Le Royaume représente un marché intéressant pour le développement de la finance islamique. Les banques islamiques sont, pour le système financier, porteuses de risques qui diffèrent à bien des égards de ceux connus par les banques conventionnelles. Anouar Hassoune, consultant à l'Islamic Financial Services Board et General Manager de Hassoune Conseil, nous fournit davantage d'éclaircissements en la matière. • Finances News Hebdo : Pouvez-vous dressez un bilan de la finance islamique dans le monde ? • Anouar Hassoune : La finance islamique connaît un développement important dans le monde avec des degrés de développement différents en fonction des régions. Elle prend une place de plus en plus significative : plus de 250 institutions financières islamiques dans le monde dont les actifs ont été évalués en 2011 à plus de 1.000 milliards de dollars. L'industrie bancaire et financière de type islamique est donc en plein essor et concerne actuellement tant les pays musulmans que non musulmans. Son rayonnement a été favorisé par la crise de la dette aux Etats-Unis et en Europe, ainsi que la chute des marchés boursiers au niveau mondial. • F. N. H. : Les produits financiers islamiques comportent plusieurs risques, pouvez-vous nous les définir ? • A. H. : La finance islamique représente un compartiment de l'économie éthique, particulièrement résilient face à la crise mondiale, mais qui ne constitue en rien la panacée. Il est acquis que la finance islamique n'a pas les défauts de la finance classique du fait notamment qu'elle interdit la spéculation, donc favorise un certain niveau de stabilité. Cela dit, il existe d'autres risques contre lesquels la finance islamique n'est pas immunisée, dont entre autres : - les risques de concentration (par secteurs, par métiers, par produits, par régions…) - les risques de liquidité (notamment la difficile gestion du bilan et l'illiquidité de la plupart de ses classes d'actifs) - les risques qui lui sont spécifiques (réputation, obsolescence stratégique, standardisation, taille). Cela signifie que les banques islamiques sont, pour le système financier, porteuses de risques qui diffèrent à bien des égards de ceux connus par les banques conventionnelles. • F. N. H. : Avec la mise en place du nouveau gouvernement, la finance islamique est plus que jamais au cœur des débats; quels sont les défis auxquels devra faire face cette institution au Maroc? • A. H. : Le Maroc représente un marché intéressant pour le développement de la finance islamique compte tenu des fondamentaux de l'économie du pays. Cependant, et comme toute industrie naissante, la finance islamique au Maroc devrait relever plusieurs défis afin de pouvoir prendre sa place dans l'économie nationale. Ce mode de financement, capable de compléter les moyens de financements conventionnels, devrait bénéficier d'un cadre juridique et réglementaire approprié; il faut aussi installer un Sharia Bord, travailler la labellisation des produits, commencer la formation des ressources humaines… Pour le Maroc, nous pensons qu'à l'instar des autres pays qui l'ont adoptée, elle présente un moyen supplémentaire qui pourrait contribuer à financer notre économie, en particulier dans des périodes de crise. • F. N. H. : Les banques marocaines ont-elles intérêt à opter pour la formule islamique? • A. H. : Le marché du financement islamique représente une réelle opportunité pour les banques marocaines. Dès l'ouverture de la première banque islamique au Maroc, le taux de bancarisation connaîtra un essor sensible et honorable avec l'engouement du «préjugé favorable» lié à cette dynamique. On assistera à une augmentation des transferts des Marocains résidant à l'étranger et à un attrait considérable d'investissements directs en provenance des pays du Golfe et d'Asie, pouvant s'évaluer à plusieurs dizaines de milliards de dirhams. Les PME et PMI se verront offrir de nouvelles possibilités de financement, incluant les techniques de Moudaraba, Mourabaha, Moucharaka et autres. Aussi, le Maroc pourra mieux se positionner comme hub financier islamique pour l'Afrique et la région euro-méditerranéenne. L'économie marocaine, et plus particulièrement les banques marocaines, ont tout à gagner à s'ouvrir à la finance islamique et à l'adopter ! • F. N. H. : En faisant un benchmark à l'international, quel est le pays qui pourrait servir de modèle pour le Maroc? • A. H. : Il n'y a pas de modèle propre à suivre, le Maroc a ses particularités. Il faudrait s'inspirer des expériences réussies dans d'autres pays et prendre le temps d'identifier les erreurs à ne pas commettre et tirer les meilleurs enseignements des différentes expériences en la matière, tant en Asie et en Afrique que dans le Monde arabe. • F. N. H. : Combien de temps faut-il et quelles sont les étapes à suivre pour voir émerger la finance islamique à part entière au Maroc ? • A. H. : Instaurer la finance islamique dans un pays est un travail de plusieurs années qui commence par une réelle volonté des politiques. Comme tout projet, on distingue une période d'expérimentation et une phase de développement. L'expérimentation concrétise les réflexions et actions juridiques, fiscales, règlementaires qui ont été décidées en amont. Cette phase sera décisive pour la suite de l'implémentation de l'industrie islamique dans notre pays. Elle peut durer plusieurs années selon les contextes. En Malaisie, cela a pris une décennie (de 1983 à 1993), le temps que la seule banque islamique créée par le gouvernement s'implante dans le paysage local. Dans la phase de développement, la libéralisation du secteur permettra de fournir aux agents économiques une variété de produits sharia compatibles, compétitifs et innovants, avec un objectif final d'ériger le Maroc en hub de la finance islamique africaine. • F. N. H. : Votre conseil, pour que cette industrie puisse voir le jour enfin au Maroc ? • A. H. : A notre avis, il faudrait mener une réelle réflexion qui mobilise l'ensemble des acteurs économiques nationaux pour analyser et examiner les pré-requis à mettre en place au niveau réglementaire et organisationnel pour installer une véritable finance islamique dans notre pays. Il devient urgent de rattraper notre retard et de faire du Maroc une plaque tournante de la finance islamique.