Pour sa première édition de la traditionnelle fête du travail qui sera célébrée demain à travers le monde, le gouvernement Benkirane n'aura pas grand-chose à annoncer aux partenaires sociaux. Contrairement à la précédente édition où le gouvernement El Fassi a tant bien que mal pu signer un accord avec les syndicats, dans un contexte socialement agité et politiquement mouvementé, cette fois, que de belles promesses pour marquer l'évènement. Une donne avec laquelle les syndicats semblent s'accommoder à contre coeur, en attendant de voir l'issue des concertations tous azimuts qu'ont lancées les nouvelles autorités. Une approche pédagogique, selon le gouvernement, qui permettra aux nouvelles autorités d'imprimer leurs marques, comme le souligne Abdelaâdim El Guerrouj, ministre délégué auprès de chef du gouvernement, chargé de la Fonction publique et de la modernisation de l'Administration, qui s'appuie sur les négociations engagées dans le cadre du dialogue social. Ce qui est sûr, c'est que la démarche a, pour le moment, permis au gouvernement d'allonger son délai de grâce avec les syndicats professionnels en dépit de la répétition des grèves intempestives au niveau de plusieurs secteurs, qui ont poussé Benkirane et compagnie à envisager un temps la méthode forte. Il faut dire qu'à ce niveau et pour cette première année de mandat, qui n'a pas commencé sous les meilleurs auspices, l'objectif pour les nouvelles autorités est de parvenir à une relative paix sociale et à tout prix, même si jusque-là, la méthode ne semble pas séduire au niveau des syndicats. Une situation qui accentue la pression pour le gouvernement qui en plus d'avoir du mal à assurer la continuité de la mise en œuvre du protocole d'accord du 26 avril 2006, comme l'illustre la tonitruante sortie de certains syndicats par rapport à la question, aura fort à faire pour imposer sa marque et donner plus aux travailleurs. Sauf que Benkirane a beaucoup promis durant la campagne électorale mais également dans sa déclaration de politique générale, amplifiant ainsi les attentes. «Nous constatons avec amertume que l'année 2012, dans cette ambiance, sera synonyme de néant pour le dialogue social» affirme sans concession, Miloudi Moukharik, secrétaire général de l'Union marocaine des travailleurs (UMT), un sentiment largement partagé au niveau des autres centrales syndicales et qui témoigne de l'état d'esprit qui prévaut chez les partenaires sociaux, à la veille de la fête du 1er-Mai. La politique du surplace Il faut dire que la présente édition de la fête du travail intervient dans un contexte des plus particuliers. Il s'agit en effet du premier rendez-vous de la nouvelle ère démocratique marocaine avec la nouvelle Constitution et l'arrivée d'un nouveau gouvernement, lequel s'est appuyé sur d'ambitieuses promesses électorales, essentiellement dans le domaine social, pour ratisser large. Sauf que le contexte économique et social conjugué à la réalité de l'exercice du pouvoir a tempéré les ardeurs de la coalition gouvernementale, comme en témoignent les dispositions de la loi de finances 2012 qui, en dépit de tous les ajustements, n'ont rien amené de nouveau pour le secteur. «Aucune mesure en faveur des salariés n'a été adoptée, nous sommes encore dans des promesses électorales qui prévoient la réduction de la ponction fiscale sur les salaires et le SMIG promis à 3.000 DH», fait remarquer à ce niveau Moukharik. Alors que se profilent, déjà, les prochaines échéances électorales, locales et régionales, le gouvernement se trouve dos au mur entre la nécessité d'agir pour donner des signaux forts, conformément à ce qu'il a promis, sans avoir réellement les moyens nécessaires, au vu de la situation économique et financière du pays. Du côté des syndicats, la situation inquiète en tous cas, comme le souligne Hamid Chabat, secrétaire générale de l'Union générale des travailleurs marocains (UGTM), qui constate que «)», ce que rejette naturellement le gouvernement, lequel met en avant certaines réalisations enregistrées sous l'impulsion du nouveau gouvernement, lesquelles, pour l'essentiel, sont héritées des décisions prises par l'ancien gouvernement. «Nous travaillons actuellement à mettre en œuvre tous les principaux points qui ont été décidés lors du dernier round du dialogue social» avance le ministre de l'Emploi et de la formation professionnelle, Mohamed Souhail, qui reconnaît, toutefois, la difficulté du contexte socioéconomique. «La situation financière du pays, ainsi que celles de nos principaux partenaires européens font que ce volet reste difficile», justifie Souhail plus réaliste que ses homologues du PJD. Le calme en attendant la tempête La stratégie du surplace qui semble plaire au gouvernement pourra-t-elle perdurer davantage ? Pas si sûr au vu des multiples attentes des différents partenaires, notamment les syndicats et les opérateurs économiques. Des dossiers sur lesquels le gouvernement sera amené à trancher attendent toujours. La loi sur la grève et les syndicats, la réforme des fonds de retraites, des mesures sur l'emploi, la liste est loin d'être exhaustive et illustre le fait que rien n'a encore été fait, et visiblement les séries de consultations et de négociations ne peuvent, à elles seules, permettre de solutionner toutes ces questions qui s'avèrent, pourtant, importantes pour la suite des mesures qu'envisagera le gouvernement, car après les consultations, il faudra bien aller dans le vif du sujet. Une échéance que le gouvernement ne semble, pourtant, pas pressé de résoudre avant les prochaines échéances électorales prévues cette année. La preuve, la fin des consultations a été renvoyée en septembre