«Une fuite en avant du Chef du gouvernement» pour l'opposition et «une privation de mon droit de m'adresser au peuple marocain» selon Benkirane ! Mardi à la seconde Chambre pour son premier oral devant les conseillers, c'est à un véritable coup de théâtre que se sont livrés gouvernement et opposition. Alors qu'il était très attendu à l'hémicycle, Benkirane, n'a eu qu'un peu plus de 20 minutes en fin de séance pour s'expliquer avant que la séance ne soit ajournée pour une simple question de procédure relative au temps de parole. À défaut de pouvoir situer les responsabilités de chacun dans cette comédie de mauvais goût, le peuple marocain a raté l'occasion d'en savoir un peu plus sur les principales motivations qui ont conduit le gouvernement à augmenter les prix du carburant, deux jours plus tôt. «Ce qui s'est passé nous impose de présenter des excuses au peuple, le Parlement n'est ni la propriété des députés ni celle du gouvernement pour agir de telle sorte», a noté Abdellatif Ouammou, le président de l'alliance socialiste à la Chambre des conseillers. D'ailleurs, la conclusion générale qui s'est dégagée de la part des partis de l'opposition était «une grande déception». Un sentiment qui se comprend, aisément, l'opposition dans la première Chambre détenant la majorité au sein de la seconde. «Le président du gouvernement voulait la moitié du temps de parole, soit plus de deux heures, afin qu'il puisse faire un discours au lieu de répondre à des questions précises. C'est une logique inversée qui ne peut être acceptée par les conseillers», se justifie Hakim Benchamasse, le président du groupe parlementaire du PAM. Au cours des débats, il était clair que le courant ne passait pratiquement plus entre la Chambre des conseillers et le gouvernement. L'ajournement de la séance mensuelle des questions auxquelles Benkirane doit répondre directement a été décidé suite à une réunion en urgence du bureau de la 2e Chambre, la 8e en trois jours. Les «sages» de l'instance présidée par Mohamed Cheikh Biadiallah n'ont pu imposer leurs conditions et ont dû accepter de reporter la discussion à la fois sur la répartition du temps et sur l'ordre du jour de la séance. Rattrapage Ce qui est sûr, face à l'assaut des représentants des centrales syndicales ainsi que du patronat, qui constitue une redoutable machine politique au sein de la seconde Chambre, c'est que Benkirane peut estimer l'avoir échappé belle. «Nous nous sommes attendus à des explications convaincantes du président du gouvernement sur l'impact de la hausse des hydrocarbures sur les ménages au moment où les rumeurs sont des plus pesantes» déplore Abdelilah Khalouti, le président du groupe syndical de l'UNTM. La question, pourtant non inscrite à l'agenda officiel des débats, qui a été rendue publique le même jour, a en effet occulté tous les autres sujets du jour. Sauf que pour le Chef de gouvernement, le répit risque d'être de courte durée puisqu'en attendant le recours à l'arbitrage de la Cour constitutionnelle et un probable retour du Chef de gouvernement, la contestation risque d'enfler ailleurs. Les syndicats et les professionnels du secteur des transports sont en tout cas sur le qui-vive, refusant d'avaler la couleuvre. Un temps que compte, visiblement, mettre Benkirane à profit pour rectifier le tir de cette procédure assez «brutale et surprenante pour une si grande décision». D'ailleurs, lui-même n'a pas pu cacher «sa profonde désolation». «J'ai opté pour la Chambre des conseillers et non pour les médias publics pour pouvoir m'exprimer sur la hausse de l'essence et du gasoil. Il est inimaginable que je rate une telle occasion», a avancé Benkirane pour réfuter les accusations de l'opposition de blocage de la séance. Ce qui est sûr, sur cette question, c'est que le gouvernement a mal négocié sa communication comme le souligne plusieurs opérateurs. Les explications auraient dû venir, en amont, de l'annonce de cette décision pour impliquer tous les acteurs et prévoir les mesures d'accompagnement. Il y a fort à parier que, durant les prochains jours, Benkirane se lance dans une séance de rattrapage à travers d'autres canaux. Histoire de désamorcer la bombe... Dixit Ce qui s'est passé résume le désaccord entre majorité et opposition. Les hausses décidées par le gouvernement ne répondent nullement aux aspirations des Marocains, qui ne peuvent être défendus. Nous aurons une autre occasion pour en découdre avec le Chef du gouvernement. Abdelmalek Feryate, Président du groupe syndical fédéral. Effectivement, nous n'avons pas été au rendez-vous. Malgré ce qui s'est passé, le débat n'a pas été stérile et c'est la sagesse qui a pu l'emporter. Il fallait gérer les questions litigieuses avant la séance et nous sommes favorables à un arbitrage de la Cour constitutionnelle. Mohamed El Ansari, Président du groupe de l'Istiqlal. L'accouchement de cette séance a été difficile. Cinq réunions des présidents des groupes et 4 autres tenues au sein du bureau n'ont pu aboutir à une solution qui soit acceptée par tous. Mohamed Cheikh Biadillah, Président de la Chambre des conseillers. Il faut que l'opinion publique sache qu'il n' y a pas eu un blocage prémédité de cette séance. La preuve de la bonne foi des Conseillers s'est confirmée lors du vote de la loi des finances. La parité entre Benkirane et les Conseillers reste inacceptable. Driss Radi, Président du groupe de l'UC. Les Conseillers digèrent mal le fait de vider une séance constitutionnelle de sa substance. Nous sommes prêts à tout accepter sauf l'absence d'un contrôle réel sur le gouvernement. Abdellatif Ouammou, Le président de l'Alliance socialiste. Point de vue : El Habib Choubani, ministre chargé des Relations avec le Parlement et la société civile Nous avons assisté à un moment fort de la mauvaise gestion participative qui ne prend pas en compte la nature de la période transitoire, précisément de la Chambre des conseillers. Nous avons souhaité que la séance se déroule de manière normale, mais nous avons buté sur une logique qui est difficile à défendre constitutionnellement. Après de multiples réunions, j'ai tout fait pour que la réunion des présidents des groupes, qui est de nature technique ne soit pas utilisée pour mettre le gouvernement devant une impasse. Nous avons également proposé de procéder à une analogie pour les règles qui ont organisé la séance des questions mensuelles à la Chambre des représentants. L'opposition a malheureusement insisté à ce que ses partis aient plus de temps que le gouvernement, qui est resté attaché au principe de la parité.