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Finance islamique : Ali Mrad présente les avantages et risques de la finance Islamique
Publié dans Finances news le 19 - 04 - 2012

Le problème des produits islamiques est plus un problème d'harmonisation juridique et réglementaire d'un pays à l'autre que de structuration.
La finance islamique place l'être humain au centre du processus de toute activité économique et de toute transaction commerciale ou financière.
Eclairage de Mohamed Ali Mrad, fondateur et PDG de Mena Finance, première société de conseil d'affaires en finance islamique en Afrique du Nord.
• Finances News Hebdo : Quelle est la théorie réelle derrière la finance islamique, notamment tout ce qui a trait aux fondamentaux et aux principes ?
• Mohamed Ali Mrad : La finance islamique comporte trois interdits (les trois «i») qui sont : (1) l'interdiction de l'intérêt ou riba, (2) l'interdiction de l'incertitude ou gharar et de la spéculation (maysir et ihtikar) ainsi que (3) l'interdiction de certains secteurs illicites ou haram tels que l'alcool, le porc, le tabac, etc.
Elle comporte également trois recommandations (les trois «r») qui sont : (1) le partage des risques, des pertes et des profits, (2) l'adossement de toute opération commerciale à un actif tangible et (3) la non-séparation entre l'actif et le risque qui lui est lié.
La finance conventionnelle comporte les 3 interdits et notamment le riba (intérêt) qui constitue le plus grand des interdits à tel point que Dieu Lui-même a déclaré dans le Coran la guerre contre les usuriers et ceux qui pratiquent les prêts à intérêts.
Cette finance conventionnelle ne comporte pour ainsi dire aucun principe si ce n'est l'argent pour l'argent et l'accumulation de richesse dénuée de tout sens moral malgré les tentatives des différents Etats et institutions de contrôle de légiférer sans succès.
L'islam et la Charia ne conçoivent pas la vie, en général et l'économie et la finance, en particulier sans principes moraux qui se traduisent par les interdictions et les recommandations citées ci-dessus.
Alors, comme tout individu du 21ème siècle, on se pose la question de la théorie qu'il y a derrière ces principe, qui on été édictés il ya plus de 14 siècles, de leur validité et de leur application dans notre époque.
Tout d'abord, des études théoriques, économiques et financières ont été menées par d'éminents scientifiques et économistes qui sont comme très souvent et pour la plupart d'entre eux Occidentaux.
Ces scientifiques économistes ne sont bien évidemment pas motivés par aucune religion ni aucun précepte religieux, mais par la seule science et la preuve scientifique tangible.
Bien que cet axe de recherche soit relativement récent, d'ores et déjà des conclusions prouvées économiquement et mathématiquement sont apparues.
• L'interdiction du riba : tout d'abord, on a prouvé qu'une économie sans «intérêt» s'avère absolument non inflationniste sur le moyen et long terme, ce qui peut paraître paradoxal pour les néophytes; mais des études statistiques ont montré sans équivoque que l'inflation est corrélée au taux d'emploi et absolument pas aux taux d'intérêt. De plus, une économie sans intérêt assure le vrai partage des richesses entre le détenteur de capital et le fournisseur de travail. Par ailleurs, la finance conventionnelle basée sur les taux d'intérêt génère, comme nous le constatons actuellement, des déséquilibres croissants exponentiellement entre le prêteur et l'emprunteur (comme nous le constatons pour certains pays comme les Etats-Unis en premier qui empruntent uniquement pour rembourser les seuls intérêts de leur dette). Ceci se traduira bientôt, comme on a failli le vivre dernièrement, par une incapacité de remboursement de la part du pays le plus puissant du monde, ce qui n'est autre qu'une situation de banqueroute. Ceci sans oublier les millions de ménages à travers le monde qui se retrouvent en surendettement, en faillite et dépossédés de tous leurs biens qu'ils ont durement et patiemment accumulés durant une vie entière de dur labeur avec tous les drames humains que cela entraîne.
• L'interdiction du Gharar et de la spéculation (maysir et ihtikar) : L'absence d'incertitude et de spéculation entraîne l'équilibre et l'égalité entre l'acheteur et le vendeur, engendrant une économie non-inflationniste par construction. Quand on pense à ce fléau qu'est l'inflation et ce qu'elle a engendré comme catastrophes économiques et donc par voie de conséquence, humaines, on peut facilement imaginer les bienfaits d'une telle interdiction.
• L'interdiction de secteurs illicites : ceci constitue le volet sanitaire de la finance islamique qui interdit non seulement le commerce de porc et d'alcool, mais aussi tout autre secteur jugé nocif pour la santé et/ou la vie des individus et des peuples comme le tabac, l'armement offensif et les industries polluantes. Ce volet n'a bien évidemment pas besoin d'être théorisé pour comprendre les bienfaits sur l'humanité si ces produits étaient interdits à la vente.
