Avantage, patronat ! Si le dialogue social devait être un match de tennis, l'avantage semble d'ores et déjà être celui des opérateurs économiues, qui viennent de marquer un point dans le processus du dialogue social. En présentant ses conclusions hier au ministre de l'Emploi Abdelouahed Souhail, la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) balisait le terrain et posait en premier sa «stratégie de négociation». Dans cette nouvelle configuration, le gouvernement se transforme en arbitre de touche. C'est en somme ce qui pourrait bien être le nouveau rôle du gouvernement dans le tout nouvel échiquier du dialogue social et c'est clairement le costume que le patronat voudrait le voir endosser. «Le ministère de tutelle devra faire figure de régulateur en cas de blocages des négociations», explique le président sortant de la CGEM, Mohamed Horani. Si les négociations avaient jusque là connu de «bonnes avancées», selon le patronat, il n'en demeure pas moins que les points de discorde sont toujours là. De nombreuses problématiques persistent, à en croire les conclusions présentées hier au ministre de l'Emploi et de la formation professionnelle, Abdelouahed Souhail. Les sujets récurrents restent sans surprise, le droit de grève et l'augmentation du Smig. À ces deux sujets phares du dialogue, le patronat avance d'ores et déjà ses arguments implacables, en apparence : la règlementation du droit de grève serait une garantie indéniable pour les syndicats et l'augmentation du Smig ne tient qu'à la hausse de la productivité des employés. Il ne fait alors nul doute que ces problématiques sont les questions substantielles, voire traditionnelles de nombreux pays dans le monde, mais la particularité du contexte national leur confère une tout autre envergure. «C'est le sens de l'histoire que d'être conscient de la spécificité de la période que nous traversons», note Jamal Belahrach, président de la commission emploi à la CGEM. L'avènement du nouveau gouvernement, avec son lot de promesses en termes d'amélioration des conditions sociales le placent de facto dans un rôle que le patronat ne fait aujourd'hui qu'entériner. Face à ces nouvelles responsabilités rappelées une nouvelle fois, Abdelouahed Souhail se veut diplomate, en acceptant cette nouvelle mission et en s'engageant à «améliorer la législation du travail et à garantir un bon climat des affaires». C'est en ce point qu'il conviendrait alors de soulever la position délicate dans laquelle l'Exécutif se trouve aujourd'hui. «Nous n'excluons pas le gouvernement, mais nous voulons tout simplement qu'il joue pleinement son rôle de législateur», tempère Mohamed Horani. Nouvelle stratégie Après l'instauration d'un dialogue social direct entre patronat et syndicats, le gouvernement n'a donc plus sa place autour de la table des négociations et son retrait pour endosser le costume d'observateur est aujourd'hui délicatement requis. Plus concrètement, le patronat relève un certain nombre de priorités dans un plan de travail qui devrait s'étaler sur 3 ans. Dans ce calendrier, la CGEM place en tête la nécessité de légiférer sur le droit de grève, d'amender le Code du travail, de mettre en place l'indemnité pour la perte d'emploi (IPE) et de garantir la flexibilité du marché d travail. Jusque là, tout ceci relève des positions dites traditionnelles du patronat... Cependant, la nouveauté est à relever dans un tout autre registre : celui des Caisses de retraite. C'est sur ce point que la bataille sera vraisemblablement commune aux deux parties, à savoir syndiats et patronat, puisque tous deux persistent et signent sur l'urgence de réformer le système des retraites. Voilà un coup qui pourrait s'avérer bien dur pour le gouvernement, qui devra répondre à cette revendication cette fois ci «massive», pour ensuite voir émerger une autre revendication, cette fois ci spécifique au secteur privé et aux patrons, à savoir l'allègement de la fiscalité du travail. Avec toute cette charge de travail, le gouvernement aura vraisemblablement beaucoup à faire dans les prochains mois, et en attendant... syndicats et patronat discutent... «Compteurs à zéro» Les règles du jeu étant mises au clair, le travail peut alors commencer. Par ce bilan présenté hier, le patronat met en lumière un certain nombre d'objectifs qu'il se donne. Parmi ces «défis», la priorité sera vraisemblablement donnée au dialogue, pour «convaincre les syndicats que le progrès social ne pourrait se faire qu'en assurant un progrès économique pérenne». Voilà ce qui se pose en contradiction avec la démarche syndicale jusque-là adoptée par les différentes centrales. Pour parvenir à accorder leurs violons, les deux parties devront faire preuve de pédagogie. C'est dans ce sens que Jamal Belahrach préconise la formation d'un certain nombre de commissions mixtes. Pour le patronat, les prochaines étapes devront porter patronat et