«Un système financier au service de l'intérêt général», voilà un nouvel argument qui pourrait bien séduire. Le concept «finance islamique» était jusque-là largement éludé dans l'agora financière, depuis les années 1990. Au-delà des débats, des tergiversations, des réticences et d'un cadre règlementaire encore à l'état embryonnaire, la finance islamique s'impose en effet, de plus en plus, comme étant l'alternative dans un contexte de crise économique et de nombreux pays dans le monde l'adoptent de manière alternative. Pour le Maroc, il ne s'agit donc pas de faire exception et les partisans de ce concept économique élèvent leurs voix pour en venter les mérites. Ces derniers semblent être en effet multiples et variés, tous rattachés à la notion de «sens». Pour Anass Patel, membre de la commission finance islamique de Paris Europlace, «la finance islamique donne du sens dans une économie qui tourne à l'envers, pour simplifier l'approche en s'adossant à l'économie réelle». Pour les défenseurs de ce concept économique et financier, il s'agit donc là, de venter les mérites de l'économie réelle, qui ne représente aujourd'hui que 2% de l'économie mondiale. Plus concrètement, la finance islamique permettrait de «mettre fin à l'impunité qui régit l'utilisation d'instruments financiers, qui encouragent la spéculation et qui restent en décalage avec le cadre économique réel, tout en écartant le sous-jacent de la propriété», estime cet expert. Dans une approche plus mécanique, la finance islamique serait par définition un concept dit «responsable», qui permettrait un équilibre financier, à l'aide de financements participatifs avec un partage des risques et non un transfert. Finie, donc la spéculation et place au réalisme. C'est en somme le message véhiculé par les différents panelistes du premier séminaire de finance islamique organisé hier à Casablanca. Les spécialistes de la question s'accordent sur le fait que «l'introduction de la finance islamique dans le paysage économique national, permet la réduction des dépendances, notamment vis-à-vis des marchés étrangers en crise». Il ressort donc à travers une analyse plus poussée, qu'au-delà du caractère étique que revêt ce système financier, ce dernier présenterait une «soupape» de protection économique, qui peine à se mettre en place en raison des réticences. Un processus laborieux ? Jusque-là, toute la réflexion s'est articulée autour du concept de la finance islamique et des bienfaits qu'il pourrait présenter dans le contexte économique actuel. Cependant, ce qui semble plus intéressant encore, c'est le point d'honneur que les spécialistes mettent en élargissant le cadre de développement de ce concept. Il ne s'agirait donc pas d'un seul système appliqué par des institutions bancaires dites, «banques islamiques» mais de tout une matrice financière, qui s'appliquerait à de nombreuses activités, telles que l'immobilier, le développement des petites et moyennes entreprises, le crédit bail... Cependant, pour que ce modèle puisse être applicable, de nombreux préalables ne sont toujours pas disponibles et l'approche reste assez complexe. C'est à juste titre, là où le bât blesse et où la machine bloque. Aujourd'hui, toute la question autour de la finance islamique fait débat, comme nous l'avons souligné précédemment. Pour des institutions comme Bank Al-Maghrib, tout reste à faire, mais de manière graduelle. Le canal des offres a certes, d'ores et déjà été déterminé et pourrait bien se faire via les «windows» des banques conventionnelles et ce, «afin de ne pas bousculer les habitudes socio-économiques des marocains». Il ne suffirait donc pas, pour la Banque centrale, d'installer une banque islamique mais de mettre en place un certain nombre de pré-requis. Plusieurs aspects sont en cours d'étude, notamment celui de la conformité des produits de la finance islamique, qui relève, selon la règlementation en vigueur, des oulémas. Un argument qui s'effriterait cependant, de plus en plus, selon les spécialistes qui montent aujourd'hui au créneau, pour assurer que la la finance islamique n'a pas forcément besoin de théologiens pour sa mise en œuvre, mais davantage de financiers, pour en piloter l'implantation. Pour l'heure, le processus est en marche, ainsi que l'élaboration d'un cadre règlementaire, qui consisterait en un certain nombre amendements de la loi bancaire. Cette fois le projet semble avoir de plus grandes chances d'aboutir au regard de l'enjeu économique, mais aussi, à celui de l'attention qui lui est portée par le nouvel Exécutif. Point de vue Abdelhak Bennani, Ancien directeur général de Wafabank et spécialiste de la finance islamique Le Maroc a failli être précurseur en matière de finance islamique dans les années 1990. J'avais moi-même lancé un certain nombre de produits financiers, qui n'ont finalement pas vu le jour, faute d'autorisations. Aujourd'hui, la donne a changé et il est indispensable de mettre en place des banques islamiques à proprement dit. Le contexte actuel requiert beaucoup de courage pour laisser à ces entités financières le bénéfice du doute. D'autant plus que la situation financière des banques et leurs besoins en liquidités, pourraient être allégés, sachant que le concept même de finance islamique, s'il venait à être intégré, rassemblerait la bancarisation des nombreux réticents, jusque-là, au modèle financier conventionnel pour permettre, in fine d'augmenter le taux d'épargne à long terme.