• Le partage des risques et des profits : c'est une évidence que de comprendre les conséquences sociales d'une telle recommandation. En effet, par l'équilibre qu'elle entraîne entre la valeur capital (argent) et la valeur travail, non seulement par des vœux pieux ou encore des théories farfelues ou des incitations fiscales inefficaces, voire une pseudo-moralisation de l'économie et de la finance, mais bien dans les faits et la pratique même des relations d'affaires. Il n'est nul besoin en effet d'être un grand devin pour se rendre compte de l'évidence d'une telle recommandation après l'échec de tous les modèles économiques et financiers de l'histoire moderne depuis le communisme et le socialisme jusqu'à l'ultralibéralisme, sans oublier l'échec de toutes les théories économiques et financières des derniers siècles et qui on été écrites pour des raisons politiques et/ou pour servir les intérêts d'une minorité de nantis au détriment de la majorité.
• L'adossement de toute activité économique à un actif tangible : la plus grande catastrophe économique et financière a été l'adossement du Dollar américain à l'or - à 35 dollars l'once - lors des accords de Bretton Woods le 22 juillet 1944. En effet, suite à cette décision, la monnaie est devenue progressivement et au bout de quelques décennies, complètement virtuelle donc intangible, impalpable et immatérielle. Ce n'est plus comme on dit qu'une monnaie de singe à commencer par la plus grande d'entre elles : le Dollar. Nous sommes donc partis de 35 $ l'once à 1.650 $ à ce jour, soit une multiplication par 47 en 68 ans ! Ceci donne une idée de la dépréciation du Dollar face à l'or et non comme certains le disent la hausse du Dollar, car il s'agit bien d'une dépréciation monétaire. Nous n'en somme aujourd'hui qu'au début de la crise financière et économique mondiale. Dans un monde virtuel où la fortune d'une personne n'est qu'une suite de zéros sur un écran, où on échange les richesses naturelles d'un pays contre quelques billets en papier et où un pays, se croyant souverain, quémande de quoi donner du pain à son peuple auprès d'une poignée d'argentiers fournisseurs de zéros sur des écrans contre le remboursement d'encore plus de zéros sur un écran, on voit bien les méfaits et l'ampleur de la catastrophe qui nous attend et qui est, comme vous l'avez compris, la conséquence des décisions prises il y a 68 ans à Bretton Woods. Il est bien évident que ce qui a suivi, en passant par les produits dérivés et autres impostures, n'a pas arrangé la situation. On entrevoit déjà les conséquences désastreuses d'une telle logique du tout virtuel aussi bien de nos jours que dans l'avenir, surtout si on ne rectifie pas le tir à temps. A l'inverse, l'adossement de toutes les activités économiques à des actifs tangibles permet de construire une économie saine et beaucoup moins volatile pour le bien de l'humanité.
• Non-séparation entre l'actif et le risque qui lui est
lié : Ce sujet est très technique et son approfondissement dépasserait l'objet de cet article. Ce que nous pouvons tout de même constater, c'est que la déconnexion du risque de l'actif sous-jacent qui lui est rattaché a eu pour conséquence la création et le développement des produits et des marchés dérivés qui agissent tout comme la tête nucléaire du missile du tout virtuel cité ci-dessus. Les marchés dérivés représentent actuellement plus de 10 fois la richesse et la dette mondiale et sont dominés à 97% par la spéculation, selon la banque américaine Goldman Sachs. Ceci est particulièrement vrai pour les matières premières, avec en premier lieu les céréales pour lesquels un quintal de blé produit par un petit agriculteur africain correspond à une tonne sur le marché à terme de Chicago ou celui de Londres. Le mécanisme des produits dérivés, avec leurs effets multiplicateurs et l'organisation des marchés dérivés basée essentiellement sur la spéculation, entraîne des catastrophes chez les producteurs mais surtout chez des milliards de personnes à travers le monde qui souffrent de malnutrition, voire de famine.
• F. N. H : Pouvez-vous nous expliquer justement pourquoi la spéculation est interdite dans la finance islamique ?
• M. A. M. : Dans la finance conventionnelle, la spéculation est considérée comme un mal nécessaire afin de fournir la liquidité des marchés financiers. Dans la réalité, il n'en est rien. Au contraire, on constate sur toutes les places financières que la liquidité disparaît purement et simplement en cas de crise, c'est-à-dire dans les moments où on en a le plus besoin car la plupart des spéculateurs et autres boursicoteurs se retirent dès la moindre secousse financière. Le reste du temps, ils agissent en tant que nuisibles en retirant de leur richesse aux sociétés cotées en Bourse. Pire, d'autres spéculateurs prennent le relais immédiatement en jouant le marché à la baisse à coups de ventes à découvert massives et autres produits à effets de leviers et de dérivés, en gagnant des centaines de milliards de dollars sur le dos des entreprises et des petits actionnaires. Parfois, ils vont même jusqu'à ébranler les économies de certains Etats, avec tout ce que cela engendre comme problèmes sociaux et catastrophes humaines. A l'opposé, la spéculation est prohibée dans la finance islamique qui en élimine ainsi les méfaits depuis la racine.
