Le gouvernement prend enfin les choses en main et décide de s'attaquer au fond du problème de l'économie marocaine. Désormais, on peut en effet s'attendre à plus de rigueur en matière de défense commerciale, en vue de limiter le renchérissement de la facture des importations. C'est ce qu'a annoncé le chef de gouvernement, pour qui «la préservation des avoirs extérieurs de manière pérenne, passe par la maîtrise de la croissance des importations». Dans ce sens, il est ainsi prévu que le Maroc mette comme mot d'ordre à son action pour préserver les réserves, la consolidation des mesures de défense commerciale, permettant de mettre un terme au creusement du déficit de la balance commerciale, qui atteint aujourd'hui les 70 MMDH. Il faut dire que ce n'est finalement pas une grande surprise puisque, ces derniers mois, le gouvernement avait déjà envoyé des signaux forts dans ce sens. En effet, l'Exécutif, via le ministère de l'Industrie et du commerce, s'était déjà prononcé favorablement en août dernier sur les demandes du secteur du bois, en appliquant un droit antidumping définitif de 25% sur 5 ans, pour le contre-plaqué en provenance de Chine. Une autre annonce faite quelques semaines auparavant a, pour sa part, concerné les importations de PVC. C'est surtout cette dernière qui a marqué le véritable tournant dans la position de la tutelle contre l'alourdissement des importations, puisque les réclamations dataient à ce niveau depuis plusieurs années déjà, notamment de la part de la SNEP, mais la tutelle n'estimait par les motifs suffisants pour ouvrir une enquête. Le gouvernement a finalement décidé en juillet dernier d'imposer une déclaration préalable aux importations de PVC en provenance des Etats-Unis. C'est dire le message envoyé par l'Etat marocain, lequel a souvent été critiqué pour avoir ouvert ses marchés, via les accords de libre-échange, sans pour autant se soucier de ce qu'adviendront les opérateurs nationaux. Que peut-on alors attendre concrètement de l'annonce faite par le gouvernement Benkirane ? Comment le Maroc peut-il limiter ses importations, alors qu'il est tenu par des engagements de l'OMC, ainsi que par les clauses des différents ALE qu'il a conclus ? Vigilance Tout d'abord, notons que le chef de gouvernement, dans la lettre d'orientation de la future loi de finances, précise que les mesures à prendre, le seront «dans le respect des principes de l'OMC». En d'autres termes, il ne s'agira pas par exemple, de prendre des mesures aléatoires, afin de limiter le renchérissement de la facture des importations, mais en s'assurant au préalable que le secteur concerné est effectivement lésé par les importations massives. Ensuite, force est de constater qu'avec le démantèlement douanier avec l'Europe, en vigueur depuis mars dernier, les autres accords de libre-échange avec les Etats-Unis ou autres, les barrières douanières ne peuvent être envisagées que dans le cas de produits non encadrés par ces accords et étant moins significatifs en termes de volume et de valeur. Que reste-t-il donc comme mesures à prendre ? Contrats-programmes nécessaires Pour les opérateurs économiques, le Maroc pourrait imposer des normes spécifiques de qualité pour certains produits, au risque de voir les pays destinataires des exportations marocaines, s'inscrire dans la même logique. Sur ce dernier point, l'industrie marocaine exportatrice semble d'ailleurs déjà être mise à rude épreuve. «Les pays du sud de l'Europe par exemple, de par les barrières non tarifaires mises en place et le dumping exercé, rendent les possibilités d'échange et la compétition réellement asymétriques», témoigne-t-on auprès de l'association nationale des sidérurgistes. Le fait d'appliquer des normes aux produits importés pourrait pousser les autres pays à en faire de même, ce qui risquerait de léser les exportateurs nationaux et de rendre finalement inutile cette mesure, vu que l'objectif de réduction du déficit de la balance commerciale ne sera pas atteint. En outre, pour résoudre la problématique des réserves, il faut également