Dans son discours du 20 août dernier, le roi Mohammed VI a appelé les médias nationaux – entre autres institutions – a faire face à ce «véritable test imposant» que seront les prochaines élections législatives. Ce n'est pas la première fois dans un discours royal que les médias sont ainsi sommés de «prendre leurs responsabilités historiques», dans le cadre des réformes nouvellement engagées par le royaume. Et pour cause. Ces médias, qu'ils soient publics ou privés, sont garants, aux côtés des partis politiques et acteurs associatifs, de la construction d'une opinion publique à même de faire ses choix parmi l'échiquier politique qui se dresse devant elle. Seulement voilà, aujourd'hui, il faut le reconnaître, les médias «classiques» ont de moins en moins d'influence sur l'opinion d'une génération qui vit à l'heure du digital. Nouveaux médias, nouvelle opinion publique Lors d'un débat organisé en fin de semaine dernière sur «L'impact des médias sociaux sur la formation de l'opinion publique», les intervenants, à savoir Nabil Benabdellah (secrétaire général du parti du progrès et du socialisme (PPS)), Driss Ksikes (directeur de publication de la revue Economia) et Anas El Filali (blogueur) se sont accordés à dire que les médias sociaux représentent aujourd'hui la nouvelle plateforme de débat des jeunes marocains. Profitant d'une liberté d'expression pratiquement sans limite, ces médias ont favorisé «l'émergence d'une véritable culture démocratique» affirme Benabdellah. De l'avis de Ksikes, ce n'est pas le cas des médias traditionnels boudés par les jeunes, notamment «pour leur connivence avec l'autorité», provoquant ainsi «un divorce entre les élites et l'Etat». Du coup, ces nouveaux supports de communication «alternatifs» ont permis aux citoyens de «respirer», avance le chercheur, mais également de se réconcilier avec le fait politique, à travers un débat ouvert et pluridimensionnel. Les médias sociaux, médiateurs dans un divorce qui date de plusieurs années, sont-ils pour autant les nouveaux sauveurs d'une opinion publique consciente ? Pas si sûr, car comme le souligne Benabdellah, cet effervescence virtuelle annonce certes «les prémices d'une réconciliation, mais le manque de structuration de ces médias risque de faire basculer l'intelligence collective qui se crée dans un manque de réflexion général». De son côté, Anas El Filali estime que la question n'est pas là : «les médias sociaux ne sont qu'un ingrédient d'une recette déjà existante». Pour cet expert de la toile, la dynamique politique qui émerge aujourd'hui des réseaux sociaux est à mettre à profit par les politiques. Si le débat est aujourd'hui ouvert entre citoyens sur les blogs et autres réseaux sociaux, il appartient également aux élites politiques d'y prendre part pour justement structurer ce débat. «Nous sommes d'ailleurs l'un des premiers pays arabes à avoir trois ministres actifs sur la toile», avance le blogueur. En définitive, il apparaît malheureusement que les médias classiques jouent de plus en plus hors-jeu en ce qui concerne la construction de l'opinion publique. C'est du moins vrai pour une tranche «jeune» de la population, en l'occurrence la plus ciblée par ces nouvelles réformes. S'il y a donc des responsabilités à prendre à ce niveau là, c'est aux internautes eux-mêmes, aux citoyens et aux politiques de prendre les leurs pour construire un débat politique structurant. Pour ce faire, encore faudra-t-il sortir de la critique tous azimuts, souligne le trio d'intervenants.