• F. N. H : De par votre expérience, pensez-vous que les produits dits islamiques sont structurés ?
• M. A. M. : Oui. Les transactions et les produits financiers islamiques sont structurés et vont du plus simple au plus complexe. Le sujet est plus un sujet d'harmonisation juridique et réglementaire d'un pays à l'autre que de structuration. Ainsi, par exemple, la réglementation diffère de manière importante d'un pays comme la Malaisie qui offre beaucoup de souplesse dans l'interprétation juridique des textes religieux à un pays de tradition orthodoxe comme l'Arabie Saoudite qui présente une certaine rigidité quant à l'interprétation du texte sacré et de la Sunna.
• F. N. H : À votre connaissance existerait-il des fonds de placements islamiques ? Si oui, quel est le principe de ces fonds ?
• M. A. M. : Les fonds islamiques d'investissement existent bel et bien, et ce depuis longtemps. Ce qui les diffère des fonds d'investissement conventionnels est l'absence d'investissement à effet de levier et l'application stricte des principes de la finance islamique. Pour le reste, le champ d'intervention de ces fonds est le même que celui des fonds conventionnels à l'exception des secteurs illicites. De même que les fonds d'investissement conventionnels, les fonds d'investissement islamiques peuvent être spécialisés dans le capital-risque, le capital-développement, etc. Ils peuvent investir dans les sociétés cotées on non cotées. De manière générale, tout est possible et faisable dans la gestion islamique d'actifs à condition de respecter strictement les principes de la Charia.
• F. N. H : La finance islamique comporte plusieurs risques ; pouvez-vous nous en énumérer quelques-uns ?
• M. A. M. : Comme toute activité humaine, la finance islamique comporte des risques. Ces risques sont a priori les mêmes que ceux de la finance conventionnelle, mais à différents degrés d'importance. Ainsi, le risque de marché et le risque de crédit existent bel et bien dans la finance islamique à des degrés comparables aux niveaux des mêmes risques dans la finance conventionnelle. Les études statistiques ont néanmoins montré que les banques et les institutions financières islamiques ont été historiquement moins exposées au risque de crédit et ont beaucoup moins souffert de la dernière crise financière que leurs homologues conventionnelles. Cette résilience est due au fait que, structurellement, les banques et les institutions financières islamiques n'ont qu'un recours extrêmement limité à l'effet de levier et que leurs structures Actif-Passif sont généralement équilibrées, contrairement aux institutions financières conventionnelles. Néanmoins, le risque de liquidité est plus important dans la finance islamique. Ceci est dû à l'absence de prêteurs de derniers recours comme les banques centrales dans le système financier conventionnel. Cependant, des solutions existent pour pallier ce risque. Ainsi, plusieurs initiatives ont déjà vu le jour dans certains pays comme l'Arabie Saoudite où les deux systèmes financiers coexistent, sans parler des pays où seule la finance islamique existe comme le Soudan ou l'Iran.
• F. N. H : Pensez-vous que le Maroc, dans sa configuration actuelle, pourrait mettre en place une finance islamique qui réponde à toutes les normes nécessaires ?
• M. A. M. : Le Maroc possède d'énormes atouts, en premier lieu l'importance de son marché financier, bancaire et assurantiel (qui est le 2ème en Afrique et le 1er dans la région MENA) et des liens économiques, financiers et capitalistiques que le pays possède avec le continent africain et notamment les pays à forte communauté musulmane. Ceci est une base et un atout pour la Maroc dans le développement du secteur de la finance islamique. Cependant, il faut avant tout une volonté politique afin de mettre en place un cadre juridique, fiscal et réglementaire digne de ce nom. Ceci contribuerait au rayonnement de la place financière de Casablanca et de la finance marocaine, non seulement du Nord au Sud, mais également d'Ouest en Est dans les pays arabes de la région MENA. Cependant, j'insiste sur le fait que la volonté politique et administrative est indispensable afin de mettre en place un vrai cadre pour la finance islamique dans le pays, afficher clairement cette volonté, ne pas se disperser et, surtout, ne pas se perdre dans les méandres profondes du juridisme et de l'excès de zèle des politiques, de l'administration et des pseudo experts de la finance islamique qui pullulent un peu partout en ce moment. Il faut aussi ne pas se limiter à une soi-disant adaptation de la réglementation conventionnelle actuelle comme l'ont fait certains pays – ce qui s'est paradoxalement avéré au contraire très nuisible au développement de la finance islamique –, mais mettre en place une réglementation ad hoc et sur-mesure, à l'instar de ce qu'ont fait certains pays comme la Malaisie, quitte à bousculer un peu les habitudes et les reflexes des partisans à tout crin de la finance conventionnelle. Avec le gouvernement actuel, je suis extrêmement optimiste à moyen terme et intimement convaincu qu'il y a enfin une réelle volonté politique dans ce sens, mais il faut que cela se traduise également d'un point de vue administratif afin d'éviter les lenteurs et les blocages, aller très vite de l'avant et vite sans confondre vitesse et précipitation.
