Pas d'investissement sans perspective de rentabilité derrière ! Tel est le mot d'ordre des bailleurs de fonds privés. Au Maroc, le Crédit Agricole du Maroc (CAM) ne s'inscrit pas dans cette logique. Entrant d'une part dans le giron de l'Etat, et agissant dans un secteur à fortes implications sécuritaires et sociales, le groupe CAM est largement investi d'une mission de service public. «Nous ne comptons pas dégager de bénéfices sur les nouveaux produits novateurs que nous proposons, notamment Tamwil El Fellah», souligne Fatiha Berrima, directrice du pôle agriculture et agroalimentaire au CAM. Il faut dire que partout dans le monde, même chez les pays les plus avancés, l'activité agricole seule est rarement rentable sur la durée. Ce sont les autres maillons de la chaîne de valeur dans la filière qui permettent de dégager des revenus : mise en valeur des produits de la terre, industrie agroalimentaire, commercialisation et distribution. Ainsi l'exploitation des terres a été subventionnée à coups de milliards d'euros pendant des décennies. Une tendance qui n'est pas près de s'inverser aujourd'hui. En France par exemple, le développement des produits d'assurance récolte, indispensable pour prémunir les agriculteurs des caprices du climat, n'a pu être mis en œuvre que grâce à une subvention couvrant 65% des primes versées par les fermiers aux compagnies d'assurance. C'est dire combien la notion de service public en agriculture est sensée et légitime. En effet, quoi que puissent penser et dire les plus extrémistes des capitalistes, la production agricole primaire est plus que jamais tributaire du soutien des pouvoirs publics. C'est à croire que les pays émergents se sont longtemps trompés de cible dans leurs négociations commerciales multilatérales : au lieu de réclamer aux pays riches d'arrêter les subventions à l'agriculture (politique agricole commune en Europe et Farm Act aux Etats-Unis), ne fallait-il pas au contraire soutenir les agricultures émergentes pour maintenir leur compétitivité d'une part, et pour mettre à niveau les exploitations et les revenus des fermiers de l'autre ? En tout cas, avec le Plan Maroc vert, le royaume a radicalement changé de philosophie, et s'insère désormais dans cette logique active et volontariste. Il faut dire que jusque-là 50% des exploitants agricoles n'avaient accès à aucun type de financement, mis à part les subventions qui plombent la caisse de compensation et les comptes publics si nous les considérons comme assimilés. Une situation qui découle d'une inadéquation entre l'offre et la demande de financements agricoles. En effet, 10% des exploitations sont assez grandes et structurées pour accéder au financement conventionnel et ce, auprès de toutes les banques de la place. 40% sont suffisamment petites pour être éligibles au microcrédit. Les 50% restantes se retrouvaient ainsi dans une situation inconfortable (voir illustration). C'est précisément vers ce groupe d'agriculteurs qu'est orientée la nouvelle filiale du CAM, Tamwil El Fellah, qui intègre également les composantes expertise et formation. Soit un pas de géant pour le fermier marocain moyen. L'enjeu à venir porte sur l'assurance des récoltes, indispensable si l'on veut éviter de retomber dans la spirale des impayés à laquelle le secteur est fortement exposé, vu les incertitudes auxquelles il doit faire face. À ce sujet, la réflexion est en cours au sein de la banque. «Des services qui devraient voir le jour dans les deux années prochaines», estime Tarik Sijilmassi, président du groupe. Espérons donc que le Maroc pourra présenter son expérience en la matière dans le prochain congrès international sur le financement agricole, qui justement, aura lieu fin 2012.