Le Maroc va-t-il finir par payer le plus lourd tribut du printemps arabe ? C'est ce que laissent entendre les estimations des principales institutions internationales, qui rejoignent à bien des égards les craintes soulevées par le Haut commissariat au plan (HCP) et le Centre marocain de conjoncture (CMC). Les prévisions de croissance pour l'économie nationale continuent à être revues à la baisse pour 2012 et 2013, même si pour l'année prochaine, la situation pourrait s'améliorer plus sensiblement. Dans la même période cependant, le Maroc risque de se faire rattraper par ses voisins directs à l'image de la Tunisie ou de l'Egypte. Si le Maroc continue d'afficher, à court terme en tout cas, les meilleurs niveaux de croissance de son PIB, le rythme de reprise dans ces pays qui ont le plus pâti des répercussions des évènements du printemps arabe est plus soutenu. Après le FMI et la Banque mondiale, c'est au tour de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), de revoir ses prévisions de croissance pour la région et principalement pour le Maroc. Dans un rapport qu'elle vient de publier mercredi sur les perspectives économiques régionales, l'institution européenne a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour le royaume. «Au Maroc, la BERD s'attend en 2012 à une croissance plus faible étant donné les liens étroits du Maroc avec la zone euro», notent les auteurs du rapport qui font également remarquer que «la progression du PIB réel n'a été que de 2,8% au premier trimestre 2012, provoquant une aggravation du déficit courant pour cette même période de l'année». Selon les prévisions de la BERD, la croissance du PIB national a été ramenée à 2,4% en 2012 contre 3,5% auparavant et pour 2013, une correction négative de 0,2 point a été effectuée, puisque la prévision de croissance est estimée à 4,1% contre 4,3 au mois de mai. Ces révisions de la croissance, qui tiennent compte de l'évolution des indicateurs économiques au plan national sur le premier semestre, n'apportent rien de nouveau, si ce n'est qu'elles rejoignent les hypothèses déjà formulées par les autres institutions nationales et internationales. Dans son rapport, la BERD s'est également penchée sur la situation au niveau des autres pays voisins comme la Tunisie ou l'Egypte. Si pour ce dernier pays, la situation reste tout aussi critique qu'au plus fort moment de l'année 2011, en Tunisie, la situation semble s'apprécier ces derniers mois. Dans l'ensemble, et selon les estimations de la BERD, la situation au sud de la Méditerranée, nouveau terrain d'opérations de la banque européenne, reste assez critique. «Les pays du Sud et de l'Est du bassin méditerranéen dans lesquels la BERD projette d'investir cette année demeurent confrontés à de graves difficultés macro-économiques, dans un climat d'incertitude croissante», constate le rapport. Incertitudes économiques Le Maroc n'est donc pas le seul pays où les clignotants sont toujours au rouge. Il faut dire que les quatre pays d'intervention de la BERD au sud de la Méditerranée (Maroc, Egypte, Tunisie et Jordanie), continuent à pâtir des incertitudes liées au printemps arabe. «Les économies des quatre pays d'intervention de la BERD au sud de la Méditerranée ont souffert du recul du tourisme, des Investissements directs étrangers (IDE) et des échanges commerciaux et les investisseurs ont opté pour l'attentisme, du moins à court terme». Les auteurs du rapport ont ainsi estimé que l'ensemble des pays de la région d'opération de la BERD vont connaître en 2012 et 2013 une croissance plus faible que prévu en mai. D'une manière générale, la région continue de souffrir de la crise de la zone euro. S'agissant de la croissance économique dans la région du Sud et de l'Est de la Méditerranée (SEMED), «elle est restée généralement très faible». Selon la BERD, «tous les pays de la région SEMED ont accru les dépenses publiques au chapitre de prestations sociales et de subventions face aux pressions sociales, ce qui a contribué à creuser les déficits budgétaires de manière générale». L'emploi reste un problème chronique dans les quatre pays concernés, en particulier chez les jeunes, souligne le document, qui avertit par la même occasion que «la solution à ce problème est susceptible d'être prolongée à la lumière de l'activité économique modérée». Panaroma régional En plus de la situation économique du Maroc, la BERD s'est intéressée à celle des autres pays où elle intervient. Ce panorama illustre certes la situation encore alarmante pour la région, mais permet également de mesurer le niveau de reprise dans ces pays concurrents directs du Maroc. Dans l'ensemble, le Maroc continue à tirer son épingle du jeu en affichant les meilleurs scores en termes de niveau de croissance du PIB, même si le rythme de reprise joue contre le royaume. C'est un signal de mauvaise augure pour le Maroc qui a jusque-là tablé sur «l'exception marocaine», en référence à une année 2011 assez calme pour le pays, contrairement aux autres pays de la région qui ont connu des soulèvements populaires ayant beaucoup et durablement iinflué sur leur économie. Cela suppose que le Maroc n'a pas encore su profiter de cette opportunité pour accélérer son rythme de croissance, alors que la crise en Europe persiste toujours, faisant craindre de mauvais lendemains pour l'économie nationale, surtout à présent que la concurrence est de retour. Indicateurs économiques en trompe l'œil ? L'embellie qui caractérise l'économie tunisienne peut s'interpréter de plusieurs manières. Si elle constitue un exploit au vu de la situation économique du pays une année auparavant, la croissance en flèche constatée au niveau de certains secteurs (IDE ou tourisme), peut être relativisée justement au regard de son niveau de 2011, une année à tout point de vue catastrophique. Au Maroc par contre, la mauvaise campagne agricole peut expliquer, en partie, la mauvaise contre-performance de 2012, vu l'impact du PIB agricole dans la croissance économique globale. Dans l'ensemble, la situation dans la région, principalement les pays d'intervention de la BERD, reste assez alarmante. Cependant, tous les pays sont en train de multiplier les initiatives pour sortir de cette conjoncture dès 2013. À ce jeu, c'est le Maroc qui continue d'afficher les meilleurs scores, même si son rythme de croissance paraît le moins rapide. En Egypte par exemple, la BERD fait remarquer que l'économie du pays continue de souffrir «des faiblesses dans les secteurs du transport, de l'industrie manufacturière, alors que les IDE n'ont pas encore totalement repris et que le pays reste dans une position extérieure précaire». Dans tous les cas de figure, la situation politique dans ces pays reste assez tendue, puisque la transition politique reste toujours inachevée. Un contexte qui risque d'impacter aussi le Maroc, puisque selon certains analystes, les investisseurs ont tendance à faire «une lecture globale de tous les pays de la région».