Il n'y a jamais eu de moment plus critique pour les décideurs politiques au Moyen-Orient, pour se concentrer sur l'autonomisation des classes moyennes de la région. C'est ce qui ressort de la lecture croisée du rapport de l'African Progress Panel sur le progrès en Afrique et celui de Booz Company sur la classe moyenne dans la région MENA. Un croisement qui fait apparaître des points de convergence à plusieurs niveaux et surtout, permet de transposer les résultats de l'enquête menée par le cabinet international sur les perspectives et les défis majeurs des pays africains, particulièrement, le Maroc, à travers les sondages effectués sur la perception des Marocains à l'égard des politiques gouvernementales, ainsi que sur les perspectives d'avenir. «Il y a un besoin urgent de changement, qui pourrait se réaliser par l'intermédiaire d'un ensemble de politiques économiques, sociales visant à développer une grande classe moyenne dynamique et durable», souligne le rapport de Booz Company. Car, soulignent ses auteurs, «les progrès réalisés dans cette région seront toujours limités si la moitié de la population ne se voit pas offrir suffisamment de possibilités pour réussir». Or c'est là que le bât blesse. Selon les résultats de l'enquête de terrain menée par le cabinet au Maroc, en Egypte et en Arabie Saoudite, «ce segment de la population dans la région MENA est différent de celui des autres parties du monde, car il ne constitue pas encore une source significative pour l'amélioration du PIB des pays de la région». Si la classe moyenne existe, en fonction des critères qui demeurent assez divergents, selon les chiffres officiels et la perception des sondés, elle n'est pas en mesure de relever les défis de l'économie de ces pays. Aspirations légitimes En cause, les aspirations de ceux qui se considèrent, effectivement, comme appartenant à la classe moyenne et qui demeurent insatisfaits de la situation dans laquelle ils vivent actuellement. Les résultats de l'étude sur la classe moyenne au Maroc montrent que la plupart du temps, cette dernière est inquiète sur les questions fondamentales, telles que le pouvoir d'achat ou l'emploi. Selon Richard Shediac, directeur associé du cabinet Booz Company, «ils sont mécontents de la prestation des services publics et beaucoup ne croient plus aux capacités des autorités de leur pays d'origine, à leur offrir ce dont ils ont besoin pour réussir, les amenant à envisager d'émigrer vers des marchés plus prometteurs». Ce qui fait dire aux auteurs du rapport que les attentes de cette classe, constituent un défi majeur pour les décideurs au Maroc et dans le monde arabe. En conséquence de cela, le gouvernement doit veiller à élargir la classe moyenne, «grâce à des réformes sociales, économiques et politiques». «La confiance de la classe moyenne dans l'économie d'un pays peut en effet, déterminer l'orientation future de cette économie», souligne Shediac, avant d'ajouter que «les autorités publiques peuvent adapter leurs programmes politiques, afin de pouvoir prendre réellement en compte les aspirations des populations, à travers les principales préoccupations de la classe moyenne. Ce qui passe inévitablement par une meilleure compréhension de la classe moyenne», afin «d'aider ce segment de la population à prendre sa place légitime en tant que moteur de croissance future dans la région». Réajustement des politiques publiques S'il est établi que dans la plupart des pays à travers le monde, c'est la classe moyenne qui sert généralement de levier de développement socio-économique, ce n'est pas le cas au Maroc. Les récents évènements du Printemps arabe ont accru les attentes de la population, ce qui a conduit à une augmentation des charges pour l'Etat. De ce fait, actuellement, la classe moyenne constitue plus un véritable labeur pour les gouvernements, qu'un moteur de croissance. Cela s'illustre parfaitement au Maroc avec l'augmentation des charges publiques consenties par l'ancien gouvernement, pour maîtriser le climat social. Un sacrifice en pleine conjoncture économique, que l'actuel gouvernement peine à liquider. Ce qui met en berne les tentatives de Benkirane à pouvoir enfin se consacrer à la mise en œuvre de son programme de gouvernance, assez ambitieux par ailleurs. Pour les analystes de Booz Company, cette dépendance à l'Etat combinée avec la faiblesse des infrastructures sociales et économiques, a empêché la classe moyenne d'avancer et d'aider leur économie nationale à devenir plus forte. L'évaluation de la perception de la classe moyenne sur les progrès économiques du pays a fait ressortir beaucoup d'indicateurs, notamment sur la prestation des services sociaux comme l'éducation et des soins de santé et même, des aspects plus qualitatifs tels que leurs espoirs et leurs aspirations. Ainsi au Maroc, 43% des personnes sondées se disent préoccupées par l'état de l'économie nationale. Dans le même temps, 53% ne pensent pas que le système d'éducation offre d'excellentes opportunités pour leurs enfants, ce qui pousse près de 65% des sondés à vouloir que leurs enfants étudient à l'étranger. D'ailleurs, 86% ont déclaré épargner des fonds en ce sens. Des chiffres qui illustrent, même si c'est un échantillon, l'état d'esprit qui prévaut au sein des ménages de la classe moyenne marocaine. La dernière note de conjoncture du HCP va dans le même sens. Selon les auteurs de l'étude, «lorsque l'adaptation des politiques est nécessaire, les gouvernements ne peuvent se concentrer que sur les questions économiques». Les reco' de Booz & Company Se basant sur les réponses obtenues lors de l'enquête sur le terrain, le cabinet Booz & Company a émis un certain nombre de recommandations assez intéressantes. Celles-ci visent d'abord à répondre aux préoccupations exprimées par les citoyens et à mettre à la disposition des décideurs, «des mesures claires visant à gérer la stabilité et la croissance de l'économie nationale». Il s'agit ensuite de la sauvegarde de la stabilité financière macro-économique afin de juguler l'inflation qui constitue «un risque important dans la région et une préoccupation majeure pour la classe moyenne». Autre mesure, l'accélération de l'entrepreneuriat afin de soutenir la résilience de l'économie. À ce niveau et pour encourager l'emploi des jeunes, les gouvernements pourraient simplifier le processus de financement pour les start-up par l'élaboration d'un cadre juridique qui encourage le capital-risque investissement et élimine les obstacles juridiques pour les investisseurs étrangers. Le rapport préconise également de déverrouiller la croissance du secteur privé pour intégrer la création de nouveaux emplois car à l'évidence «ni les gouvernements ni les entreprises publiques n'ont suffisamment de marge pour créer des emplois en ligne avec la demande dans la région». Les experts préconisent également aux autorités d'explorer les politiques d'intégration régionale notamment dans le secteur financier et commercial. L'intégration des marchés financiers et même monétaires pourrait aider à réduire le coût global du capital, augmenter la consommation et l'emploi, et créer des opportunités de mobilité ascendante qui profitent directement à la classe moyenne». Autant dire des recettes à portée de mains.