prochain. Les syndicats, en tous cas, ne comptent d'ailleurs pas beaucoup sur la multiplication des commissions ainsi que sur le dialogue social, au vu des divergences des points de vue entre les différents partenaires. Même sur la question des priorités ou de l'agenda, le gouvernement et les syndicats n'ont pas encore accordé leurs violons. La grande question qui persiste et risque de prendre de l'ampleur après les festivités du 1er-Mai, c'est jusqu'à quand les syndicats se contenteront-ils des belles paroles ? En tous cas, pas jusqu'au terme des cinq années de mandat qui sont, désormais, devenues l'échéance pour Benkirane. De quoi dire que la relative accalmie d'aujourd'hui augure des lendemains qui risquent d'être assez mouvementés et qui promettent de chaudes empoignades. Pour le gouvernement, les choses sérieuses ne font que commencer et à ce stade, on ne pourrait que compter sur les belles promesses, en attendant de voir la portée de cette «volonté politique» qu'annonce avoir Benkirane. Les syndicats s'accrochent Miloudi Moukharik, secrétaire général de l'UMT Nous avons une nouvelle Constitution et un nouveau gouvernement pour un dialogue social assez spécial. Nous avons vécu une année marquée par la régression du pouvoir d'achat des salariés et la hausse vertigineuse du coût de la vie. Tout ceci a malheureusement été suivi d'un gel des salaires aussi bien dans le secteur privé que dans le public et le semi-public. Nous sommes toujours dans des promesses électorales qui prévoient la réduction de la ponction fiscale sur les salaires et le Smig promis à 3.000 DH, mais la plus grande dégradation demeure dans les appels répétés contre la liberté syndicale, en totale contradiction avec une nouvelle Constitution. Au lieu de veiller à l'application d'un dialogue social avec un Code du travail qui impose l'immatriculation des salariés à la CNSS, le gouvernement vient avec des projets de loi limitant les droits des salariés. C'est le cas par exemple de cette fameuse loi sur le droit de grève et sur les syndicats ainsi que le projet de loi sur les contrats à durée déterminée. Nous nous demandons si ces mesures, antipopulaires et contre les salariés, sont réellement prioritaires. Il est clair qu'il s'agit là de bombes à retardement. Voilà une priorité gouvernementale. Enfin, il faut dire qu'il est de tradition depuis une dizaine d'années que, à la veille du 1e Mai, il y ait des concertations avec le gouvernement pour une augmentation du Smig. Or nous constatons avec amertume que l'année 2012 sera synonyme de néant pour le dialogue social. Abdelakder Zair, secrétaire général adjoint CDT Cette année, nous célébrons le 1er-Mai dans un contexte marqué par la crise économique et les tensions sociales et politiques, notamment en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Sur le plan national, il se déroulera dans un climat marqué par l'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution et par l'élection du nouveau gouvernement. Cependant, rien ne prédit un changement positif, notamment pour les salariés. Cette année est caractérisée par la régression des libertés syndicales, de la presse et la croissance des conflits sociaux et des grèves. Ces derniers sont dus notamment à la crise économique, et à la passivité du gouvernent quant à l'application de la loi. Par ailleurs, nous avons, lors de la nomination de l'actuel gouvernement, espéré que ce dernier allait comprendre les doléances des travailleurs, mais, apparemment, nous n'avons eu droit qu'à des promesses non tenues. Au sein de cette coalition gouvernementale, chaque ministre a sa propre vision du dialogue social et des réformes à entreprendre. Cela ne favorise nullement l'élaboration d'un vrai programme. Enfin, aussi bien le gouvernement que le patronat ne se focalisent que sur la grève et le droit syndical, comme si ces derniers étaient à l'origine des problèmes. S'il y a conflit social ou grève, c'est qu'ils sont la conséquence de la non-application de la loi. Ali Lotfi, secrétaire général de l'ODT Cette année, le 1er-Mai sera célébré dans une conjoncture économique très difficile. Bien sûr, il se déroulera également dans un contexte où les effets et les conséquences du Printemps arabe sont toujours d'actualité. S'agissant du dialogue social, nous estimons qu'il n'a pas abouti à des résultats à même de satisfaire le minimum des attentes des Marocains. Le nouveau gouvernement n'a pas non plus réussi à instaurer une nouvelle approche pour avancer dans ce dialogue. De plus, il s'est concentré sur des dossiers qui ne sont pas prioritaires. Aujourd'hui, 80% des salariés du privé sont sans couverture sociale ni assurance-maladie. Même l'Etat, qui est le garant de l'application du Smig, paie des milliers de salariés de la promotion nationale à 800 DH par mois. À cela s'ajoute le projet de loi de Finances, qui a pris un retard considérable, et dont les conséquences se manifestent notamment dans le blocage de l'investissement. Hamid Chabat, secrétaire général de l'UGTM Jusque-là, le gouvernement donne l'impression d'être passif et silencieux. S'il veut un vrai partenaire, il va falloir qu'il fasse un pas en avant par rapport à nos revendications. Nos attentes sont grandes et identiques à celles de tous les Marocains, que ce soit pour les recrutements des diplômés chômeurs ou les conditions de travail des salariés. Le gouvernement doit sauver la situation et instaurer un vrai dialogue social. Sur ce point, à l'UGTM, nous estimons que ce dernier se limite toujours aux généralités. Cela étant, nous attendons le discours traditionnel du 1e Mai pour avoir davantage d'information sur les mesures proposées par le gouvernement.