 14% comparativement à la même période de 2011. C'est principalement le mois de juillet qui a fait mal au secteur. Selon les données rapportées par le ministère de l'Industrie, juillet est incontestablement le mois catastrophe pour les opérateurs, qui ont accusé une baisse de plus de 30% de leurs revenus à l'export. Pis encore, selon la banque centrale, le secteur ferait également partie des industries qui anticipent une baisse de leur activité à court terme. Notons que c'est principalement le repli des exportations des composantes électroniques qui tire vers le bas le secteur électronique. Cette situation pousse aujourd'hui les professionnels à revoir leur modèle. Selon la FENELEC, le défis pour «le secteur est de sortir de la sous-traitance et de passer vers des solutions plus élaborées». Les professionnels espèrent en effet ne plus rester dépendants de donneurs d'ordres et devenir concepteurs de produits propres et de les proposer comme des produits finis aux acheteurs potentiels. C'est donc toute une transformation qu'espère opérer la profession pour remettre le secteur sur les rails. Offshoring refonte en vue Avec 7,6 milliards de DH de chiffre d'affaires en 2011, l'offshoring a souvent été présenté comme le secteur le plus abouti du plan de développement des métiers mondiaux du Maroc. Cela n'empêche pas que les retombées de la crise internationale sur le Maroc ou encore les critiques adressées par certains politiques français à la délocalisation au Maroc, sont aujourd'hui des menaces qui pèsent par leur spectre sur le secteur de l'offshoring. Aujourd'hui, certaines branches de cette activité tentent de se réadapter à la nouvelle donne. «Des décisions vont bientôt être prises pour enclencher une refonte complète de la stratégie offshore, en collaboration avec le ministère de l'Industrie, du commerce et des nouvelles technologies», avait récemment annoncé Mohamed Lakhlifi, président de l'APEBI. Cette annonce a été immédiatement reprise par le ministre de tutelle, Abdelkader Aâmara. Ce dernier a ainsi souligné que «la redéfinition d'une nouvelle stratégie offshore nous permettra de présenter à nos principaux partenaires une offre adaptée au contexte de crise». Point de vue Hamid Benbrahim El Andaloussi, Président du Groupement des industriels marocains aéronautique et spatial (GIMAS). L'aéronautique évolue très bien et nous sommes actuellement sur une croissance de 28%. Cette performance s'explique principalement par trois facteurs. Le premier est que le secteur de l'aéronautique marocain est aujourd'hui reconnu mondialement et reste très compétitif. Ensuite, c'est toute la conjoncture internationale qui est favorable au développement du secteur, grâce notamment à la forte demande émanant de plusieurs pays tels que ceux des BRIC. Enfin, il y a ces nouveaux programmes lancés par les grands constructeurs mondiaux comme Boeing et Airbus visant notamment la remotorisation. À tout ceci, il faut ajouter la qualité de la formation. Pour tout secteur exportateur, la qualité des ressources humaines est un enjeu majeur. Or, nous avons la chance de disposer d'un centre de formation spécialisé, géré par les professionnels eux-mêmes, qui nous permet de disposer de RH qualifiées. De surcroît, il faut savoir que le secteur s'inscrit dans une nouvelle stratégie. D'un côté, il tente d'accéder à de nouvelles industries, notamment les activités connexes comme le spatial, la défense, l'électronique embarquée ou encore les matériaux composites. D'un autre coté, ce sont de nouveaux marchés qui sont aujourd'hui ciblés, notamment le Canada et l'Allemagne. À ce titre, la récente annonce par Bombardier de son installation au Maroc est un signe fort qui confirme la réussite de cette stratégie.