On n'a pas fini de discuter de ce tsunami qui secoue la région du Moyen Orient, depuis que les événements de la Tunisie sont devenus, avec l'Egypte puis tant d'autres pays arabes, un vrai mouvement de l'histoire. Les observateurs ont été surpris par ces mouvements et leur mode opératoire. Beaucoup de choses ont été dites sur des révoltes sans leaders, menées par une jeunesse qu'on sous-estimait et qu'on assimilait un peu rapidement à une jeunesse hédoniste, qui s'amuse à tchatcher et à discuter de futilités sur les pages Facebook. Une jeunesse qu'on croyait coupée du monde des idées qui théorisent nécessairement les révolutions et planifient leur mise en œuvre. Ce sont pourtant ces jeunes, qui ont fait tomber deux régimes autocratiques des plus anciens de la région et font trembler beaucoup d'autres. Un journaliste a voulu piéger un des promoteurs de la marche du 20 février en lui demandant de citer les articles de la Constitution qu'ils remettent en cause. Bien évidemment, le jeune n'en avait aucune idée. Mais cette défaillance dans la connaissance, ne signifie pas pour autant que ces jeunes ne savent pas ce qu'ils veulent. Ils ont compris que le monde a changé et qu'il n'est plus nécessaire de se retirer dans le maquis, pendant des années pour prendre la capitale. Ce sont des «révolutionnaires» de l'Internet, un peu pressés mais gonflés par ce pouvoir soudain dont le monde virtuel les a dotés. Çe serait une erreur de s'en moquer. La vie des hommes et des sociétés, répond à un principe que la nature a inscrit dans ses lois fondamentales : être toujours le meilleur. Les bonnes conditions matérielles ne suffisent plus pour garantir une paix sociale. Finalement, très peu de revendications ont été sociales ou économiques lors de ces révoltes. Certains dirigeants arabes ne l'avaient pas compris. Le richissime Bahreïn est en train de nous le rappeler, lui qui avait distribué quelques jours avant les manifestations, 1.000 dollars à chaque famille. Le Maroc s'est inscrit depuis le milieu des années 90, dans la logique du mouvement. Avons-nous réussi ? Personne ne peut contester le fait qu'une dynamique est engagée. Mais il serait prétentieux de croire que nous avons atteint nos objectifs. Nous manquerions autrement d'ambition. Le résultat compte certainement mais moins que le principe du mouvement lui-même. L'envie de réussir les réformes pourrait absoudre, un tant soit peu, les erreurs de parcours. Car le mouvement impulsé est un signe évident de vie. Les révoltes n'ont d'autres ambitions que d'insuffler la vie dans un corps qui se putréfie par la stagnation. On ne bouscule jamais quelqu'un qui marche, au point de le faire tomber. On risque tout au plus de lui donner un coup d'accélération. Le fait qu'il ne soit pas en position stationnaire, lui permet justement de suivre le mouvement. Les lois de la physique démontrent qu'un corps en mouvement absorbe plus facilement les chocs qu'un corps inerte. C'est pourquoi la question de savoir si notre pays va résister à l'onde de choc, est aujourd'hui dépassée. Au lieu de craindre la vague, il faudrait plutôt l'appeler de nos vœux pour la chevaucher et être porté plus loin dans la direction que nous avions donnée à notre mouvement. Il est de ce point de vue dangereux de chercher à se soustraire au mouvement, en se cachant derrière notre spécificité pourtant réelle. Il faut au contraire se montrer réactif, réceptif des mouvements de l'histoire pour les adopter au lieu de les subir. Notre chance est que ce mouvement, nous l'avions initié et anticipé depuis longtemps. Mais il ne faut pas oublier que la question du rythme, a radicalement changé et si nos réformes pouvaient s'étaler sur des décennies, ce temps paraîtrait à cette jeunesse «pressée», une éternité. Nous sommes certainement différents des autres nations. La manifestation du 20 février nous a montré que les jeunes ont su gérer une revendication, qui n'aurait rien de particulier si elle ne se déroulait pas dans un contexte incertain, où d'autres pays connaissent des dérapages. Notre particularisme devrait nous donner plus d'assurance pour hâter le mouvement des réformes. Il faut croire que notre stabilité politique nous a poussé à engager les réformes économiques et sociales, en pensant que les réformes politiques pouvaient prendre leur temps. Il est désormais nécessaire de rééquilibrer notre marche pour que le politique ne reste pas à la traine. Les jeunes accrochés à leurs ordinateurs, ne s'amusent pas et ne nous laissent pas le temps d'injecter des réformes politiques à doses homéopathiques. Ils sont impatients et leur maturité conjuguée à notre stabilité, nous offrent une chance historique pour réussir dans ce domaine. Je pense que tout le monde l'a compris.