Au lendemain du 1er-Mai, l'attention se porte aujourd'hui encore sur les conflits sociaux dans les entreprises et la manière de les gérer. Il faut dire que, aujourd'hui plus que jamais les PME sont attendues sur cette question, au vu du rythme ascendant dans lequel s'est inscrite l'évolution du nombre des grèves. S'il est souvent difficile de calculer le coût de ces interruptions dues aux conflits sociaux, l'on sait déjà que les entreprises marocaines, particulièrement les PME, ont dû subir la perte de près de 277.000 jours de travail en 2011, selon les données du ministre de l'Emploi et de la formation professionnelle. Ce qui, traduit en valeur, constitue un manque à gagner considérable, surtout pour des petites entreprises qui doivent faire face à d'autres problématiques entravant leur activité (impact du contexte économique, difficultés de financement...). Stroc Industrie, l'une des dernières PME à avoir été introduite en Bourse, est l'exemple type de ce que pourraît coûter un conflit social à une PME. En dépit d'un accroissement de 15% de son chiffre d'affaires en 2011, la société a en effet vu son résultat d'exploitation fléchir de plus de 46%, en raison des coûts engendrés par un conflit social. Le cas de cette PME, dont le potentiel de croissance est pourtant des plus avérés, n'est pas isolé. Roca, spécialiste espagnol de la fabrication de porcelaine sanitaire, a été confronté à un blocage de la production fin 2011 et qui lui aurait coûté plus de 40 MDH. Cela témoigne du coût non maîtrisable que peut engendrer un conflit social qui dégénère. D'où la nécessité pour les PME de recourir à des modes de gestion des conflits sociaux afin d'éviter pareille situation, car ce qui fait la différence entre les PME et les grandes entreprises qui arrivent à éviter de telles situations, c'est que ces dernières ont assimilé la composante syndicale (ou la représentativité des salariés) dans leur organisation. Pour les experts, il est temps de mettre fin à cette culture où le syndicaliste est celui qui gêne le processus de prise de décision, particulièrement dans les petites structures. Des gains sur toute la ligne Les gains qui découlent de l'autorisation de la mise en place de représentations syndicales sont considérables. D'abord, en toute logique, cela permet, dans certains cas, d'anticiper et de résoudre les conflits sociaux, ce qui évite à l'entreprise de subir les coûts d'éventuelles grèves qui pourraient naître de ces conflits. Le cas de Stroc Industrie aurait pu être plus désastreux, mais, parce que la société disposait déjà de cette structure, cela lui a permis de résoudre les conflits dans de brefs délais. Au niveau du Code de travail d'ailleurs, il est prévu des mesures de gestion des conflits sociaux en interne, exigeant la reconnaissance et le renforcement de la liberté syndicale au sein de l'entreprise. Le gouvernement en place prévoit même des mesures à même de contribuer au renforcement de la culture syndicale. Seul hic : le texte tel qu'il est conçu aujourd'hui ne prévoit de mesures spécifiques que pour les entreprises de taille considérable (avec un nombre de salariés important). Du coup, nombre de PME restent exclues des exigences réglementaires. «Pas plus de 10% des PME ne disposent aujourd'hui de bureaux syndicaux permettant aux dirigeants d'avoir des interlocuteurs pour discuter des problématiques sociales», confie Essaïd Bilal, directeur général du cabinet Diorh. L'autre impact positif de la mise en place de représentations syndicales, c'est que toute la chaîne économique s'en voit consolidée, de la compétitivité à la productivité et la croissance. «Dans certains cas, même quand le patron de l'entreprise est prédisposé à discuter en cas de conflit sociaux, il ne trouve pas d'interlocuteur unique à même de représenter les salariés», déplore par ailleurs Jamal Belahrach, président de la commission Emploi au sein de la CGEM. Indéniablement, il vaut donc mieux disposer de représentants syndicaux au sein de l'entreprise en cas de conflits sociaux plutôt que de devoir engager des négociations avec tout le personnel. Cela est d'autant plus opportun que, dans le cas où les conflits sociaux ne peuvent être résolus en interne, disposer d'un interlocuteur syndical permet aujourd'hui de recourir à des modes alternatifs de résolution des conflits. Il s'agit notamment de la médiation et de l'arbitrage qui permettent à l'entreprise d'éviter le recours à l'Etat ni à la justice pour des procédures qui pourraient s'avérer trop lentes et coûteuses. La CGEM trace le terrain La récente conclusion de conventions de partenariat, entre le patronat et les syndicats, s'inscrit parfaitement dans ce cadre. «Il faut que l'Etat ne soit plus impliqué dans les conflits entre employeurs et salariés. On ne peut que se réjouir de l'accord entre la CGEM et les syndicats, lequel permettra de contribuer à instaurer la paix sociale dont nous avons besoin», insiste Abdelouahed Souhail, ministre de l'Emploi et de la formation professionnelle. Il reste maintenant à faire disparaître ce frein culturel à la syndicalisation des salariés des PME et à convaincre ces dernières de l'utilité du recours à la médiation en cas de conflit. C'est à ce niveau que le bât blesse, car si le dispositif est bien mis en place, trois cycles de négociations ayant déjà eu lieu entre le patronat et les syndicats, les PME ne semblent toujours pas prêtes à adopter le réflexe de recourir à la médiation. Pourtant, au