Faut-il sacraliser ou brûler les médias ? C'est la question à laquelle se sont proposés de répondre les intervenants réunis mercredi dernier à HEM Rabat. Des intervenants représentant le secteur sous tous ses aspects. Enfin presque, puisque celui qui devait parler de son expérience dans les nouveaux médias, en l'occurrence Edwy Plenel, président fondateur du journal électronique français Mediapart, n'a pas pu «s'envoler» vers le Maroc à cause de la grève. Toutefois, les quelques mots lus en son nom par la modératrice, Narjiss Reghay (journaliste à Libération) auront suffi comme mise en bouche pour un débat qui s'avérera plus houleux qu'on ne l'aurait supposé. Pour Plenel, la question n'est pas de savoir s'il faut sacraliser ou brûler les médias, mais de comprendre de quels médias les citoyens ont besoin aujourd'hui. Selon lui, «un bon média doit être à l'écoute du peuple, entendre ce qu'il dit, suivre ce qu'il fait et faire attention à ce qu'il veut». Une affirmation qui a clairement planté le décor du débat. On comprendra, en effet, au fil des interventions que le vrai dilemme n'est pas simplement de savoir s'il s'agit de construire un autel au sacre des médias ou de les mettre au bûcher, tels des sorciers des temps modernes. Censure, difficulté d'accès à l'information, manque de crédibilité, non respect du code déontologique, absence de réglementation claire, rareté du travail d'investigation, diktat des annonceurs, son autant de maux qui touchent les médias d'aujourd'hui. Une phrase raisonne dans la bouche des trois intervenants, à savoir Ilham Boumehdi de HitRadio, Reda Benjelloun de 2M et Driss Ksikes de la revue Economia : «Le printemps des médias est terminé». Un printemps qui, selon eux, aura duré une décennie et cède désormais la place aux premiers jours d'automne. (Dés)information et manque d'information Sacraliser les médias serait leur donner trop d'importance. Certes, mais si ces mêmes médias sont finalement le seul recours qu'ont les citoyens pour s'exprimer, est-il nécessaire de les «brûler» ou de leur jeter la pierre en dénonçant les propos qu'ils tiennent ? Des propos qui, on le leur reproche, ne sont parfois pas si objectifs que le voudrait la profession. Et pour cause, «les médias sont devenus des leaders d'opinion», rappelle Réda Benjelloun, directeur adjoint de l'information à 2M. Des tribunes de l'opinion publique, ou parfois privée, qui parlent au peuple et lui distillent ses idées, reproche vivement le journaliste TV, notamment à ses confrères de la presse écrite. Ce qui du coup, agirait, selon lui, sur le travail des chaînes qui ne trouvent plus d'interlocuteurs. Des interlocuteurs (publics ou privés) qui, de leur côté, offrent l'information aux médias quand bon leur semble, comme une grâce qu'ils leur rendraient. Résultat, «on ne fait plus de l'information mais de la communication», se désole Benjelloun. Et non sans tort, car le problème de l'accès à l'information est bien réel. D'autant qu'au Maroc, les quelques sources «bienfaitrices» qui arrosent les médias de contenus crédibles ne sont pas protégées par un code juridique clair et précis. Un triste constat que Driss Ksikes, directeur de publication du magazine Economia, ne manquera pas de confirmer : «L'information est bloquée». Et pourtant, ces fameuses informations qui font vivre les médias en tous genres ne concernent, généralement, pas des secrets d'Etat classés hautement confidentiels, mais des indiscrétions néanmoins importantes puisque d'utilité publique. «Il ne me manquait plus qu'à faire la danse du ventre devant Mezouar pour qu'il vienne débattre en direct de la loi de finances», raconte ironiquement Reda Benjelloun. Le jeunisme de l'information C'est donc clair, les médias au Maroc, qu'ils soient écrits, sonores ou télévisés sont loin d'être sacralisés, et tout juste considéré à leur juste mesure. Celle d'«informateurs», mais également de leaders d'opinion. Car, comme le rappelle Ksikes, le rôle des médias est finalement de «mettre sur l'espace public des informations crédibles pour aider les contribuables à comprendre les enjeux de la société à différents niveaux et qu'ils aient à leur tour le sens de la décision». Pour ce faire, est-il nécessaire de rappeler que les journalistes, derrière leur stylo, micro ou caméra ont pour rôle également de présenter la thèse et l'antithèse. Et donc de dire tout et son contraire. Pas simple, en quelques mots ou en quelques minutes. Du coup, ce qui parfois peut sembler un parti-pris n'est souvent que ce que l'on appelle dans la profession «un angle d'attaque». Surtout quand justement les informations ne sont pas toujours disponibles des deux côtés. Et si, comme le dit Reda Benjelloun, «les médias sont brûlés tous les jours», il serait temps pour ceux qui font l'information officielle, privés, organismes, acteurs sociaux, de comprendre que le feu qui consume le secteur, de jour en jour, n'est que le résultat d'une auto-combustion due à un manque de collaboration avec les sources, mais également de structuration du secteur en lui-même. Ainsi, si certains «anciens» regrettent, à ce titre, le jeunisme des médias, et le départ des «vrais journalistes d'investigation, qui bravaient le mur du silence», comme le décrit Ksikes, d'autres n'auront pas tort de regretter le «jeunisme» de l'information dont souffre le secteur.