• F. N. H : Le décalage de flux, c'est à dire le temps nécessaire entre la distribution des flux et la réception des crédits distribués, peut créer un problème de liquidité : comment les banques islamiques font-elles face à ce problème ?
• M. A. M. : Le problème très connu de décalage (gap) de liquidité existe aussi bien dans la finance conventionnelle que dans la finance islamique. Il n'est pas le souci des seules banques islamiques. Pour résoudre ce problème, il faut, comme je l'ai dit précédemment, avoir un prêteur islamique de dernier recours qui utilise les techniques de refinancement à court terme islamique. A titre d'exemple, et pour pallier les besoins des banques islamiques saoudiennes, la Banque centrale d'Arabie Saoudite a commencé à octroyer des refinancements à court terme islamiques sous la forme de Sukuks et de certificats islamiques à court terme, mais d'autres pays comme la Malaisie, le Soudan ou l'Iran ont trouvé des solutions tout aussi efficaces.
• F. N. H : De manière générale, les banques islamiques financent les entreprises commerciales ; or, ces dernières, de par leur activité, stockent de la marchandise et qui dit stockage implique forcément la dépréciation des marchandises. Comment ces banques font-elles face à ce problèmes ? Existe-t-il une assurance dite islamique aussi pour contrecarrer cette dépréciation ?
• M. A. M. : Certains financements islamiques obligent les banques en question à acheter la marchandise et à la revendre au client avec un paiement immédiat ou différé dans le temps. On comprend alors aisément que les banques islamiques prennent dans ce cas un risque «matière» tant qu'elles restent propriétaire des marchandises ou des biens et tant que la vente n'est pas complète. Ce risque fait bien évidemment partie des risques que les banques islamiques prennent et gèrent et elles en tiennent compte dans leurs tarifs. De plus, ce type de risque peut bien évidemment être partiellement ou totalement couvert par une police d'assurance auprès de structures d'assurance islamique ou Takaful.
• F. N. H : En conclusion, que pouvez-vous nous dire sur la finance islamique et de ce qui la différencie de la finance conventionnelle ?
• M. A. M. : D'aucuns voudraient savoir ce qui différencie réellement la finance islamique de la finance conventionnelle, et on m'a très souvent posé cette question. Je dirais que ce qu'il faut retenir, c'est que la finance islamique place l'être humain au centre du processus et de toute activité économique et de toute transaction commerciale ou financière, alors que la finance conventionnelle place l'argent au centre de tout, sans aucune valeur humaniste. Même la finance dite éthique n'est qu'un ersatz de la finance conventionnelle. C'est pour cela que je n'aime pas que l'on qualifie la finance islamique de finance éthique, ce qui la ramènerait à une simple excroissance d'une unique finance qui est la finance conventionnelle. La finance islamique est autre et est basée sur ses principes fondamentaux. Il ne faut surtout pas la considérer à travers le prisme déformant de la finance conventionnelle, mais se l'approprier telle qu'elle, et raisonner de manière autonome. Les six principes fondamentaux de la finance islamique (les 3 «p» et les 3 «r») constituent une réponse concrète et d'une finance opérationnelle qui évite réellement les turpitudes de la finance conventionnelle.
On me pose également souvent la question de savoir si l'économie islamique est sociale ou libérale, et si le modèle économique islamique est pour ou contre la propriété privée. Le seul qualificatif qui me convient après des années d'étude et de pratique de la finance et de l'économie islamiques est le qualificatif de finance et d'économie «humaines», avec tout ce que cela comporte comme théorie et comme pratique. Les partisans de la finance conventionnelle ne comprendraient pas l'intérêt d'un tel modèle économique et mettraient en doute son opérabilité et son efficacité. A ceux-là, je répondrai que ce modèle a été appliqué pendant des siècles, a fait ses preuves et a permis à la civilisation musulmane de connaître son apogée aussi bien sur le plan économique, mais aussi sur le plan social et humain.
Dossier réalisé par W. Mellouk & S. Zeroual


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