s'intéresser à la compétitivité des entreprises marocaines, comme solution pour équilibrer la balance commerciale. Face à de nouvelles normes strictes que pourraient imposer des partenaires étrangers, il faudrait en effet que les entreprises nationales puissent suivre. Or, sans un véritable soutien de l'Etat cela reste difficile. L'Exécutif semble d'ailleurs en avoir conscience, en voulant miser sur l'accélération des stratégies sectorielles et la conclusion de nouveaux contrats-programmes, en vue de relever la compétitivité des entreprises marocaines, notamment celles opérant dans l'industrie. «L'expérience a démontré que les pays qui ont le plus résisté en ces temps, étaient ceux qui disposaient d'un tissu industriel compétitif», confiait il y a quelques semaines Nizar Baraka, ministre de l'Economie et des finances. Ce dernier assure dans ce sens que le soutien à la compétitivité des entreprises devrait être, avec l'emploi, les maître-mots de la loi de finances 2013 dont le projet est encore en gestation. Contrôle Par ailleurs, il est clair que la mise en œuvre des mesures de défense commerciale, aussi rigoureuses soient-elles, ne suffisent pas à elles seules à assurer une meilleure résistance du tissu productif national. En témoigne le cas des deux industries que sont le bois et papier et la plasturgie. Pour le premier, rappelons que les opérateurs se plaignent depuis plusieurs années de «concurrence déloyale et de sous-facturation». En cause, les importations en provenance des pays signataires de l'accord quadra. Même son de cloche auprès des plasturgistes. «Ce qu'il faut, c'est un meilleur contrôle des produits finis pour lutter contre la sous-facturation et le trafic d'origine des produits», souligne à propos de cette question Mamoune Marrakchi, président de la Fédération de plasturgie. Dans cette industrie, ce ne sont pas en effet des mesures de défense commerciale qui sont demandées, mais plutôt un meilleur contrôle vu les constats établis par les opérateurs nationaux, sont de plus en plus concurrencés par des produits importés d'Europe (et bénéficiant donc du démantèlement), alors qu'à l'origine, ils sont produits ailleurs. C'est dire que les problématiques en matière d'importations ne manquent pas et que pour y remédier, le gouvernement devra s'armer d'autres recettes que la défense commerciale. Point de vue Fouad Benzakour, Président de Association professionnelle des industries céramiques (APIC). Nous avons toujours attiré l'attention des pouvoirs publics sur la gravité du développement sans limite des importations, au détriment de la notre balance commerciale est trop déséquilibrée. Les réserves en devises s'amenuisent, avec des conséquences désastreuses sur notre économie, voire même la menace de retour à un plan d'ajustement structurel, qui nous serait imposé par les instances financières internationales, si on a recours à l'utilisation de l'endettement extérieur. L'annonce par le gouvernement de la mise en place de mesures de défense commerciale est la bienvenue, mais encore, faut-il que l'application de telles mesures soit rapide et facile à déployer sur le terrain. En attendant, l'industrie marocaine et l'industrie de la céramique en particulier souffrent de trois handicaps majeurs, à savoir le coût exorbitant des intrants (énergie, main d'oeuvre, transport, certaines matières premières, fiscalité,...), les procédures administratives compliquées et les accords de libre-échange signés à tort, avec des pays concurrents directs du Maroc qui bénéficient d'avantages colossaux. Egypte, Tunisie, Europe bénéficient, par exemple d'une énergie de cuisson céramique à prix dérisoire. Le prix du gaz est 40 fois plus cher au Maroc qu'en Egypte, 10 fois plus cher que l'Algérie et la Tunisie et 4 fois plus cher au Maroc qu'en Europe. Le coût de la main d'oeuvre est 4 fois plus cher au Maroc qu'en Chine ou en Egypte. Certains pays ont même procédé à plusieurs dévaluations de leur monnaie pour gagner en compétitivité et nous posent des problèmes sérieux : Egypte, Turquie et Chine....