syndicats à discuter «seuls». Mieux encore, il se dit confiant au regard du caractère rassuré des syndicats dans un modèle de négociation bilatéral qui exclut le gouvernement. «Le fait d'avoir un dialogue direct épargne bien des blocages», se réjouit Mohamed Horani. Pour l'heure, le patronat semble vouloir bien quadriller le terrain pour adopter la technique du «Tous unis contre l'ennemi commun». Chaque détail est minutieusement pris en compte, pour trouver un maximum de points communs sur lesquels il sera possible de batailler. Le front de l'informel fait alors de fait partie de ces batailles qu'ils pourront livrer ensemble, mais il n'en demeure pas moins que le gap est bel est bien creusé. Les dissonances aujourd'hui mises en sourdine pourraient bien regagner de la voix. Les priorités n'étant pas les mêmes, il va falloir éviter les «sujets qui fâchent, pour passer à l'étape suivante, «identifier les parties prenantes aux commissions mixtes». Le mot de la fin aura été celui de Abdelouahed Souhail, qui use d'une expression révélatrice : «Les compteurs sont remis à zéro». Jamal Belahrach, président de la commission Emploi à la CGEM : «Le dialogue social est positif» Les Echos quotidien: Quel état des lieux le patronat dresse-t-il à l'issue de ces trois ans de dialogue social ? Jamal Belahrach : Aujourd'hui, après trois ans de dialogue, la confiance entre le patronat et les syndicats est installée. Il faut souligner que c'est quelque chose d'historique, tout simplement parce que nous avons organisé des rencontres relativement sincères, au cours desquelles nous avons abordé tous les sujets sans aucun tabou. Nous l'avons d'ailleurs démontré avec la convention de médiation sur le dialogue social, qui reste quelque chose de très innovant. Tous les syndicats ont signé pour pouvoir anticiper les mouvements de grève et les problèmes sociaux. De plus, toujours dans le concret, il convient de rappeler les différents rounds sociaux, durant lesquels encore une fois nous avons abordé tous les sujets et notamment le droit de grève et la liberté syndicale. Ce que nous pouvons réellement dire aujourd'hui est que le dialogue social est globalement positif ; et, mieux encore, que nous avons réussi à installer un dialogue social direct, à l'instar des grandes démocraties. En même temps, ceci devrait nous permettre de mettre sur orbite un modèle de démocratie sociale. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, cette démocratie sociale est nécessaire pour régler les problèmes économiques et sociaux. Sans cela, rien ne marchera dans le pays. Quels sont aujourd'hui véritablement les sujets épineux qui ressortent des discussions ? Les sujets sont clairs. Le droit de grève, indiscutable et non négociable pour le patronat marocain. La flexibilité du marché du travail, la réforme de la formation professionnelle, les amendements du code du travail, les régimes des retraites sont autant de problématiques qu'il va falloir soulever, mais surtout régler. Nous avons tous mis sur la table. Il faut aussi savoir que nous sommes conscients de la réticence des syndicats face à une règlementation du droit de grève, mais nous avons tenté de leur expliquer leur intérêt dans une nouvelle loi qui régirait les mouvements de grève pour donner finalement plus de poids aux syndicats dans l'entreprise. Tout cela revient finalement à dire qu'il va falloir faire preuve de beaucoup de pédagogie. Quelle place pour le gouvernement alors dans ces discussions ? L'Etat n'est pas un médiateur mais un régulateur, si jamais le dialogue social venait à connaître des blocages. Pour l'instant il ne bloque pas. Mais si c'était le cas, le gouvernement devrait prendre ses responsabilités, tout simplement parce qu'il jouit d'un pouvoir légitime et qu'il a été élu par une majorité de Marocains. Il a une légitimité populaire sans faille pour légiférer, pour établir un bon climat des affaires et assurer un bon flux des investisseurs, pour au final garantir un bon climat de paix. C'est le message que nous voulons faire passer aujourd'hui à l'Exécutif. Y a-t-il une vision à long terme pour achever le travail initié ? Pour ce qui est de notre vision à long terme, nous ne pouvons pas réellement en parler aujourd'hui, puisque nous devons attendre d'avoir un nouveau président de la CGEM. Nous verrons à ce moment-là ce que veut porter la nouvelle présidente, mais ce qui est sûr, c'est qu'elle capitalisera sur ce qui a été fait, pour une raison simple. Celle-ci repose sur la nouvelle vision que les syndicats ont aujourd'hui de la CGEM et c'est cette image que la nouvelle présidence voudra perpétuer dans l'avenir. La tutelle (le ministère de l'Emploi et de la formation professionnelle – n.d.l.r.), encourage d'ailleurs cette nouvelle approche, ce qui nous donne d'autant plus confiance en ce que nus avons initié jusque-là. Nous avons montré qu'un changement était possible.