sein du patronat, on insiste sur le fait que ledit dispositif n'est pas limité aux entreprises adhérant à la CGEM, mais à l'ensemble des PME du tissu économique. Une action de sensibilisation est d'ailleurs prévue dans ce cadre. En attendant, dans la conjoncture actuelle, force est de constater que même les PME qui semblent être sensibles à l'utilité des représentations du personnel, c'est souvent le top management qui s'en charge, soit personnellement, soit en nommant des représentants de salariés proches de la direction. Les raisons à cette situation divergent selon les cas. D'un côté, il existe une proportion importante d'informel dans les petites et moyennes entreprises. Du coup, instaurer des structures dédiées au dialogue social au sein de l'entreprise s'avère être compliqué. D'un autre côté, la constitution de syndicats au sein des entreprises est souvent perçue par les patrons comme une gêne future dans la prise de décision, chose qui conduit au refus de ce genre de structure. Or ni dans l'une, ni dans l'autre situation, le principe de partenariat entre les salariés et les dirigeants n'est garanti, et le risque de naissance, puis d'amplification de conflits sociaux avec des salariés persiste. Pourtant, tout le monde a à gagner de la mise en place d'une représentativité syndicale en bonne et due forme. L'entreprise, grâce au dialogue avec les syndicats, réussit à prévenir des malaises sociaux pouvent conduire à des grèves, et, partant, à des arrêts d'activité. Les salariés, pour leur part, parviennent de façon certaine à une meilleure entente avec les patrons pour faire valoir leurs doléances et assurer ainsi leur revenu. Point de vue: Essaïd Bellal, DG du cabinet Diorh La gestion des conflits sociaux dans les PME dépend fortement du style de management adopté par les dirigeants. Nous avons par exemple des patrons qui sont proches de leurs salariés et qui font preuve d'un esprit paternaliste. Ceci leur permet de prévenir ce genre de problèmes et d'anticiper leur résolution. Cependant, nous constatons qu'il y a toujours cette hésitation à installer des représentations syndicales, afin que les patrons ne soient pas gênés dans leur prise de décision. Nous savons que les PME ne sont pas toutes totalement transparentes et que la mise en place de représentations de syndicats pourrait dans ce cas là s'avérer très gênante pour le manager. Cette situation est forcément préjudiciable pour l'entreprise et peut dans certains cas avoir des répercussions sur sa compétitivité. Il faut également noter que, culturellement, ce ne sont pas les syndicats qui vont vers ce genre d'entreprises, et il faut attendre que ce soit les salariés qui sollicitent les syndicats, pour qu'ils s'intéressent à la création d'un bureau de représentation dans les petites structures. Par ailleurs, la conclusion de partenariats entre la CGEM et les syndicats est une chose positive pour les entreprises marocaines, d'autant plus que le patronat ne restreint pas le dispositif de médiation aux entreprises membres. Cependant, l'enjeu maintenant est de pousser les PME à aller vers ce dispositif, et ce, via des actions de sensibilisation, notamment de la part des représentations ministérielles ou des inspections du Travail. Jamal Belahrach, Président de la commission Emploi à la CGEM : «Patron et salariés doivent se prendre en main» Les Echos quotidien : Comment sont gérés les conflits sociaux dans les PME ? Jamal Belahrach : La gestion des conflits dans les PME est compliquée, et peu de retours sont disponibles à ce sujet. Ce qui est sûr, c'est que les syndicats sont peu présents dans les petites structures, ce qui rend la résolution des conflits sociaux délicate. En effet, même quand on a un patron qui est prêt à discuter, il ne trouve que très rarement des interlocuteurs à même de représenter les salariés. À notre niveau, avec les récentes conventions signées avec les syndicats, nous avons voulu mettre en place un dispositif de médiation qui faciliterait la gestion des conflits sociaux. Ce dispositif peut-il profiter à la PME ? Aujourd'hui, ce sont principalement les PME qui devront en tirer profit. Il est important d'avoir une «démocratie sociale» dans notre économie. L'Etat ne doit plus être impliqué dans ces questions. Ce sont au contraire le patronat et les syndicats qui doivent prendre en main la gestion des conflits sociaux. Dans ce sens, nous souhaitons élargir ce dispositif afin que l'ensemble des entreprises puissent en bénéficier et pas seulement les entreprises adhérentes à la CGEM. Des actions de sensibilisation seront lancées incessamment afin d'encourager les PME à aller vers cette médiation mise en place. Comment peut-on les convaincre alors ? À l'occasion du 1er-Mai, il faut plus que jamais insister sur la paix sociale, puisque c'est de là que découle une meilleure compétitivité des entreprises, une plus forte croissance et une meilleure situation sociale pour les salariés. De plus, c'est aussi une manière de lutter conte l'informel. C'est tout un cycle qui se met en marche quand on a une paix sociale. Malheureusement, nous constatons aujourd'hui que la culture, qui diabolise le chef d'entreprise d'un côté et les syndicalistes de l'autre, est toujours présente, particulièrement dans les petites structures. C'est là où il faut faire des efforts afin d'instaurer une nouvelle manière de voir les choses, où le patron et le syndicaliste seraient dans une logique de partenaires.