Rarement une table ronde sur le cinéma et l'audiovisuel au Maroc aura été aussi insipide. Les professionnels du secteur audiovisuel et cinématographique n'ont pas, malheureusement, profité de la présence des représentants de l'Union européenne pour dresser un état des lieux du secteur et détecter les anomalies, les vraies. Ils se sont plutôt attardés sur leurs problèmes internes, se jetant la responsabilité de la situation, constatée aujourd'hui. Mercredi donc, la table ronde de consultation «Partenariat stratégique pour le développement des capacités du secteur cinématographique et audiovisuel», organisée par le programme Euromed Audiovisuel III, s'est transformée en un combat où réalisateurs, producteurs, distributeurs, exploitants, responsables de la SNRT, de 2M ou encore du CCM (Centre cinématographique marocain), ne partageaient pas le même avis sur tous les points abordés. Toutefois, ils ont tous qualifié les annonces du ministère de la Communication d'utopiques. «Cela fait des années que les salles de cinéma ferment l'une après l'autre, sans que l'Etat ne réagisse. Aujourd'hui, on nous dit que les salles existantes qui ne dépassent pas 41 (ndlr : dernières statistiques du CCM : 41 salles et 65 écrans) dans tout le Maroc vont être rénovées et numérisées et que d'autres seront bientôt construites. Personnellement, je veux croire en ce discours, mais je n'y arrive pas», nous précise Abdelhamid Marrakchi, président de la Chambre marocaine des exploitants des salles de cinéma. D'ailleurs, le problème des salles de cinéma presque inexistantes dans notre pays, a été l'un des points longuement discutés lors de cette table ronde. «C'est vrai que l'Etat a réglé le problème de la production grâce notamment au fonds d'aide du CCM, qui a montré néanmoins ses failles, mais la distribution et l'exploitation demeurent l'un des maillons faibles de la chaîne. Soyons clairs, il n'y a pas de marché, parce qu'il n'y a pas de salles de cinéma», a affirmé le producteur Sarim Fassi Fihri. Parler des salles de cinéma au Maroc, c'est surtout aborder le fléau du piratage. Un problème qui persiste depuis des années, sans que l'Etat ne puisse réagir efficacement. «50 millions de CD vierges en provenance de la Chine arrivent au Maroc chaque année, ce qui veut dire que 250 MDH échappent annuellement au fisc et tuent tout un secteur», constate avec amertume Marrakchi. Contrôler l'importation des CD vierges, taxer les vendeurs des films piratés, institutionnalisant ainsi le secteur, baisser la TVA sur l'exploitation des salles obscures de 20 à 7%, sont entre autres, des solutions suggérées par les professionnels marocains. Puis on a abordé le problème de la formation (écriture du scénario, création des emplois pour les jeunes qui sortent des écoles...), du financement des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles et des droits d'auteur. Le président du Groupement des auteurs-réalisateurs, M'jid Rchich a déclaré dans ce sens, que le BMDA (Bureau marocain des droits d'auteurs) ne protège point les intérêts des artistes et créateurs marocains. Un avis que partage le réalisateur Hassan Ben Jelloun qui a demandé à l'Union européenne d'organiser des sessions de formation au profit des cinéastes marocains pour qu'ils puissent mieux se protéger. Fouad Souiba, qui représentait le ministère de la Communication, a souligné par ailleurs qu'un projet de refonte du BMDA est lancé depuis trois ans. «Nous sommes conscients que ce bureau n'a pas atteint les objectifs escomptés », a-t-il affirmé. Et les recommandations sont... À l'issue de cette table ronde marquée par l'absence du ministre de la Communication Mustapha El Khalfi (voir page 18), des patrons de la SNRT, de 2M et du directeur du CCM (seul le représentant de l'Union européenne était présent), plusieurs recommandations ont été retenues. Il s'agit tout d'abord de la réhabilitation, la mise à niveau et la numérisation des salles de spectacle cinématographique. Assurer un transfert de savoir-faire des différents métiers de l'audiovisuel aux grandes mutations technologiques, lutter efficacement contre le piratage et renforcer les capacités de promotion et de visibilité des oeuvres et des artistes, tant au sein des chaînes que sur le marché international, figurent également parmi les recommandations. Les différents participants, souhaitent également à travers le programme Euromed Audiovisuel III, la mise en place d'un accompagnement adapté du cadre juridique à la protection des droits des auteurs et de la sauvegarde de la propriété intellectuelle, la révision des relations contractuelles entre les producteurs d'une part et les chaînes dans leur double fonction de producteur et de diffuseur et l'adaptation des procédures d'appel d'offres et de sélections des projets aux normes internationales. Pour développer le secteur, l'on a préconisé aussi d'étendre l'utilisation des fonds d'aide aux étapes liées à la promotion et à la distribution locale et internationale des oeuvres audiovisuelles, de renforcer les capacités créatives et managériales des professions de la production audiovisuelle, et d'encourager toutes formes d'action susceptibles de réimplanter la culture cinématographique au sein des institutions éducatives et de la jeunesse. Des recommandations qui seront certainement prises en considération dans l'élaboration du programme Euromed Audiovisuel III dont le budget est de 11 millions d'euros (2011-2013) et vise à développer le secteur cinématographique et audiovisuel dans neuf pays du sud de la Méditerranée. Point de vue Eneko Landaburu, Ambassadeur, chef de la délégation de l'Union européenne au Maroc. «On peut dire aujourd'hui que le Maroc dispose d'une production cinématographique intéressante, qui commence à être connue à l'étranger, notamment en Europe. Dans cette turbulence politique que la Méditerranée vit depuis des mois, votre pays a été capable de donner sur le plan général ainsi que sur le plan de la création cinématographique et audiovisuelle, un certain nombre de messages qui ont consolidé l'image positive du Maroc, aux yeux de l'Europe et des partenaires méditerranéens. Vous savez, il y a dans la production marocaine, des oeuvres de créateurs qui n'ont pas peur de dénoncer les maux de la société et du système politique, ce qui est relativement rare dans le sud de la Méditerranée. Mais attention, il ne faut non plus tomber dans l'auto-allégation. Il faut plutôt rester lucide et objectif pour pouvoir avancer. Je tiens par ailleurs à souligner qu'il n'y a point d'expressions culturelles sans liberté absolue des créateurs. Quant à la question relative au contenu des cahiers des charges de la SNRT et de la Soread -2M, qui fait la une des journaux depuis quelques jours déjà (ndlr : question relative notamment à l'arabisation des programmes dans les chaînes de télévision nationales), je n'ai pas, en tant que représentant de l'Union européenne, un avis particulier sur une initiative ministérielle, parce qu'on me critiquerait très vite d'ingérence, ce que j'ai pu retenir aujourd'hui, c'est qu'au-delà de ce qu'a retenu la presse, notamment que la langue française recule, ce que d'ailleurs je regrette en tant qu'européen, c'est que cela reste un choix souverain du gouvernement, il y a des mesures qui visent à favoriser la production et la distribution des produits audiovisuels et cinématographiques. Pour résumer, je n'ai pas à avoir une idée précise sur ce point, c'est l'expression souveraine d'un gouvernement, mais je tiens aussi à ce que les langues européennes aient leur place». 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