Serait-ce le début de la «vraie» coopération ? Le chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, a entamé hier une visite de travail lourde d'enjeux auprès de son homologue tunisien, Hamadi Jebali. C'est la première rencontre officielle entre deux nouveaux hauts responsables des deux Etats, dans un contexte économique doublement singulier : l'après-Printemps arabe et la crise de la perte de vitesse économique du partenaire commun européen. Sur cette dernière particularité, un nouvel esprit de relations bilatérales semble émerger, si l'on en croit en tout cas les volontés affichées de part et d'autre... La mauvaise conjoncture européenne et internationale pousse en effet les deux principales économies de la région à revoir leur positionnement mutuel. Le choix n'y est plus. «Nous devons dépasser ce climat de concurrence qui bloque les échanges entre les deux pays. Du côté tunisien, par exemple, il existe beaucoup de volonté protectionniste, soit directe ou indirecte, vis-à-vis des pays de la région et du Maroc en particulier, tandis que l'ouverture économique est plus importante avec l'Europe. Je trouve cela illogique», nous confie Zakia Sekkat, ancienne responsable, pendant une bonne dizaine d'années, du Conseil d'affaires maroco-tunisien et qui en suit jusqu'à présent les principales évolutions. La rupture est donc très attendue par le monde des affaires. Auprès des politiques, le message semble être le même. «Il nous est devenu nécessaire d'adopter une position maghrébine commune permettant d'affronter la conjoncture économique internationale», déclarait à la presse, à la veille de l'arrivée de Benkirane, un membre du gouvernement tunisien. Presqu'au même moment, le comité de coopération douanière maroco-tunisienne examinait, à Tunis, les moyens de développer la coopération douanière entre les deux pays, ainsi que le suivi des accords commerciaux et douaniers conclus entre les deux parties. Cette réunion a également permis de se pencher sur l'application de la convention relative à l'accord bilatéral de libre-échange entre les deux économies, de l'accord d'Agadir et l'accord relatif à la grande zone arabe de libre-échange. Echanges timides Il faut dire que le niveau actuel de ces échanges est loin d'être enviable. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. En 2010, l'échéance statistique la plus récente qu'il nous ait été donnée de consulter, la présence des produits marocains sur le marché demeurait très limitée, voire inexistante. Cette présence est en effet caractérisée par la faiblesse des parts sur le marché tunisien, qui ne dépassent guère une moyenne de 1,5%. Pis, la valeur totale et annuelle de ces exportations a stagné pendant trois longues années -de 2007 à 2009- à un cumul de 700 MDH. Ce chiffre s'est ensuite légèrement hissé au dessus de la barre du milliard, mais demeure toujours insignifiant au vu du potentiel existant. Quant aux IDE, la progression est régulière depuis 2007, mais tout aussi hésitante. «D'autant plus que l'appréhension et la crainte, liées à l'instabilité politique qui a secoué ce pays, sont maintenant dépassées dans le monde des affaires marocain», explique Sekkat. Les dépenses IDE de la Tunisie au Maroc sont en effet passées de 6,4 MDH à quelque 16,1 MDH. L'autre enjeu de cette visite est lié aussi à l'urgence de concrétiser une intégration économique régionale -tant attendue- après les changements issus du Printemps arabe. Sur cette question aussi, sur une rhétorique fort diplomatique, les positions des officiels semblent s'accorder. Les politiques des deux pays parlent en effet d'«une volonté politique commune de faire avancer la coopération intermaghrébine, en coordination avec les autres pays de la région». L'objectif étant de faire renaître cet espace fédérateur, de lever les barrières et de réaliser l'intégration économique maghrébine dans le cadre d'une zone commune de libre-échange. Sur la promptitude du passage des discours aux actions, Zakia Sekkat se veut prudente. «Nous verrons bien si toute cette volonté sera traduite sur le terrain...» Fathi Ayachi, Conseiller économique à l'ambassade de Tunisie à Rabat Il est évident que cette visite du chef de gouvernement marocain en Tunisie est d'une importance particulière. C'est la première rencontre entre les deux chefs de gouvernement depuis les dernières élections. C'est une visite de concertation entre les deux pays, en prévision notamment de la prochaine grande commission mixte, prévue le 15 juin prochain à Rabat. Cette visite devrait donc déteindre sur le plan économique, notamment en termes d'exploitation des immenses opportunités inexploitées de part et d'autre, en matière d'échanges commerciaux et d'investissements entre les deux pays. Il faut savoir que malgré les énormes potentialités, les deux pays ne parviennent toujours pas à atteindre l'objectif -tout même modeste- de 500 millions de dollars en valeur d'échanges commerciaux, et ce, en dépit d'un cadre juridique riche et varié, incluant notamment des accords de libre échange. Vu la conjoncture internationale, les deux gouvernements sont bien conscients qu'il faudrait développer davantage les échanges entre les deux pays, mais également vis-à-vis des autres économies du continent africain, dans sa globalité. Dans un esprit de partenariat et de complémentarité, la Tunisie pourrait, par exemple, mettre à profit les entrées et les relations économiques privilégiées du Maroc avec certains pays d'Afrique subsaharienne, pour développer la coopération avec les pays du continent qui enregistrent une croissance soutenue depuis plusieurs années et constituent toujours un gisement de croissance pour les années à venir.